Cameroun: Covid et ordre public «paravents» du musellement de l'opposition?

© AFP 2023 STEPHANE DE SAKUTINMaurice Kamto, leader de l'opposition camerounaise, lors d'une conférence de presse à Paris le 30 janvier 2020
Maurice Kamto, leader de l'opposition camerounaise, lors d'une conférence de presse à Paris le 30 janvier 2020 - Sputnik Afrique, 1920, 28.07.2021
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Une manifestation du parti de Maurice Kamto, farouche opposant de Paul Biya, vient d’être interdite au Cameroun, pour «risque de propagation du Covid-19 et menace de trouble à l’ordre public». Dans le même temps, des marches de soutien au Président camerounais ont été autorisées. L’opposition dénonce «un ostracisme politique».

Acquis dans la foulée du vent démocratique qui a soufflé sur l'Afrique dans les années 1990, le droit à manifester au Cameroun (que les plus zélés présentent comme une avancée à mettre à l'actif du Président Paul Biya), est-il sérieusement menacé?

Le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto, farouche opposant de Paul Biya, l'affirme haut et fort et en veut pour preuve sa dernière mésaventure.

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Ce parti entendait, en effet, organiser une «grande marche républicaine» le 25 juillet à Yaoundé, pour le «retour de la paix dans le pays», qui fait face à des crises politiques et sécuritaires.

A priori, aucun crime de lèse-majesté dans l'objet de l'événement, encore que personne ne se doute qu'il s'agira surtout pendant cette manifestation de faire porter l'entièreté de la responsabilité de tous les maux du Cameroun au pouvoir du Président Biya.

La suite des événements est attendue, presque prévisible: les autorités locales s’opposent à la manifestation au motif qu'elle présente un «risque de propagation du Covid-19 et [un] risque de trouble grave à l’ordre public».

Pendant ce temps-là

Contrairement à un passé récent où le parti de Maurice Kamto avait parfois bravé les interdictions de manifestations, le MRC, sérieusement amoindri par les dernières batailles qu'il a livrées contre le pouvoir et qui ont notamment conduit à l'emprisonnement de ses cadres et militants, choisit de faire profil bas.

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Aussi, tout en décriant «l’ostracisme politique» à son encontre, il a appelé ses militants au calme et à se plier à cette décision des autorités. Le parti par la voix de son secrétaire national à la communication «regrette que cette manifestation, qui se voulait républicaine et pacifique, soit interdite, confirmant ainsi l’impossibilité pour lui d’organiser une manifestation publique de quelque nature que ce soit au Cameroun, voire tenir des réunions aux sièges de ses démembrements locaux». Il s’offusque également de la politique du deux poids deux mesures des pouvoirs publics, qui dans la même période ont pourtant autorisé des marches de soutien au Président de la République Paul Biya. En effet, alors que le récent séjour du Président camerounais en terre européenne a été une fois de plus troublé par des manifestations des activistes de la diaspora anti-Biya, le RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), parti au pouvoir, a organisé des marches, dans l’optique de condamner ces agissements et témoigner leur soutien au chef de l’État.

Le 25 juillet, des militants du RDPC ont organisé à Bertoua, dans la région de l’Est, une marche dite de soutien à Paul Biya à la suite des manifestations de la diaspora. Le 21 juillet, sous la conduite de Manaouda Malachie, ministre de la Santé, un rassemblement similaire avait déjà eu lieu dans la ville de Mokolo, dans la région de l’Extrême-Nord.

Quelques jours plus tôt, le 18 juillet, une marche encadrée par la police s’est déroulée à Ebolowa, dans la région du Sud, pour le même motif.

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Les organisateurs disaient protester contre les membres de la diaspora qui ont bruyamment manifesté devant l’Hôtel Intercontinental à Genève. S’il est vrai que le Cameroun demeure parmi les pays les plus touchés par la pandémie de coronavirus avec plus de 80.000 cas de Covid-19 enregistrés au 28 juillet 2020, pour plus de 1.300 décès, force est de constater que toutes les régions du pays sont encore exposées à la maladie. Cela est valable notamment pour les régions où les soutiens du pouvoir ont pu défiler sans que leur soit opposée aucune restriction.

Pour David Eboutou, analyste politique et consultant permanent sur une radio privée de Douala, «la capacité de mobilisation extraordinaire» du MRC couplée au contexte sociopolitique déjà très tendue fait constamment craindre une déflagration.

«Yaoundé a peur de voir les postures extrémistes entretenues par certains partisans et sympathisants du MRC dans la biosphère médiatique et particulièrement sur les réseaux sociaux basculer dans la réalité, s'il advenait que leurs manifestations soient autorisées», argue-t-il au micro de Sputnik.

Réagissant à la montée des violences et de la haine dans le pays, un partisan du MRC compare Paul Biya à Hitler.

Le recul des libertés

Seulement, le MRC n'est pas un cas isolé. D’autres partis d’opposition au Cameroun ont très souvent vu leur déclaration de rassemblement subir le même sort. En janvier 2020 par exemple, alors que des partisans de Paul Biya manifestaient dans plusieurs localités du pays pour soutenir l’organisation des élections locales, le Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN) du député de l’opposition Cabral Libii décriait l’interdiction «arbitraire» d’une cérémonie d’installation d’une de ses sections dans une localité de la région du Centre. Un cas parmi tant d’autres.

En effet, si les manifestations sont garanties par la Constitution camerounaise, les partis d’opposition font généralement face à des interdictions très récurrentes. Côté gouvernement, on brandit très souvent la thèse des «risques de trouble à l’ordre public» pour justifier la démarche. Une sorte de «paravent», souligne David Eboutou.

«Il est évident que lorsqu'on parle de "risque de troubles à l'ordre public", il s'agit manifestement d'un fourre-tout qui laisse la latitude à l'autorité d'y mettre tout ce qui légitime ou motive sa décision, qui au demeurant reste arbitraire», déplore l’analyste politique.

Une posture «regrettable», déplore Louison Essomba, politologue et enseignant de droit public à l'université de Douala, pour qui ces interdictions quasi systématiques traduisent un recul démocratique.

«Ce que nous vivons, concernant l'exercice des libertés publiques au Cameroun, traduit un net recul de notre démocratie, surtout celle des libertés politiques. On se rend bien compte que les autorités administratives interdisent systématiquement les marches des partis de l'opposition au détriment de la loi», constate-t-il au micro de Sputnik.

Si par le passé, les partis d’opposition ont toujours eu du mal à organiser de grands rassemblements dans les principales villes du pays, depuis la présidentielle de 2018, la situation sociopolitique s’est enlisée et chaque déclaration de manifestation fait frémir Yaoundé.

Dans son élan de contestation de la victoire de Paul Biya, alors donné vainqueur selon les chiffres officiels à la présidentielle de 2018, Maurice Kamto et ses alliés s’étaient illustrés par une série de marches dans le pays. À la suite de manifestations qualifiées de «démarches insurrectionnelles» par les autorités, des centaines de partisans et sympathisants du MRC ont été emprisonnés, parmi lesquels son propre leader. De nombreux militants ayant participé à ces marches («pacifiques» selon leurs organisateurs) demeurent encore en détention dans les prisons du Cameroun. 

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