Viols, violences, mariages forcés: le «constat horrible» de la condition féminine au Tchad

© Photo La Ligue tchadienne des droits des femmesLa première marche contre les violences basées sur le genre autorisée au Tchad s’est déroulée le 21 juin.
La première marche contre les violences basées sur le genre autorisée au Tchad s’est déroulée le 21 juin.  - Sputnik Afrique, 1920, 23.06.2021
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La première marche contre les violences basées sur le genre autorisée au Tchad s’est déroulée le 21 juin. Sputnik s’est entretenu avec son organisatrice, Épiphanie Dionrang, présidente de La Ligue tchadienne des droits des femmes. Elle livre des faits poignants sur la terrible vie quotidienne des femmes tchadiennes.

Sputnik: Comment évaluez-vous la marche féminine du 21 juin au Tchad?

Épiphanie Dionrang: «C’était la première marche au Tchad à avoir été autorisée par le gouvernement et nous avons eu une forme de collaboration avec les autorités. Quand nous sommes passés déposer la demande d’autorisation, dix associations l’ont signée. Cette marche, c’est un grand pas et le début de ce combat. Pour cette marche, nous avons déjà déposé des recommandations au ministère de la Justice, adressées au ministre lui-même, et une autre recommandation au Palais de Justice, au Procureur de la ville, pour pouvoir mieux discuter après la marche. Nous faisons toujours un suivi pour être sûres que nos recommandations seront prises en compte.

Plus de cent femmes sont sorties pour la marche, en concertation avec d’autres associations des femmes, qu’il s’agisse d’activistes pour les droits des femmes ou d’entrepreneurs.»

Sputnik: Quels sont les problèmes prioritaires pour la Ligue tchadienne des droits des femmes?

Épiphanie Dionrang: «La chose que nous plaçons en premier lieu est l’impunité des auteurs des violences faites aux femmes. Nous voulons que la femme tchadienne puisse défendre ses droits en cas de viol ou de violences. Car même si une plainte est déposée à la police, les auteurs sont relâchés par la suite, parce que c’est peut-être un commandant qui a violé une fille ou ce sont des enfants de généraux qui ont fait ça. Tant qu’on ne punit pas ces auteurs pour diverses raisons et qu’on les laisse dans la nature, ils recommenceront. Nous insistons pour que les lois qui protègent les femmes puissent être vraiment appliquées.»

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Sputnik: Comment les victimes des violences peuvent-elles se tourner vers votre organisation?

Épiphanie Dionrang: «La plupart de celles qui font partie de la Ligue sont des victimes de violences faites aux femmes. Aujourd’hui, nous avons pu sortir de ce silence et nous voulons que nos sœurs cadettes puissent briser ce tabou, que les femmes puissent avoir le droit de parler, de s’exprimer et de dire ce qui ne va pas.

Dans l’organisation, nous avons un autre projet qui s’appelle Inkhaz, et qui est focalisé sur la lutte contre les violences basées sur le genre. J’ai reçu un prix pour le projet Inkhaz d’un montant de 4.000 dollars, ce qui nous a permis d’avoir un site Web et un numéro de téléphone où les victimes peuvent nous appeler pour que nous puissions les aider. Mais la somme a été dépensée depuis et pour le moment, nous fonctionnons avec nos propres fonds, en attendant d’autres financements.

À la Ligue, nous nous focalisons principalement sur l’aspect juridique et l’écoute des victimes. Certaines victimes cherchent du travail, d’autres voudraient être indépendantes, il y a des filles qui ont été violées et qui viennent nous le raconter. Nous travaillons avec des avocats. Donc au sein de la Ligue, nous prodiguons de l’écoute, de l’accompagnement juridique, psychosocial et médical.»

Sputnik: Au Tchad, les témoignages montrent que les viols sont très nombreux. Comment luttez-vous contre ce fléau?

Épiphanie Dionrang: «Jusqu’à présent, nous n’avons pas de statistiques sur les cas de violences faites aux femmes au Tchad, qu’il s’agisse de violences conjugales ou de féminicides. Nous voulons avoir ces chiffres-là.

Un grand nombre de viols sont perpétrés, beaucoup de filles sont violées, mais c’est toujours couvert par le silence. Dans certaines familles, à chaque fois que la fille est violée, ça se règle “à l’amiable”, résultat, cela fait cinq ans que la fille vient dénoncer des viols.

Nous avons créé des programmes de sensibilisation dans les écoles et c’est là que nous avons dressé un constat horrible. Car nous avons raconté nos propres histoires, comment nous avions vécu le viol, comment nous nous en sommes sorties, comment nous avons pu briser le silence autour de ça. Après ces témoignages, des filles se mettaient à pleurer et venaient ensuite nous raconter qu’elles avaient été violées par leurs oncles, par leurs frères, par leurs voisins. Mais quand on leur demande si leurs parents sont au courant, elles disent que non et refusent qu’on les informe. C’est terrible.»

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Sputnik: Comment décririez-vous la femme tchadienne actuelle?

Épiphanie Dionrang: «Aujourd’hui, la femme tchadienne est vraiment marginalisée, parce qu’elle ne connaît pas ses droits, elle se laisse marcher dessus. Dans nos prochaines campagnes, nous devons passer de foyer en foyer pour expliquer aux femmes tchadiennes qu’elles doivent avoir de quoi vivre, qu’elles ne sont pas un objet, qu’elles n’ont pas à rester à la maison juste pour leurs enfants, alors qu’elles sont marginalisées et battues.

Il existe aussi une violence psychologique faite aux filles qui se marient et à qui on explique qu’elles n’ont pas le droit de quitter leur mari. Mais il faut surtout que les parents puissent prendre conscience de ce qui se passe. J’ai reçu récemment un cas de mariage forcé. La fille m’explique qu’elle ne veut pas de cet homme et ensuite sa mère m’appelle et me dit que si sa fille ne veut pas de cet homme, elle la reniera. C’est une petite fille, alors que cet homme est un policier âgé, mais les parents lui disent “tu peux faire tout ce que tu veux avec notre fille” et quand elle a répété qu’elle ne voulait pas de lui, cet homme s’est mis à la battre. Nous devons sensibiliser les parents.

Il existe aussi un problème avec les policiers. Quand tu ne portes pas de foulard, les policiers te renvoient, t’insultent et te traitent de prostituée. Et pareil quand nous portons un pantalon. Les militaires sont censés nous protéger, mais ils adressent des violences verbales à notre endroit. Ceux qui sont censés nous protéger sont ceux qui nous font le plus de mal.»

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