Dans son dernier rapport sur la situation sociopolitique et sécuritaire en République démocratique du Congo (RDC), le groupe d’experts des Nations unies affirme n’avoir pas été en mesure d’établir que le groupe État islamique* (aussi appelé Daech*) soutenait directement les Forces démocratiques alliées (ADF), milices opérant dans l’est de la RDC. Selon les experts, rien ne permet non plus d’établir que l’État islamique* exerce un commandement et un contrôle sur les ADF en dépit du fait que ces dernières aient déclaré avoir fait allégeance à l’organisation terroriste.
U.N. Finds No Evidence of Islamic State Control Over Congo Militia https://t.co/kydVjB4Col pic.twitter.com/8b68CkXTNc
— Metricsafrica (@Metricsafrica) June 17, 2021
Une conclusion qui non seulement remet en question le discours des autorités congolaises et américaines sur la présence de l’État islamique dans le Kivu, mais questionne également tout le discours sur la menace islamiste dans l’est de la RDC.
Entre déclarations opportunistes et réalité des faits
Présents dans la région depuis plus de deux décennies, les ADF sont à l’origine des rebelles musulmans ougandais. Soupçonnés d’entretenir des liens avec les rebelles Al-Chabab de Somalie, Al-Qaïda* et le terrorisme islamiste international, ils sont accusés d’avoir tué plus d’un millier de civils congolais depuis octobre 2014. On leur impute également la mort de 15 Casques bleus tanzaniens en 2017; et des témoins et experts les ont mis en cause dans plusieurs attaques meurtrières dans la ville de Beni, située au Nord-Kivu.
En effet, tout en affirmant que le groupe terroriste aurait profité de l’insécurité persistante dans l’est de la RDC pour y installer une base, ils ont tout de même émis des doutes sur l’implication de celui-ci dans la plupart des attaques qu’il a revendiquées. Ce qui n’a pas pour autant empêché tant les ADF que l’État islamique* de revendiquer un nombre croissant d’attaques perpétrées dans le Nord-Kivu.
Il faut dire que l’État islamique a eu à s’attribuer la paternité d’attaques auxquelles il n’était nécessairement pas lié. Le groupe terroriste a par exemple revendiqué un attentat qui a fait 37 morts dans un casino de Manille, aux Philippines, en juin 2017. Mais il est apparu qu’il s’agissait d’une tentative de vol commise par un joueur endetté qui a mal tourné.
Attaque au casino de Manille: l'assaillant était accro au jeu, pas un terroriste - Le Huffington Post pic.twitter.com/r4l97rjcrC
— yussma (@5ot0TO) June 4, 2017
Les exemples de revendications erronées d’attaques ou d’attentats par l’État islamique* se sont multipliés ces dernières années. En s’attribuant ces méfaits, le groupe djihadiste semble vouloir compenser sur le terrain médiatique les déconvenues qu’il a essuyées au Moyen-Orient, notamment en Irak et en Syrie, en 2015 et 2016.
Le constat du groupe d’experts
C’est dans cette optique qu’il se serait assurément attribué la paternité des attaques et crimes commis dans l’est de la RDC depuis 2019. Avec l’allégeance assumée des ADF au groupe terroriste, les revendications de celui-ci ont acquis une certaine crédibilité aux yeux de certains experts et observateurs. Certains ont craint que l’on assiste à l’émergence d’un islam radical et violent en Afrique centrale, avec la RDC comme point d’ancrage.
Pour pouvoir se mouvoir en toute quiétude dans la région, l’État islamique* devrait nécessairement bénéficier du soutien non négligeable de certains acteurs étatiques et non étatiques de cette sous-région. C’est cela la réalité de cette région martyre d’Afrique centrale où les parties prenantes articulent leurs stratégies en fonction de leurs intérêts; le passage obligé de tout groupe armé qui veut prospérer dans le coin sans beaucoup d’accrocs. Ce qui est loin d’être le cas du groupe État islamique*.
Selon ce dernier rapport du groupe d’experts des Nations unies sur la RDC (transmis le 10 juin au Conseil de sécurité), les déclarations de l’État islamique* et des ADF amplifient la propagande locale des ADF tout en donnant l’impression que le groupe djihadiste a une portée mondiale. Mais dans les faits, aucun élément objectif ne vient accréditer la thèse d’un commandement et d’un contrôle de l’État islamique* sur les opérations des ADF, ni d’un soutien direct du groupe terroriste — qu'il soit financier, humain ou matériel — à la milice ougandaise. En dépit de la propagande que les deux mouvements ont relayée sur leurs actions présumées dans l’est du Congo, les experts de l’Onu affirment avoir «observé des décalages entre les communications et la réalité sur le terrain».
Menace exagérée et stratégie géopolitique
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la menace islamiste en RDC, employée de manière inflationniste au point de semer une certaine confusion, ne reflète pas la réalité des faits. Et pourtant, les autorités congolaises n’ont eu de cesse d’affirmer que l’État islamique* et les ADF constituaient une menace réelle pour la sécurité de la sous-région. Idem du côté des États-Unis qui ont désigné, en mars 2021, les ADF comme « groupe terroriste » affilié à l’État islamique*. Jusqu’à présent, il est difficile de connaître les éléments d’appréciation sur lesquels Washington a basé sa décision. Dans son communiqué, le département d’État s’est limité à énumérer les crimes commis par ce qui est décrit comme la section congolaise de l’État islamique* (Daesh-RDC) et les sanctions prévues.
Au regard de l’intérêt jamais démenti des États-Unis dans la région, on pourrait aussi se demander si la menace islamiste n'a pas été exagérée pour des raisons qui échapperaient au commun des Congolais et des observateurs étrangers.
Pour le pouvoir de Félix Tshisekedi, il s’agirait de bénéficier du soutien des États-Unis dans la formation de certaines unités des FARDC et dans le renseignement. Tandis que pour les États-Unis, il s’agirait d’atteindre des objectifs géopolitiques et stratégiques dans une région convoitée par des puissances rivales ou concurrentes.
Washington a commencé à envisager de renforcer sa position militaire en Afrique centrale dès 2017, alors qu'aucun élément objectif ne permettait de confirmer la présence de l'État islamique* dans la région. La présence du groupe terroriste au Congo, même si elle reste hypothétique, offre à Washington le prétexte parfait pour se positionner davantage dans les Grands Lacs.
Ce qui n’est d’ailleurs pas une première en soi. L’on se souviendra de la campagne lancée en 2012 par l’ONG américaine «Invisible children» pour capturer le chef rebelle ougandais Joseph Kony, à la tête de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) depuis la fin des années 1980.
Dans ce cœur de l’Afrique où s’entremêlent intérêts géostratégiques et géopolitiques, considérations économiques, ainsi que luttes d’influence à ne point finir, il ne serait pas surprenant que la menace djihadiste soit exagérée par certains acteurs pour des raisons qui sont faciles à deviner.
* Organisation terroriste interdite en Russie.