La sorcellerie a la cote sur TikTok: «Dans des temps compliqués», un moyen pour «donner un sens à notre vie»

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Une bougie - Sputnik Afrique, 1920, 23.07.2021
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Rites, incantations, sorts ou astrologie. Sur le réseau social TikTok, l’ésotérisme a le vent en poupe. Preuve de cet engouement: les hashtags dédiés à la sorcellerie cumulent des milliards de vues. Pour Sputnik, un jeune «pratiquant» revient sur les raisons de cet intérêt grandissant envers l’occulte, mais également sur les dérives qui guettent.

Il est loin le temps des réunions secrètes. Dorénavant, les sorciers s’affichent au grand jour sur TikTok. À travers le monde, une véritable communauté d’adeptes de la magie s’est formée sur la plateforme de partage de vidéos. Comme un clin d’œil au passé, cette nouvelle loge 2.0 est composée majoritairement de jeunes filles. Symbole, peut-être, d’une réappropriation de la figure de la sorcière qui aujourd’hui «devient presque une super-héroïne», expliquait Mona Chollet, essayiste, dans une interview donnée à France Culture.

Sur TikTok, ces enchanteurs des temps nouveaux montrent à leurs abonnés comment créer des sorts, incantations, potions magiques et autres «philtres d’amour». Le guide parfait de l’apprenti sorcier. En outre, bon nombre d’entre eux parlent également de leur passion pour l’astrologie ou le tarot. Le tout sur fond de bien-être et de reconnexion avec la nature.

 

​Alors comment expliquer cette tendance? Avant toute chose, la sorcellerie permet «d’avoir un certain pouvoir sur notre environnement et sur autrui», glisse au micro de Sputnik Hyoscyamos (dont le pseudo est tiré du nom grec de la jusquiame noire, une plante toxique). Ce jeune de 20 ans se présente comme un sorcier «traditionnel», adepte depuis plusieurs années de la «magie des campagnes» et des rites ancestraux. Il dit l’avoir appris seul en lisant la mythologie grecque et en faisant ses propres recherches. Cet aspect séculaire ne l’empêche pas pour autant de profiter des réseaux sociaux, ces propulseurs modernes des idées de tout temps.

Avec les réseaux sociaux, l’ésotérisme fait des émules

Les sorciers de TikTok visent avant tout la jeunesse. Et cet intérêt particulier de cette génération est prouvé statistiquement : 40% des moins de 35 ans en France croient en la sorcellerie contre 25% des plus de 35 ans, selon une enquête de la fondation Jean Jaurès. Une appétence pour le sujet qui pourrait être «reliée au goût prononcé des jeunes pour le paranormal, notamment véhiculé par les productions culturelles américaines», détaillait l’institut. Plus globalement, ce sont près de trois Français sur dix (28%) qui croient en la sorcellerie, ce qui représente une hausse de 7 points depuis 2000.

Un phénomène d’ailleurs mondial puisque le hashtag «witchtok» –contraction de «witch» et TikTok– cumule plus de 16 milliards de vues (contre 2,4 milliards en août 2020). Quant au hashtag «witchcraft» (sorcellerie), il en comptabilise plus de 5 milliards. Certains créateurs de contenus sont ainsi devenus de véritables vedettes sur TikTok. À l’image de SarahAL06, une jeune Française qui compte 1,3 million d’abonnés et 66 millions de mentions «J’aime».

 

​La quête de sens de vie, c’est aussi une raison du succès croissant de «Witchtokeurs» aujourd’hui. En cause, le climat anxiogène ambiant généré par la crise sanitaire, ou encore la difficulté de se projeter dans l’avenir. Selon une enquête de l’IFOP pour la fondation Jean-Jaurès, 20% des personnes ayant déjà consulté un «spécialiste» en parasciences en ont vu un en 2020 à propos du Covid-19. 

«Les temps dans lesquels on vit sont très compliqués. On essaie de se rattacher à une sorte de divinité qui pourrait nous suivre et donner un sens à notre vie», explique, pour sa part, Hyoscyamos.

Un besoin de soutien que ne démentirait pas Marlène Schiappa. Dans une interview donnée au magazine Elle en octobre 2019, la ministre déléguée en charge de la Citoyenneté évoquait son attrait pour l’ésotérisme. Elle confiait ainsi que des amies lui «tirent les cartes ou [lui] envoient des SMS avant des moments importants», parlant même parfois de «formule de protection». La ministre expliquait à l’hebdomadaire avoir toujours «du corail autour de son poignet et un bracelet avec le chiffre 4» sur elle, assurant que «ces croyances [lui] donnent confiance».

Le charme bientôt rompu?

Si ces rites font partie du paysage depuis des temps immémoriaux, Hyoscyamos, Enzo de son vrai nom, voit d’un mauvais œil cet «effet de mode» sur les réseaux sociaux. Il regrette ainsi que «beaucoup de personnes confondent la sorcellerie avec l’aromathérapie ou l’herboristerie». En témoignent les «petits sachets magiques» ou les «fioles magiques» qui peuvent être vendus par des «Witchtokers», tacle le vidéaste. Lorsque d’autres vont jusqu’à «réinterpréter à leur manière» certains rites. «Il y a des choses qui sont là depuis des siècles et qu’il ne faut pas toucher», s’agace-t-il.

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Le jeune dénonce le fait qu’actuellement, la sorcellerie sur les réseaux sociaux s’apparente à un véritable fourre-tout. Une accessibilité et une ouverture à l’interprétation qui en font pourtant sa force, à en croire Chelsea Selby, sorcière et fondatrice de la marque With Baby Soap. «On peut prier une, plusieurs ou aucune divinité. C’est une pratique entièrement personnalisable», expliquait-elle dans un entretien accordé au média en ligne Wired.

Un sacrilège donc pour celui qui a découvert cette pratique grâce à la mythologie, «notamment Circé et Médée qui m’ont beaucoup inspiré de par leur puissance», se remémore-t-il. Alors pour éviter que les novices ne commettent trop des erreurs, en marge de son activité professionnelle de vendeur, il distille ses conseils sur son compte… TikTok. Suivi par plus de 19.000 personnes. «J’essaie de rétablir un petit peu les vérités sur cette mode», souligne Enzo.

 

​Il prédit d’ailleurs que cet engouement pour l’occulte va disparaître. Selon lui, lorsque les nouveaux adeptes découvrent «la sorcellerie telle qu’elle est», c’est-à-dire «avec des tonnes de grimoires incompréhensibles à lire, avec des sceaux très compliqués à reproduire, ou des ingrédients beaucoup trop écœurants à toucher», d’un coup, «cela attire moins, les personnes fuient».

«La sorcellerie a toujours été élitiste, avec une partie cachée. Quand c’est une mode, cela devient du n’importe quoi», résume-t-il.

Mais ce n’est pas pour demain. Tant que la pandémie est là, la filière ne risque pas de perdre ses adeptes, bien au contraire.

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