Rencontre Biden-Poutine: «les Américains ont compris que leur politique russophobe était allée trop loin»

© AP Photo / Susan WalshJoe Biden
Joe Biden - Sputnik Afrique, 1920, 18.06.2021
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Qu’ont bien pu se dire les Présidents américain et russe à Genève? Cette rencontre était censée contribuer à apaiser les tensions entre les deux pays. Les sujets qui fâchent n’ont pas été esquivés, pas plus que ceux pouvant contribuer à améliorer leurs rapports. L’un d’eux pourrait bien être la Chine. Éclairages.

Le communiqué commun de Vladimir Poutine et Joe Biden à l’issue de leur rencontre n’annonçait laconiquement qu’un seul thème: le «dialogue bilatéral de stabilité stratégique».

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Pour l’heure, la collaboration entre les États-Unis et la Russie semble donc se diriger vers un meilleur encadrement des armes, avec la prorogation de New Start en février. Il s’agit du tout dernier traité bilatéral n’ayant pas été déchiré par les Américains. «Ils se rendent peut-être compte qu’ils sont allés trop loin. C’est la force de Poutine d’avoir rétabli la nécessité d’un équilibre via les armes hypersoniques», estime Pierre Lorrain, auteur de La mystérieuse ascension de Vladimir Poutine (Éd. du Rocher).

Vers un contrôle internationalisé des arsenaux nucléaires?

Quelle forme cette collaboration prendra-t-elle? Il pourrait s’agir d’«un mécanisme de contrôle des nouveaux armements, sophistiqués et dangereux, qui sont déjà en train de naître et qui augmentent les risques de guerre accidentelle», expliquait le locataire de la Maison-Blanche. Mécanisme qui sera ainsi créé par des groupes d’«experts militaires» et de «diplomates» américains et russes. Bien mieux que n’importe quel «téléphone rouge» entre le Kremlin et le Bureau ovale, estime Oleg Kobtzeff, professeur en géopolitique à l’Université américaine de Paris (AUP).

«Étant donné que nous avons des ordinateurs particulièrement sophistiqués, qui prennent d’eux-mêmes des initiatives, le risque existe qu’une catastrophe arrive avant même que les spécialistes ne s’en aperçoivent», met-il en garde.

Deux précédents où l’apocalypse aurait pu être déclenchée par erreur semblent encore vifs dans les mémoires. Celui d’un officier de garde d’une base d’alerte stratégique de la banlieue de Moscou, qui, une nuit de septembre 1983, a dû faire face à l’emballement des systèmes d’alerte. Les ordinateurs signalèrent avoir détecté des tirs de missiles intercontinentaux américains en direction de l’URSS, appelant ainsi à libérer le feu nucléaire soviétique contre les États-Unis. L’officier décidera de ne pas enclencher la riposte. Même scénario côté américain lorsqu’en pleine crise cubaine, le commandant d’une base de lancement de missiles à Okinawa reçut des codes erronés lui ordonnant de tirer ses missiles contre l’URSS. Une menace d’escalade incontrôlée décuplée plus de trente ans plus tard.

Comme le rappelle Pierre Lorrain, «La Russie reste le seul pays au monde capable de détruire les États-Unis». Et d’ajouter que «ce n’est pas encore le cas de la Chine.» Pour le journaliste spécialiste du monde postsoviétique et de la Russie, l’intérêt de la relance de la coopération en matière de désarmement autour de New Start serait justement d’y intégrer les puissances nucléaires autres que la Russie et les États-Unis, Chine en tête.

«Pour les Américains, l’un des enjeux était de séparer la Russie de la Chine»

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C’était d’ailleurs la proposition de Trump que d’impliquer Pékin dans les négociations sur la prolongation du traité New Start. Pékin avait opposé une sèche fin de non-recevoir: son représentant du ministère des Affaires étrangères avait répondu que «la Chine n’envisageait pas de participer à soi-disant pourparlers tripartites sur le contrôle des armes avec la Russie et les USA.» Selon Pékin, la politique d’actions unilatérales et la bellicosité de Washington représentent le principal obstacle au processus international du contrôle des armes.

Bien que le périmètre des rencontres entre «experts militaires» et «diplomates» américains et russes n’a pas été encore été rendu public, le spectre de la Chine a donc plané sur Genève. Si Biden est le seul à avoir brièvement évoqué l’Empire du Milieu durant sa conférence de presse, cela n’a été que pour rappeler la longue frontière que la Chine partage avec la Russie et insinuer ainsi la menace qu’elle représenterait pour cette dernière. «Pour les Américains, l’un des enjeux était de séparer la Russie de la Chine», estime Oleg Kobtzeff.

«Les Américains ont compris que leur politique russophobe –même si une partie des élites et des médias américains le restent- était allée trop loin et qu’à vouloir traiter systématiquement la Russie en adversaire, voire en ennemi, ils l’avaient complètement poussée dans les bras de la Chine», développe-t-il.

Le professeur de l’AUP met en garde toute capitale qui pourrait céder à la tentation de vouloir marginaliser Pékin. «Il ne faut pas crier au loup» et commettre ainsi la même erreur qu’avec Moscou, insiste Oleg Kobtzeff. D’autant plus que la Chine est appelée à «devenir plus puissante que les États-Unis à court terme» et demeure une puissance qui «raisonne à très long terme dans l’Histoire.» Une projection tant vers l’avenir que dans le passé, les Chinois pouvant conserver des rancœurs pour les humiliations infligées au cours de leur histoire.

Pierre Lorrain rappelle pour sa part la volonté de Vladimir Poutine, à son arrivée au pouvoir, de voir la Russie s’intégrer dans l’Otan via le Conseil Otan-Russie (COR). Selon lui, ce rapprochement était déjà motivé à Moscou par la recherche d’une «prise de poids politico-militaire» afin de tenir la Chine en respect.

«Poutine n’a jamais été anti-occidental, s’il l’est probablement devenu, c’est à force de recevoir des camouflets», analyse le journaliste.

Le dossier international sur lequel Washington et Moscou auraient le moins de points de convergences demeure pourtant l’Ukraine. Présente dans tous les esprits, au cœur des crispations entre la Russie et l’Occident, elle a pourtant «clairement été la grande oubliée» du sommet, estime Pierre Lorrain. «Il ne pouvait rien y avoir», est-il persuadé.

«La Crimée, c’est hautement stratégique»

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Lors de leurs conférences de presse respectives, les deux Présidents ne se sont guère attardés sur son cas. Joe Biden s’est contenté de dire aux journalistes qu’il avait rappelé à son homologue russe son attachement à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Vladimir Poutine a de son côté indiqué que son homologue américain aurait admis l’importance pour Kiev de tenir sa part dans le respect des accords de Minsk.

«C’est une situation qui ne peut pas se régler pour le moment, car ni la Russie ni les États-Unis ne peuvent reculer», au risque selon lui de paraître en position de faiblesse vis-à-vis de l’autre ainsi que de leur opinion publique, explique Oleg Kobtzeff. Si celui-ci pense que la Russie est allée loin avec la Crimée, il estime cependant que les États-Unis «n’auront pas la grille de lecture pour leur permettre de négocier» tant que ces derniers ne «comprendront pas» la raison pour laquelle la Russie a agi ainsi. Au cœur de cette incompréhension, selon lui, la perception par les Américains et les chancelleries occidentales en général qu’il s’agirait d’une «provocation» de la Russie.

«La Crimée, c’est hautement stratégique», insiste-t-il. «Si cela devient un territoire de l’Otan, ce serait une catastrophe stratégique» pour la Russie. «Les détroits en Crimée sont comme les Dardanelles et le Bosphore: la Crimée est la clé pour entrer dans la mer d’Azov, du Don, jusqu’au cœur de la Russie.»

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