Rodéos urbains: «maintenant, ce sont des bandes structurées», peut-on les mater?

© Sputnik . Oxana BobrovitchPolice nationale
Police nationale - Sputnik Afrique, 1920, 18.06.2021
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Pour mettre fin aux rodéos urbains, de nouvelles mesures plus coercitives sont envisagées par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Nadir Kahia, président de Banlieue Plus, estime quant à lui que le tout répressif n’endiguera pas le fléau. Mais encadrer le permettrait davantage.

«Si on m’appelle, j’y vais en cabrant!» Dans les colonnes de L’Équipe, la petite référence au rodéo urbain de Jul, un rappeur qui cumule plus de 580 millions de vues sur YouTube, rappelle l’omniprésence de cette pratique. Menée en grande majorité par les jeunes de banlieues –surnommés les «cabreurs»–, elle consiste à faire des acrobaties au guidon de leurs motos, scooters ou quads. Bien souvent sans protections adéquates et au mépris des riverains, excédés par les nuisances sonores. Pire encore, des tragédies se produisent régulièrement avec l’arrivée des beaux jours.

Voiture de police - Sputnik Afrique, 1920, 20.05.2020
Rodéos sauvages: malgré la loi de 2018, les policiers restent impuissants sur le terrain
En mai dernier, dans le quartier de la Duchère à Lyon, une femme a été fauchée par deux jeunes en scooter. Par chance, la victime n’a été «que» légèrement blessée. En mai 2020 par exemple, un Nantais de 17 ans est décédé après avoir perdu le contrôle de sa moto. Un mois plus tard, un enfant de 5 ans a été grièvement blessé par un motard à Vaulx-en-Velin.

Évidemment, ces rodéos sauvages sont interdits. En y participant, les «cabreurs» risquent un an de prison et 15.000 euros d’amende. En cas de conduite sous l’effet de l’alcool ou de stupéfiants, les peines peuvent aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et une pénalité de 75.000 euros. 

Un phénomène parfois mortel

Pour y mettre fin, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a donc décidé de sortir le grand jeu. Dans une note confidentielle destinée à Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, il lui a demandé de mettre en place de nouvelles mesures coercitives dans les «lieux les plus touchés», relate Le Figaro.

​Ainsi, le premier flic de France plaide-t-il pour la saisie systématique des engins «pouvant servir à commettre des rodéos», après avoir identifié «préventivement les lieux de stockage». En clair, empêcher les «cabreurs» d’enfourcher leur deux-roues. Par ailleurs, le ministre préconise, avec le concours de la police municipale, de «conduire des opérations de contrôles coordonnées» et d’augmenter la présence d’agents de manière «massive et stratégique des axes ou espaces empruntés». En outre, il demande d’«initier des procédures judiciaires dans le but d’identifier les auteurs», et ce «par tous les moyens à disposition» afin «d’engager des poursuites pénales, en lien avec l’autorité judiciaire», écrit Le Figaro.

Tolérance zéro pour les «cabreurs»

Il faut dire qu’il y a urgence: depuis janvier «en zone police, 597 engins ont été confisqués et 459 personnes ont été interpellées», affirme la note. Un nombre de saisies important qui démontre l’ampleur du phénomène. Malgré la loi de 2018, les interventions policières pour rodéo ont augmenté de 15% durant le confinement printanier de 2020. Signe qu’un sentiment d’impunité s’est emparé de certains «cabreurs». En avril dernier, plusieurs individus ont même poussé le vice jusqu’à faire des roues arrière sous les fenêtres du maire EELV de Lyon, Gregory Doucet.

​Reste donc à savoir si ces mesures pourraient régler le problème dans ces quartiers. Et rien n’est moins sûr, estime Nadir Kahia, président de l’Association Banlieue Plus. Elles ne sont en effet «pas suffisantes» car elles ne s’attaquent pas à la racine du problème.

«Évidemment, il faut être plus sévère vis-à-vis de certains, mais ce genre de phénomène, il faut l’attaquer sous différents angles, notamment en tentant de comprendre pourquoi ces jeunes font cette pratique», plaide le membre associatif au micro de Sputnik.

Comme il l’explique, ils «ont grandi avec ces nuisances-là, quelque part cela faisait partie du “folklore” des quartiers populaires». Ils n’auraient donc qu’amplifié le phénomène ces dernières années.

Des «rodéos sauvages» pour tromper l’ennui?

Le président de Banlieue Plus se souvient: «Il y avait toujours deux ou trois jeunes qui tous les dimanches matin réveillaient la cité.» Désormais, «il y a des bandes qui sont structurées». À l’image des groupes de motards aux États-Unis, explique Nadir Kahia.

«Avec les réseaux sociaux, on constate que ce phénomène américain s’est importé en France. Maintenant, je le vois même à Gennevilliers ou ailleurs en Seine-Saint-Denis, il y a des groupes entiers d’individus. À l’époque, ils restaient dans le quartier, aujourd’hui, ils se déplacent carrément en ville», détaille Nadir Kahia.

Alors, quelle solution pour endiguer cette pratique? Le président de Banlieue Plus suggère «de construire des structures qui pourraient accueillir ce type de véhicules», des espèces de «circuits urbains» en somme.

«Les gens sont gênés par le bruit mais ils peuvent en outre être percutés dans la rue par des gars qui roulent sans casque, qui prennent des risques importants. […] On peut faire du motocross, mais dans un lieu bien précis, dédié à cela, pas de façon sauvage.»

Une suggestion qui permettrait à l’État de dire: «On vous propose une alternative, mais si vous n’acceptez pas celle-ci, on sera beaucoup plus dur avec vous dans le cadre de ces poursuites», résume Nadir Kahia.

Une idée qui commence à émerger dans certaines villes de France. Dans le cadre d’une expérimentation à Vaulx-en-Velin, la mairie va proposer à une soixantaine de jeunes, âgés de 14 à 18 ans, de rouler sur des circuits homologués lors d’activités «encadrées et sécurisées».

​Sur BMFTV Lyon, Hélène Geoffroy, maire PS, a expliqué sa démarche en rappelant que le phénomène est «multiforme». Ainsi, selon elle, parmi ceux qui pratiquent les rodéos, «certains sont liés au trafic de stupéfiants et, entre deux livraisons, font des roues levées» et une «d’autres font cela sous l’angle du désœuvrement, parce qu’ils s’ennuient». L’initiative pourrait donc répondre aux besoins de ces derniers. Mais elle ne résoudra pas le fond de la question: pour les «cabreurs», l’adrénaline est justement provoquée par le fait de braver l’interdit.

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