Un an d’échecs français au Liban

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Beyrouth après l'explosion - Sputnik Afrique, 1920, 03.08.2021
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La France ne sait plus sur quel pied danser avec le Liban. Paris organise avec l’Onu une conférence internationale pour obtenir une aide d’urgence. Pourtant, après l’échec de son initiative pour la formation d’un gouvernement, l’Élysée a durci le ton en sanctionnant une partie de la classe politique libanaise. Retour sur un an de déconvenues.
Paris a tout tenté ou presque pour résoudre le problème libanais et essaie encore.
Depuis la double explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, les autorités françaises multiplient les déplacements, les initiatives, les pressions et les appels à la communauté internationale. Ainsi, un an après le drame, Emmanuel Macron et le secrétaire général des Nations unies Guterres, organisent-ils un sommet virtuel afin de réunir une aide d’urgence d’au moins 350 millions de dollars pour la population libanaise. La visioconférence ne réunira pas moins de 40 chefs d’État, dont les Présidents américain Joe Biden, égyptien Abdel Fatah al-Sissi, le roi de Jordanie Abdallah II et le chef d’État libanais Michel Aoun.
«Alors que la situation s’est dégradée, les Nations unies évaluent à plus de 357 millions de dollars (300 millions d’euros) les nouveaux besoins auxquels il faudra répondre, notamment dans les domaines de l’alimentaire, de l’éducation, de la santé, de l’assainissement de l’eau», déplore l’Élysée dans une note.

La France championne des conférences internationales

Cette aide n’ira pas directement à l’État libanais, mais passera par des organisations humanitaires. Face à la pire crise économique de son histoire, le Liban est plus que jamais exsangue. «L’aide est en effet nécessaire, mais elle ne règle en aucun cas le problème de fond», assène Michel Fayad, analyste politique libanais.
«Oui, la France joue son rôle historique avec le Liban, il y a un lien quasi fraternel, mais elle n’agit pas de la bonne manière aujourd’hui. Sa politique erratique prouve qu’elle n’a pas de ligne directrice sur ce dossier. On ne règle pas une crise avec des visioconférences et des réunions internationales», affirme-t-il au micro de Sputnik.
Paris a en effet déjà organisé plusieurs conférences pour tenter de régler la crise libanaise. Les deux premières avaient été organisées le 9 août et le 12 décembre 2020, permettant de mobiliser respectivement 257 et 280 millions d’euros. La France ne lésine pas sur les moyens et joue sur tous les tableaux au Liban. Le 17 juin dernier, elle a même organisé par l’intermédiaire de sa ministre de la Défense une réunion virtuelle afin de rassembler une aide d’urgence destinée à l’armée libanaise. Mais la France ne s’est pas arrêtée là. Outre l’aspect humanitaire et militaire, la France s’est fortement impliquée dans la politique libanaise. «Le Liban est le dossier de la politique étrangère française», résume Michel Fayad.

Paris sanctionne et s’aligne sur Washington

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Et c’est peu dire! Face à l’immobilisme de la classe dirigeante libanaise et aux nombreux blocages ministériels, Paris n’a pas hésité à durcir le ton. Le 29 mars, Jean-Yves Le Drian avait évoqué l’idée de «renforcer les pressions» sur les élites libanaises. Peu de temps après, la France a mis ses menaces à exécution, sanctionnant plusieurs dirigeants libanais, dont Gebran Bassil, ancien ministre des Affaires étrangères et allié chrétien du Hezbollah. Paris s’est ainsi aligné sur la politique des sanctions américaines à l’égard de certains dirigeants libanais.

Et cette politique coercitive a pris de l’ampleur. Incapable d’obtenir de Beyrouth un nouveau gouvernement, Paris a mis dans son collimateur l’inamovible gouverneur de la Banque centrale libanaise. Le 6 juin, le Parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire pour «association de malfaiteurs» et «blanchiment en bande organisée» contre Riad Salamé. «Une décision judiciaire qui aurait dû être suivie par des mesures politiques», estime le consultant.
«L’enquête judiciaire sur Riad Salamé était une bonne chose, mais la France aurait dû aller plus loin et faire pression sur les instances internationales pour le sanctionner, ainsi que ses principaux soutiens politiques locaux. La France l’apprend à ses dépens, mais on ne réforme pas un pays qui a connu des décennies de mauvaise gouvernance et de corruption en un jour», estime-t-il.
Michel Fayad reproche ainsi à la France de ne pas aller au bout de ses intentions. «Macron a laissé la main sur ce dossier à ses collaborateurs Emmanuel Bonne [ancien ambassadeur français au Liban, ndlr] et Bernard Emié [directeur de la DGSE, ndlr], tous deux connus pour leurs positions en faveur du clan Hariri», poursuit-il.
Pourtant, même Saad Hariri, proche du Président de la République, a été mis sur la touche par Paris. En effet, lors de son déplacement au Liban le 6 juin dernier, Jean-Yves Le Drian a reçu le chef du Courant du futur à la résidence de l’ambassadeur de France au Liban. Suivant le protocole, un ministre français doit se rendre chez ses hôtes et non pas dans un lieu appartenant à la France.
Mais aujourd’hui, c’est au tour du Président libanais d’être dans le viseur des sanctions européennes à la demande de Paris. En cas de non-formation d’un gouvernement, Bruxelles pourrait sanctionner Michel Aoun: «une erreur tant le poids du Président [libanais] reste limité», commente Michel Fayad. En effet, le chef d’État libanais n’a que deux prérogatives: il peut participer à la formation du gouvernement et il peut diriger le Conseil supérieur de Défense. «Ce n’est même pas lui qui nomme ou qui révoque le Chef des armées, c’est le Conseil des ministres», poursuit-il.
Avec cette politique plus agressive et dissuasive, la France perdrait des plumes.

Des Libanais nostalgiques du mandat français

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Pourtant, «lors du premier voyage d’Emmanuel Macron au lendemain de l’explosion du port, il avait conquis la majeure partie des Libanais, il avait saisi l’occasion parfaite pour panser le deuil de tout un peuple», souligne Michel Fayad. Il est vrai que dès le 6 août, soit deux jours après la catastrophe de Beyrouth, le chef d’État français était au chevet des Libanais. Descendant sur les lieux du drame, prenant des photos, enlaçant les familles des victimes, Emmanuel Macron se voyait en sauveur du Liban. «L’image était forte», commente l’analyste politique libanais. Surfant sur cette vague d’empathie française, certains Libanais étaient même devenus nostalgiques de l’époque du mandat. Une pétition pour demander le retour de la tutelle française avait reçu plus de 50.000 signatures.

Avec deux déplacements en moins d’un mois, Emmanuel Macron avait pris le dossier libanais très à cœur. Après la bienveillance initiale, il avait tenté d’imposer une initiative française, une sorte de feuille de route politique pour résoudre la crise libanaise et former un nouveau gouvernement. Mais rien n’y avait fait..
«La France joue gros avec le Liban. C’est sa seule porte d’entrée au Moyen-Orient. Durant le mandat de Macron, c’est le sujet de politique extérieure qui a pris le plus de place. Macron voulait se servir de la carte libanaise pour sa campagne présidentielle, mais force est de constater que c’est un réel échec», résume Michel Fayad.
Finalement, le petit Liban donne du fil à retordre à la diplomatie française. À force de s’impliquer dans le pays, on finirait même par croire que ce n’est pas le Liban qui serait dépendant de la France, mais plutôt l’inverse…
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