Escalade de tensions au Moyen-Orient: l’Iran et les États-Unis négocient l’accord sur le nucléaire à coups de canon

© AP Photo / Vahid SalemiUne manifestation en Irak après la frappe US qui a tué le général iranien Qassem Soleimani à Bagdad
Une manifestation en Irak après la frappe US qui a tué le général iranien Qassem Soleimani à Bagdad - Sputnik Afrique, 1920, 30.06.2021
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En représailles à des frappes américaines en Syrie et en Irak, les milices iraniennes ont lancé des roquettes sur une base à l’Est de l’Euphrate. La provocation de trop? En réalité, ces attaques s’avèrent contrôlées, estime Marc Martinez, spécialiste de l’Iran, car le but de Téhéran est de revenir à l’accord sur le nucléaire.

Le ton monte entre Téhéran et Washington. Dans la soirée du 28 juin, des milices pro-iraniennes ont déclenché des tirs d’artillerie sur une base américaine à l’Est de la Syrie, près du gisement pétrolier d’Omar. Les miliciens ont agi en représailles à des frappes américaines dans la nuit du 27 juin, ciblant des installations iraniennes à la frontière irako-syrienne, qui ont fait cinq morts.

Les attaques contre les intérêts américains continueront tant que l’Irak n’aura pas retrouvé l’intégralité de sa souveraineté, n’a pas craint d’affirmer Qais al-Khazali, secrétaire général d’Ahl al-Haq de l’une des principales milices chiites irakiennes, lors des funérailles des soldats. Même son de cloche avec le porte-parole du commandant en chef des forces armées irakiennes, Yahya Rasoul, qui a condamné l’attaque aérienne américaine, «qui représente une violation flagrante et inacceptable de la souveraineté irakienne.»

De leur côté, les États-Unis, par l’intermédiaire de leur secrétaire d’État, Antony Blinken, ont déclaré que ces frappes en Syrie et en Irak étaient un message «fort» pour empêcher toute nouvelle attaque contre les intérêts américains dans la région.

Les deux adversaires semblent donc se rendre coup pour coup, faisant craindre le pire. «Une stratégie qui vise à dissuader l’adversaire», tempère toutefois Marc Martinez, consultant en géopolitique pour de grands groupes internationaux et spécialiste de l’Iran. Les morts ne seraient en définitive que les victimes collatérales de difficiles négociations:

«C’est une réponse mesurée, calibrée afin d’envoyer un message clair aux Américains. Il y a des tensions récurrentes. Washington ne veut pas perdre la face devant les milices irakiennes dont l’Iran est le protecteur. On est encore bien loin du niveau des tensions bilatérales atteint en janvier 2020 après l’assassinat de Qassem Souleimani», souligne-t-il au micro de Sputnik.

Pourtant, ce n’est pas la première fois que les milices affiliées à Téhéran mettent la pression sur Washington. Au cours du mois juin, plusieurs drones piégés ont été lancés sur les intérêts américains en Irak. En effet, les combattants pro-Iran ciblent majoritairement la base américaine d’Aïn al-Assad, à l’ouest du pays, ou la Zone verte de Bagdad, le quartier de la capitale sécurisé par les GI’s. Suite à ces attaques, les batteries de défense C-RAM étaient entrées en action pour intercepter les missiles et éviter les pertes humaines et matérielles.

Si ces attaques à répétition, par la menace qu’elles font planer sur les intérêts américains, peuvent remettre en question la présence de Washington dans la région, celui-ci ne semble pas avoir dit son dernier mot, bien au contraire. «L’Irak demeure une zone stratégique pour les Américains, ils peuvent maintenir la pression sur l’Iran et ses supplétifs», analyse Marc Martinez. En février dernier, l’Administration Biden avait effectué ses premières frappes à la frontière irako-syrienne pour dissuader les forces iraniennes de continuer leurs opérations contre les intérêts américains. Ces bombardements avaient fait plus de 20 victimes.

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Malgré ses retraits de troupes et d’équipements d’Irak, du Koweït, de Jordanie et d’Arabie saoudite, notamment huit batteries antimissiles, l’administration américaine ne compte pas pour autant laisser l’Iran maître de l’Irak.

«Ils cherchent surtout à éviter la jonction entre la Syrie et l’Irak sous la houlette des forces iraniennes», ajoute le spécialiste de l’Iran. En effet le corridor terrestre allant de Téhéran à Beyrouth en passant par la Syrie et l’Irak –l’arc chiite– est l’objectif de politique extérieure iranien. Donc, la hantise des Américains serait de voir définitivement l’Irak tomber sous le giron des mollahs, ce qui expliquerait le maintien de leur présence.

De part et d’autre, les adversaires auraient donc parfaitement conscience des limites de leur bras de fer:

«Les Iraniens sont connus pour leur réalisme politique et ils sont conscients que le départ des Américains de la région est un objectif illusoire, compte tenu des intérêts géostratégiques du Golfe pour Washington. Il s’agit pour les Américains et les Iraniens de trouver un modus vivendi et de rendre la tâche difficile et coûteuse à l’adversaire en zone périphérique. L’Irak a une dimension d’État-tampon», estime Marc Martinez.

En plus du volet militaire, les États-Unis usent de plusieurs leviers pour enrayer l’influence iranienne dans la région. Au lendemain de l’élection du Président iranien Ebrahim Raïssi, le Département de la Justice américain a décidé de bloquer des dizaines de sites Internet liés à l’Iran. Au total, pas moins de 33 sites proches des Houthis yéménites, des Hachd al Chaabi irakiens et de l’Iran ont été censurés le 23 juin.

Malgré la montée des tensions et les nombreuses provocations, il n’en demeure pas moins que les deux ennemis ont un objectif commun: le retour à l’accord sur le nucléaire iranien.

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«La volonté de conclure un accord existe dans les deux camps, d’où l’importance de ne pas franchir une ligne rouge d’un côté comme de l’autre», résume le consultant. En effet, Américains et Iraniens veulent revenir à un accord sur le nucléaire… à leur avantage toutefois. Ainsi, les deux pays semblent-ils pour l’heure camper sur leurs positions initiales. D’un côté, les États-Unis exigent en préalable à toute avancée que Téhéran revienne aux exigences de l’accord de 2015 sur l’enrichissement en uranium, sur son programme balistique et sur sa politique étrangère, de l’autre, l’Iran pose comme prérequis la levée totale des sanctions contre l’économie iranienne.

À ce propos, au cours d’un échange avec le chef d’État israélien Reuven Rivlin le 28 juin, Joe Biden avait affirmé que «l’Iran n’aurait jamais d’arme nucléaire tant que je serai là.» De son côté, le nouveau Président iranien Ebrahim Raïssi a appelé à des négociations fructueuses tout en avertissant qu’il ne permettrait «pas de négociations pour le plaisir de négocier», avant d’ajouter que «toute rencontre doit produire des résultats […] pour la nation iranienne.»

Des négociations pour le moins ardues donc, mais pas encore enterrées, estime Marc Martinez:

«C’est probablement trop tôt pour penser qu’elles vont être compromises. Mais contrairement à ce que pensaient les Américains, les Iraniens tiennent sous le poids des sanctions. Ils ne sont pas prêts à offrir de nouvelles concessions sans contrepartie. Les Iraniens ont une autre temporalité, ils sont prêts à prendre leur temps.»

«Raïssi préfère avoir des certitudes quant au nouvel accord et à ses éléments les plus concrets avant d’engager son capital politique», ajoute-t-il. Compte tenu de la résilience de l’économie iranienne en dépit des sanctions, Téhéran ne compterait donc pas lâcher du lest si facilement. La rivalité américano-iranienne au Moyen-Orient n’est pas prête de s’éteindre.

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