L’État français aurait été au courant de l’accord entre Lafarge et Daech

© REUTERS / Thibault CamusUne usine Lafarge
Une usine Lafarge - Sputnik Afrique, 1920, 14.07.2021
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Bien que la cour d'appel ait annulé en 2019 la mise en examen de Lafarge pour «complicité de crimes contre l'humanité», l’affaire continue de battre son plein. Libération vient de dévoiler une note de la DGSE prouvant que l’État était bel et bien informé des versements d’argent à Daech*.

Depuis la révélation de l’affaire en 2016, le cimentier français Lafarge SA est soupçonné d’avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale Lafarge Cement Syria, près de 13 millions d’euros à des groupes terroristes, dont Daech*. Le but était de pouvoir maintenir l’activité de son site en Syrie alors que le pays s’enfonçait dans la guerre. Des années après, Libération dévoile l’implication de l’État.

Daté du 26 août 2014 et estampillé «confidentiel défense», une note de la DGSE détaille qu’un «agreement [accord en français, ndlr]» a été trouvé entre le cimentier et le groupe terroriste pour la poursuite d’activités commerciales. Selon le journal, la note a été rédigée au moment où Lafarge avait toujours le contrôle de son usine située à Jalabiya, dans le nord-est du pays.

«Daech* vient de les autoriser à reprendre les activités commerciales et donc transiter sur les routes du nord de la Syrie entre Membij, Aïn Issa, Raqqah, Deir ez Zor et Qamishli. Derrière cette autorisation il y a un agreement», expose la DGSE dans la note.

Implication de la diplomatie française

La donne a changé le 19 septembre 2014, quand Daech* s’est emparé de l’usine. Comme l’avait révélé Libération, des mails échangés entre le cabinet du ministre des Affaires étrangères de l’époque, Laurent Fabius; et l’ambassadeur de France pour la Syrie, Franck Gellet, attestent du rôle de la diplomatie française. Ce jour-là, M.Gellet a contacté le cabinet du ministre pour demander la protection du site contre d'éventuels bombardements américains, relate le journal.

«Il convient de protéger cet investissement français […] pour le cas où, Daech* en faisant une possible source de lucre, les Américains envisageraient un jour de le bombarder», a écrit l’ambassadeur. Reçu par l’un des collaborateurs de Laurent Fabius, ce message a été transmis au ministère de la Défense pour «qu’ils puissent en parler aux Américains».

Au profit des terroristes

Une telle volonté de la multinationale à maintenir son activité en Syrie aura ses avantages pour le groupe terroriste. Outre les gains commerciaux, Daech* a mis la main sur l’usine et sa production.

«65.000 tonnes ont déjà été accaparées par Daech* pour une valeur estimée à 6,5 millions USD [dollars]», et un «reliquat de 50.000 tonnes fait/fera l’objet d’un “contrat” […] pour une valeur estimée à cinq millions USD», révèlent des notes de la DGSE, déjà rendues publiques par Libération. «On comprend que le démantèlement de l’usine Lafarge en Syrie se poursuit au bénéfice financier à la fois de Daech* et des hommes d’affaires impliqués».

En raison de cela, M.Gellet aurait de nouveau contacté par mail le cabinet de Laurent Fabius le 27 janvier 2015: «Lafarge sait, par le réseau des distributeurs, que Daech* a besoin de ciment pour Mossoul […] Il ne faudrait pas que cela conduise les Américains à frapper l'usine dans le cadre de la lutte contre les sources de financement de Daech*».

Sur fond des fuites dans la presse, M.Fabius a été auditionné comme témoin dans le cadre des poursuites ouvertes en juin 2017 contre le cimentier. Il a nié être au courant.

Quant à l’ambassadeur, également entendu comme témoin le 5 novembre 2018, il a affirmé qu’il ne savait rien de l’accord entre Lafarge et Daech*. Se référant à des notes de la DGSE, Libération le dit pourtant en «contact étroit avec Jean-Claude Veillard», ancien directeur Sûreté de Lafarge, qui a été mis en examen par la justice en décembre 2017, avec l'un des ex-directeurs de la filiale syrienne, Frédéric Jolibois, pour «financement d'une entreprise terroriste» et «mise en danger de la vie d'autrui».

Racines de l’affaire

Les révélations datent du 21 juin 2016, lorsque Le Monde a affirmé que Lafarge avait tenté, en 2013 et 2014, de faire fonctionner «coûte que coûte» son usine en Syrie, «au prix d'arrangements troubles et inavouables avec les groupes armés environnants».

Le 9 juin 2017, le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire pour «financement d'une entreprise terroriste» et «mise en danger de la vie d'autrui». Au total, huit cadres et dirigeants sont mis en examen.

Décision cruciale de la Cour de cassation

Le groupe et trois dirigeants ont fait appel et contesté les fondements de l'enquête. Le 24 octobre 2019, la cour d'appel a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de quatre associations plaignantes (Sherpa, l'ECCHR, le Chredo et Life for Paris). Les deux premières ont décidé de se pourvoir en cassation.

La cour de cassation va se prononcer ce jeudi 15 juillet sur les différents pourvois déposés dans l'enquête concernant les activités du cimentier en Syrie jusqu'en 2014, et en particulier sur l'annulation de sa mise en examen pour «complicité de crimes contre l'humanité».

*Organisation terroriste interdite en Russie

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