Contractors et agents de la CIA: le vrai-faux retrait américain d’Afghanistan

© Photo Department of Defense / Staff Sgt. Russell Lee KlikaUn soldat américain
Un soldat américain - Sputnik Afrique, 1920, 28.06.2021
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Les troupes US et internationales auront-elles quitté l’Afghanistan le 11 septembre 2021? Un scénario auquel un ex-agent de renseignement français dans ce pays, avec qui Sputnik s’est entretenu, ne croit guère. Pour lui, la présence américaine se maintiendra discrètement. La guerre de l’ombre fera rage.
«Tout porte à croire que les Américains font le nez rouge: ils disent “on s’en va”, mais ils ne s’en vont pas vraiment», estime au micro de Sputnik un ex-agent des renseignements en poste en Afghanistan.

Officiellement, la quasi-totalité des 2.500 soldats américains en Afghanistan devrait être revenues «à la maison» pour la fête nationale du 4 juillet. Seuls 650 GI’s devraient rester sur place jusqu’au 11 septembre prochain pour assurer la sécurité des diplomates et autres humanitaires occidentaux toujours présents sur le terrain. De quoi mettre un terme à la plus longue guerre de l’histoire des États-Unis. Pourtant, l’Amérique n’a pas dit son dernier mot:

«Les troupes régulières américaines vont s’en aller, mais Washington va laisser derrière une flopée de contractants privés, qui sont en train de se renforcer à l’heure actuelle», affirme l’ancien espion, sous couvert d’anonymat.

Parmi ceux-ci, «vous trouverez certainement une poignée de grands moustachus», explique-t-il avec amusement, en référence aux agents de la CIA.

À ceux-ci s’ajouteront des éléments de l’Alliance atlantique, elles aussi présente depuis 2001: «L’Otan militaire s’en va, mais l’Otan civile restera», affirme notre source. «Ils ont passé des accords avec les Turcs» pour assurer la sécurité de certains lieux stratégiques à Kaboul, «notamment l’aéroport», pour un montant de 130 millions de dollars.

«Le retrait total et définitif tel qu’il nous a été rapporté par les médias et les politiques ne sera pas la réalité des choses», résume notre interlocuteur, lucide.

Maintien de contractants paramilitaires

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L’objectif est double: éviter de voir se reproduire le traumatisme de Saigon en 1975, lorsque les derniers Américains et Sud-Vietnamiens ayant travaillé avec Washington furent contraints de quitter la capitale en catastrophe, à bord d’hélicoptères Chinook, depuis l’ambassade américaine encerclée par les forces nord-vietnamiennes. À cette crainte s’ajoute l’espoir de Washington de retarder l’avancée des talibans* sur Kaboul.

Un choix stratégique qui exposera les troupes encore sur place à la menace des talibans* et qui ne ferait que retarder l’inévitable, estime l’ex-agent français. En effet, les contractants militaires ne peuvent que sécuriser temporairement certaines zones. Trop peu nombreux pour tenir le terrain, mais aussi insuffisamment équipés et compétents pour un tel objectif, ils pourraient être balayés par une offensive des talibans* d’envergure.

Par la voix de son porte-parole, le groupe fondamentaliste a rappelé le 27 juin au cours d’une interview donnée à Al-Jazeera que les États-Unis avaient «accepté et se sont engagés à retirer tous leurs soldats, leurs conseillers et leurs contractants militaires.» Et tout cela est entériné sur papier dans un accord voté l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’Onu.

Le porte-parole des talibans* a d’ailleurs rappelé que son mouvement faisait déjà une fleur à la communauté internationale en s’abstenant de frapper les États-Unis et leurs alliés, alors que la date initiale de leur retrait était le 1er mai 2021 aux yeux du droit international. Et ce, alors qu’ils en sont «tout à fait capables», précise-t-il dans un anglais parfait.

Face à eux, Kaboul ne pèse plus très lourd:

«En l’état actuel des choses, je pense que l’armée nationale afghane (ANA) pourrait résister temporairement, mais ils ne passeront pas le 1er janvier 2022 sans aide internationale concrète», craint l’ancien agent de renseignement, qui a opéré en Afghanistan.

Lors de sa rencontre avec le Président afghan Achraf Ghani ce 25 juin, Joe Biden a assuré que Washington fournirait une assistance militaire technique et logistique même après le retrait de ses troupes. Mais il est très peu probable que cela suffise pour tenir face à l’avancée des talibans*. Ce qui faisait réellement la différence «c’était l’appui aérien américain», rappelle notre interlocuteur. Sans cet appui, l’ANA risque de vivre des moments difficiles.

Retrait en trompe-l’œil, un pari risqué

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En définitive, le groupe fondamentaliste islamiste est en position de force. Il peut compter sur une dynamique favorable, ainsi que sur des troupes et des armes toujours plus nombreuses, financées par le narcotrafic et d’autres revenus issus de l’économie souterraine. Parfois, ceux-ci n’ont même pas besoin de combattre face à une armée nationale afghane qui préfère déserter à la simple vue des «étudiants en religion», sens littéral du terme «taliban*». Ou dont les soldats, démoralisés, ne sont guère difficiles à corrompre avec quelques billets.

Revigorés par leur victoire à l’usure contre le géant américain, les talibans* n’ont qu’à continuer leur tactique de «patience stratégique» et de harcèlement de l’ANA. «Les Américains ont les montres, mais nous avons le temps», se plaisent-ils à rappeler.

 

​À l’heure actuelle, les talibans* disent contrôler 117 districts sur les 400 et en contestent près de 200 autres. Les rapports divergent, mais oscillent autour de 40 districts récupérés depuis le 1er mai dernier et le début du retrait américain. Précautionneusement, les héritiers du Mollah Omar évitent pourtant d’attaquer des capitales provinciales, malgré une dynamique militaire clairement favorable.

«Les talibans* prennent des districts autour des capitales provinciales, une indication qu’ils ont pour intention de les attaquer une fois les forces étrangères parties», analyse l’ancien agent.

L’illustration la plus éloquente de cette tactique est certainement la récente prise du poste-frontière de Kunduz, considérée comme «la porte vers l’Asie centrale». Les talibans* ont pris le poste avant d’encercler patiemment la ville éponyme de 300.000 habitants, sans même l’attaquer, alors qu’ils en ont les moyens.

«Les Américains ont les montres, mais nous avons le temps»

Pour autant, cela ne veut pas dire que les talibans* ne récupéreront pas Kaboul et l’entièreté du pays. Tout porte à croire qu’ils n’attendront pas devant l’aéroport de Kaboul le 11 septembre.

«Un taliban* reste un taliban*. La doctrine n’a pas changé, ce sont toujours des fondamentalistes ultraradicaux, mais les talibans* d’aujourd’hui ne sont plus les talibans* d’hier», estime l’ancien espion français.

«Les enfants de cette première génération de talibans* ont tout de même été éduqués à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux», précise-t-il. Un phénomène qui lui fait dire que l’arrivée par hordes de talibans* comme en 1996 qui vont «piller, détruire, assassiner, et mettre à feu et à sang Kaboul n’est pas un scénario envisageable

«Ce n’est pas leur intérêt aujourd’hui de montrer ce visage.» En effet, ceux-ci veulent gouverner et ont donc une certaine image à véhiculer auprès des civils afghans, notamment ceux des grands centres urbains. Cela ne veut pas dire qu’ils ne vont pas mener avec vigueur leur guerre contre l’ANA, mais qu’ils comptent y mettre les formes.

La campagne de relations presse mise en place par le groupe fondamentaliste depuis quelques mois n’aura pas échappé aux observateurs du conflit afghan: il n’hésite pas à ouvrir les portes des territoires qu’il contrôle à de grands médias internationaux afin de montrer qu’ils sont capables de gouverner et d’assurer la sécurité d’un territoire.

Au-delà de leur image auprès des Afghans, les «étudiants en religion ne veulent pas d’un rétropédalage, même partiel, des Américains et de leurs alliés à la vue des images de terreur dont ils seraient les auteurs», analyse notre source.

Négociations inter-afghanes, mince espoir

Même si cela placerait Washington et ses alliés dans une position délicate face à leurs opinions publiques respectives et face au droit international, le spécialiste de l’Afghanistan estime que cette option est sur la table. Il est donc hors de question pour les soldats islamistes de lancer de grandes offensives sanglantes avant au moins le 11 septembre 2021.

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Le gouvernement afghan et les taliban reprennent contact à Doha
Face aux possibles effusions de sang, l’unique porte de sortie pacifique semble être les négociations inter-afghanes, mais celles-ci n’ont que «très peu de chances d’aboutir», considère l’ancien officier des renseignements français.

Une vision partagée Jeffrey Hawkins, ancien conseiller politique à l’ambassade des États-Unis à Kaboul:

«Les talibans* sont en train de prendre des districts, s’intéressent peu aux négociations et attendent le départ des Américains et de l’Otan pour lancer des offensives importantes. Les jours du régime actuel sont comptés», expliquait-il ce 26 juin au micro de France Info.

*Organisation terroriste interdite en Russie

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