Navires iraniens en route vers le Venezuela? «Une provocation pour les USA, qui se prennent pour les rois du monde»

© AP Photo / Alex BrandonLe Secrétaire d'Etat américain Antony Blinken
Le Secrétaire d'Etat américain Antony Blinken  - Sputnik Afrique, 1920, 14.06.2021
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Deux navires de guerre iraniens transportant vraisemblablement des vedettes rapides seraient actuellement en route vers le Venezuela, au mépris des sanctions américaines. Ce qui déplaît fortement à Washington, qui dénonce une provocation irano-vénézuélienne. Maurice Lemoine y voit surtout une volonté américaine accrue de contrôler la région.

Partis de Bandar Abbas le 10 mai, deux navires de guerre iraniens, le Makran et la frégate Sahand, ont atteint l’océan Atlantique, a annoncé le 10 juin le contre-amiral Habibollah Sayyari, coordinateur adjoint de l’armée iranienne. Une première pour des vaisseaux de guerre iraniens, qui ont contourné l’Afrique et passé le cap de Bonne-Espérance avant de pénétrer dans l’océan. «Nous considérons notre présence dans les eaux internationales comme un droit stratégique inaliénable de la marine de la République islamique d’Iran, et nous continuerons à suivre cette voie avec la même détermination», a lancé le haut responsable iranien. Sauf que les États-Unis s’en sont mêlés.

Des missiles longue portée, vraiment?

Fin mai, le site Politico révélait l’inquiétude de trois fonctionnaires américains sur la destination de ces deux vaisseaux, «peut-être jusqu’au Venezuela». Selon les photos satellites publiées par plusieurs médias américains, ceux-ci transporteraient sept vedettes rapides similaires à celles utilisées dans le Golfe par les Gardiens de la révolution. Pire, ceux-ci pourraient cacher des missiles, à l’instar des missiles soviétiques installés à Cuba. L’ultime chiffon rouge agité par l’Oncle Sam.

​Lors de son audition devant la commission des Forces armées du Sénat, Lloyd Austin, chef du Pentagone, a donc fait publiquement part de son «inquiétude». Selon l’influent sénateur Démocrate Richard Blumenthal, ces deux navires sont «supposés transporter des armes pour remplir un contrat signé il y a un an entre l’Iran et le Venezuela.» Une commande de missiles longue portée que Caracas aurait passée à Téhéran, a affirmé le parlementaire.

​«Si l’Iran expédiait au Venezuela des missiles nucléaires», Maurice Lemoine, spécialiste de l’Amérique latine et ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique, pourrait comprendre la réaction américaine. Mais jusqu’à preuve du contraire, celui-ci ne voit rien de répréhensible dans les relations irano-vénézuéliennes, sachant que Téhéran ne détient pas officiellement l’arme nucléaire. Pour lui, les États-Unis tentent à tout prix de diaboliser ces deux pays, reformant l’un des «Axes du Mal».

«Je n’ai strictement aucune confiance dans les déclarations du Département d’État américain sur ce que peuvent éventuellement transporter ces navires […] Ils [Les Américains, ndlr] passent leur temps à raconter absolument n’importe quoi sur le Venezuela, mais aussi sur l’Iran.»

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Menaçant ces pays de sanctions, le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price, a assuré que les Etats-Unis étaient «prêts à riposter» s’il s’agissait «d’une tentative de transférer des armes» à «des alliés» de l’Iran. Le porte-parole du gouvernement iranien a condamné la surveillance satellitaire américaine, la jugeant insultante et illégale. Sans confirmer la présence d’armes à bord, celui-ci a affirmé en outre que Téhéran avait le droit d’acheter et de vendre des armes depuis la fin de l’embargo onusien en octobre 2020, malgré les tentatives de prolongation de Donald Trump.

L’embargo US contourné?

Une éventuelle livraison au Venezuela qui représenterait une «provocation et comprise comme une menace à l’égard de nos partenaires» en Amérique du Sud, a même prévenu un haut responsable américain dans Politico. La doctrine Monroe est toujours bien d’actualité, observe alors Maurice Lemoine.

«Les États-Unis ont décidé d’isoler le Venezuela, mais effectivement, des pays ne jouent pas le jeu, ce sont la Russie et l’Iran. C’est vécu comme une provocation dans la mesure où les USA se prennent pour les rois du monde. C’est aussi caricatural que ça.»

États considérés comme parias par Washington, le Venezuela et l’Iran se sont rapprochés diplomatiquement dans les années 2000 sous l’égide de Hugo Chavez et de Mahmoud Ahmadinejad. Déjà en mai 2020, cinq pétroliers iraniens chargés de 1,5 million de barils de carburant et de dérivés arrivaient au Venezuela, confronté à une grave pénurie d’essence. À l’époque, l’amiral Craig Faller, chef du commandement Sud des États-Unis dans les Caraïbes, déclarait que Washington suivait «avec inquiétude» et condamnait cette livraison d’hydrocarbures.

«Ça n’avait strictement rien de répréhensible. Les pétroliers tentaient de contourner un embargo international criminel sur le Venezuela […] Quand l’Iran expédie de l’essence, c’est une arme de destruction massive aux yeux des Etats-Unis, car cela contourne leurs mesures coercitives unilatérales. Les Etats-Unis ne sont donc pas crédibles», considère l’ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique.

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Jugeant le pays «agressé» par un embargo américain «extrêmement dur», Maurice Lemoine rappelle que le Venezuela a plusieurs fois été explicitement menacé d’interventions militaires par Donald Trump. Son conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton, avait affirmé à ce sujet que «toutes les options» étaient sur la table en 2019. Si la Maison-Blanche a depuis changé de locataire, «deux précautions valent mieux qu’une», préconise le spécialiste de la région, justifiant ainsi l’éventualité de cet achat de vedettes, soulignant pourtant qu’il s’agit d’un «armement défensif». Et celui-ci ajoute ironiquement que le Venezuela n’a jamais «menacé personne d’intervenir dans quelque partie du monde que ce soit.»

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