Cameroun: pourquoi les activités de MSF dérangent-elles dans le Nord-Ouest séparatiste?

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Centre-ville de Yaoundé - Sputnik Afrique, 1920, 06.07.2021
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Fin 2020, le Cameroun a suspendu les activités de Médecins sans frontières (MSF) dans le Nord-Ouest séparatiste, l’accusant de collusion avec les groupes armés. Les tractations de l’ONG visant à répondre à ces allégations sont restées lettre morte. Face à l’ampleur de la crise, MSF, dans un communiqué, appelle Yaoundé à «lever cette suspension».

Cela fait six mois déjà que Médecins sans frontières (MSF) a été suspendu d’activités médicales dans le Nord-Ouest du Cameroun, en proie à une violente crise séparatiste. L’ONG avait été accusée par les autorités locales de collusion avec les groupes armés. Alors que la crise prend des proportions inquiétantes ces dernières semaines, l’ONG a demandé aux autorités locales, dans un communiqué publié le 22 juin, de procéder à la levée de cette suspension.

«Face à l’ampleur des besoins sanitaires de la population, MSF appelle le gouvernement camerounais à immédiatement lever cette suspension», est-il indiqué dans ce communiqué.

Des complicités avec les séparatistes?

Depuis plus de quatre ans, les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest du Cameroun sont en proie à une violente crise séparatiste. Dans ces territoires, où vivent la majorité des anglophones du pays, l’armée et les groupes séparatistes s’affrontent quasi quotidiennement, prenant en tenaille les civils, victimes collatérales d’exactions des deux protagonistes.

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Le 8 décembre 2020, les autorités locales ont émis un ordre de suspension des activités de MSF dans le Nord-Ouest, accusant ses équipes médicales de collusion avec les groupes armés locaux. Le gouverneur de la région du Nord-Ouest soupçonnait entre autres l’ONG de venir en aide aux séparatistes armés. Le ministre de l’Administration territoriale avait dans la foulée exhorté MSF à plus de neutralité et d’impartialité dans son déploiement sur le terrain. Malgré les mois de tractations visant à répondre à ces allégations, avec en prime le séjour du directeur de MSF au Cameroun en mai dernier, qui a l’occasion à rencontrer plusieurs membres du gouvernement, Yaoundé n’a toujours pas fait sauter les verrous.

«Nos services médicaux sont suspendus depuis six mois dans le Nord-Ouest, et cette situation fait payer un tribut inacceptable aux habitants dont beaucoup ont fui dans la forêt pour échapper aux violences», a déclaré Emmanuel Lampaert, coordinateur des opérations de MSF en Afrique centrale dans le communiqué.

Une situation d'autant plus incompréhensible qu'elle ne concerne qu'une des deux régions séparatistes. Dans le Sud-Ouest, MSF continue d'assurer ses missions sur le terrain comme d'habitude.

L’urgence de l’assistance sanitaire

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Sur le terrain des opérations, la crise ne cesse de s’enliser, faisant des milliers de victimes. Selon le dernier rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW) publié en février 2021, ce conflit a déjà fait plus de 3.500 morts (civils et militaires) et provoqué le déplacement de leurs foyers de plus de 700.000 personnes. Des milliers d’hommes et de femmes ont besoin d’assistance de toutes sortes. En 2018, en accord avec le ministère camerounais de la Santé, MSF a lancé une réponse d'urgence à la situation sanitaire critique dans ces deux régions en apportant un soutien à des structures de santé, et en formant et équipant des travailleurs de santé communautaires afin d’offrir des soins aux populations plus difficilement accessibles.

«Cette suspension constitue une atteinte grave à l’accès humanitaire et médical. À l’heure où nous parlons, nos agents de santé communautaires voient des gens souffrir et mourir à cause du manque de médicaments dans certains villages et communautés déplacées», déplore Emmanuel Lampaert.

Que cache le Cameroun?

«En raison de l'insécurité, de l’imposition de mesures de confinement, de couvre-feu et du ciblage des établissements de santé, l'accès aux soins de santé s’est fortement réduit. Au moins un cinquième des structures de soins ne sont plus fonctionnelles», poursuit le coordinateur des opérations de MSF en Afrique centrale. La suspension des activités de MSF, déplore Cyrille Rolande Bechon, directrice exécutive de l'ONG Nouveaux Droits de l'homme Cameroun, «est une violation du droit international humanitaire».

«Toutes les parties à un conflit doivent veiller à ce que les blessés et malades reçoivent des soins médicaux appropriés, dans toute la mesure du possible et dans les délais les plus brefs. Les blessés et malades doivent être traités sans discrimination et ne pas faire l'objet de distinction fondée sur des critères autres que médicaux», explique l’experte en droits de l’homme au micro de Sputnik.

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Que pourrait donc cacher cette suspension de MSF dans cette région en crise du Cameroun et alors que les populations ont toujours besoin d’assistance? «Cette accusation des autorités camerounaises à l’endroit de MSF est surtout une façon pour Yaoundé de mettre une sorte d'étouffoir sur la situation réelle sur le terrain pour qu’elle soit la moins documentée possible», argue Emmanuel Dupuy, président du think tank Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE).

Depuis le début de la crise dans les régions anglophones du Cameroun, Yaoundé a pris l’habitude de crier au complot devant les rapports des ONG. Si d’un côté les ONG locales ou internationales ont très souvent accusé l’armée régulière de commettre des exactions sur le terrain des opérations, le gouvernement a toujours riposté pour dédouaner l’armée et crier à la conspiration.

«Les ONG sont au cœur des conflits là où les journalistes ne vont plus, là où les ressortissants étrangers ne sont plus les bienvenus, là où les gouvernements nationaux déconseillent aux voyageurs de se rendre. Il n'y a plus que les ONG qui y ont souvent accès et donc ça les met en première ligne. L'autre raison, c'est que les ONG viennent généralement de l’Occident, et donc d'une certaine manière les gouvernements établissent à travers la position de ces ONG une sorte de parallélisme ou de symétrie avec le pays dont elles sont issues. Et pourtant elles sont parfois totalement déconnectées des agendas de leur pays d’origine», poursuit l’analyste.

Cependant, reconnaît Emmanuel Dupuy, au-delà de leurs actions humanitaires, certaines organisations sont inféodées aux groupes de pression, quand ce n’est pas «aux États extrêmement puissants» dont elles doivent protéger «les intérêts sous le couvert de la promotion de l'idéal démocratique».

«Il y a parfois des collusions à demi avouées entre les ONG et ces puissances occidentales. D’ailleurs, certains ont vu dans les révolutions de couleurs (elles désignent une série de soulèvements populaires, pour la plupart pacifiques et soutenus par l'Occident, ayant causé pour certains des changements de gouvernement entre 2003 et 2006 en Eurasie et au Moyen-Orient) et même dans les printemps arabes, la main ou le soutien de certaines fondations américaines qui avaient au moins formé les activistes. Ce qui est vrai pour les États-Unis peut l’être aussi pour certains pays européens», conclut l’analyste.
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