Tensions politiques en Tanzanie: «la dame de fer» sur les traces du «Bulldozer»?

© AP PhotoSamia Suluhu Hassan, Présidente de la République unie de Tanzanie
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En Tanzanie, beaucoup avaient cru en un renouveau politique depuis l’arrivée au pouvoir de Samia Suluhu Hassan, première Présidente du pays ayant succédé à John Magufuli, décédé en mars dernier. Mais avec les récentes arrestations d'opposants, le doute semble s’installer. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de la région.
Ce jeudi 5 août, la police anti-émeute tanzanienne a procédé à l’arrestation de plusieurs partisans du principal parti d’opposition, Chadema. Ceci intervient dans un climat de tension croissante entre le pouvoir et les partis d’opposition.
Il y a deux semaines, les forces de sécurité tanzaniennes avaient également arrêté plusieurs partisans du parti Chadema, dont son leader Freeman Mbowe, 59 ans.
Ce dernier ainsi que 10 membres du parti ont été arrêtés pendant la nuit dans la ville portuaire de Mwanza, dans le nord-ouest du pays. Ils s’apprêtaient à donner une conférence pour exiger des réformes constitutionnelles. Selon Deprose Muchena, directeur d’Amnesty International pour l’Afrique orientale et australe, le moment de l’arrestation de Mbowe «soulève des questions quant à savoir s'il s'agit d'une tactique visant à faire taire les voix critiques».
Ces arrestations interviennent quatre mois après l’entrée en fonction de la première femme Présidente de Tanzanie, Samia Suluhu Hassan. Arrivée au pouvoir en mars 2021, à la suite du décès soudain de son prédécesseur, John Magufuli, elle avait suscité beaucoup d’espoirs au sein de la classe politique et d’une partie de l’opinion nationale. Avec la répression de plus en plus accrue de l’opposition et l’interpellation de Freeman Mbowe accusé de «terrorisme», les espoirs des premiers jours semblent céder le pas au scepticisme. D’aucuns se demandent même si l’on n’assiste pas à la résurgence des vieilles méthodes qui avaient caractérisé l’époque Magufuli, surnommé le «Bulldozer» en raison de son style autocratique.

Une femme du sérail

Samia Suluhu Hassan est une figure politique à laquelle les Tanzaniens sont habitués. Née le 27 janvier 1960 dans l’archipel de Zanzibar située dans l’océan indien, c’est dans les années 2000 qu’elle débarque en politique. Élue députée la même année, elle est nommée ministre par le Président Amani Karume. À l’époque, cette musulmane pratiquante, diplômée en économie, était la seule femme ministre de haut rang du Cabinet. Dans les années qui ont suivi, elle a été réélue à plusieurs reprises comme députée et a occupé à tour de rôle plusieurs portefeuilles ministériels (Jeunesse, Tourisme, Commerce…).
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Samia Suluhu Hassan a également occupé le poste de vice-présidente de l’Assemblée constitutionnelle, période durant laquelle elle était chargée de contribuer à la rédaction de la nouvelle constitution de la Tanzanie.
En 2015, le Président John Magufuli la choisit, à la grande surprise de tous, comme sa colistière pour le ticket présidentiel. Une première aussi bien dans l’Histoire du pays que dans celle du parti au pouvoir. Occupant la fonction de vice-Présidente jusqu’au décès de Magufulu en mars dernier, Samia Suluhu Hassan est une figure majeure du Chama cha Mapinduzi (CCM, le «Parti de la révolution» en langue swahili), le parti au pouvoir depuis l’indépendance de 1962.

Les vieilles habitudes du passé

Propulsée à l’avant-scène depuis la disparition du Président Magufuli, Samia Suluhu Hassan s’est révélée dans un premier temps une Présidente attentive et disposée à installer un nouveau style de gouvernance. Si le bilan socio-économique de son prédécesseur a été salué par tous, y compris par ses détracteurs, il n’en demeure pas moins que celui-ci s’était particulièrement distingué par son style de gouvernance autoritaire.
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Au cours de son premier mandat, le gouvernement de Magufuli a interdit les rassemblements de l’opposition, révoqué les licences des organisations non gouvernementales et introduit des lois qui, d’après les critiques, réprimaient les reportages indépendants. Il a également déclaré que les filles enceintes ne devaient pas être admises à l’école. À maintes reprises, son régime a été accusé de museler la dissidence, de réduire la liberté d’expression et d’association en plus de faire adopter des lois qui renforcent la mainmise de Chama cha Mapinduzi sur les institutions. Les dernières élections présidentielles et législatives d’octobre 2020 se sont déroulées dans un climat de fortes tensions.
Samia Suluhu Hassan a donc hérité d’une Tanzanie marquée par des années de règne autoritaire de ce parti auquel elle appartient. Ayant placé son mandat sous le signe de l’unité et de la défense des valeurs de liberté et de démocratie, elle avait suscité un certain espoir. On se souvenait par exemple comment, en novembre 2017, elle avait même rendu visite au chef de file de l’opposition de l’époque, Tundu Lissu, hospitalisé à la suite d’une tentative d’assassinat. À l'époque, cela lui avait valu le respect de plusieurs opposants. Toutefois, les évènements des dernières semaines ont mis en exergue la persistance de certaines façons de faire qui ont fini par refroidir les plus optimistes. Plusieurs opposants ont été arrêtés, et les accusations de «terrorisme financier» et de «complot» visant le leader de l’opposition, Freeman Mbowe, ont fini par convaincre les observateurs que le pouvoir tanzanien, et notamment sous la présidence de celle qu'on appellera «la dame de fer», n’ont pas perdu certaines vieilles habitudes du passé...

Entre changement et continuité

En dépit de la répression de l’opposition et de la persistance de quelques pratiques, il y a tout de même des signes qui laissent penser que la gouvernance de Samia Suluhu Hassan n’est pas un copier-coller de celle de Magafulu. Par le passé, il est arrivé qu’elle s’oppose à des décisions de l’ancien Président. Si sur le plan des orientations de politique générale, on ne peut s’attendre à des changements majeurs, du moins à court et moyen terme, elle entend se démarquer de certaines façons de faire du passé et ouvrir un nouveau chapitre dans la gestion des enjeux importants. Elle avait ordonné au ministère de l’Information de revenir sur ses décisions antérieures, déclarant que le gouvernement ne devait pas «donner aux gens l’occasion de dire que nous limitons la liberté de la presse».
Mais c’est sa décision de s’attaquer à la pandémie de Covid-19 qui a laissé transparaître une forme de rupture avec les manières de faire de l’ère Magufulu. À la différence de ce dernier qui minimisait l’impact de la maladie, Samia Suluhu Hassan a déclaré que son pays ne pouvait se permettre de l’ignorer. Elle a opté pour une approche plus scientifique en instituant un groupe d’experts en santé publique et en médecine pour conseiller le gouvernement sur cette question. Plus encore, elle s’est fait immuniser en direct à la télévision nationale, lançant personnellement la campagne de vaccination à l’échelle nationale.
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Il y aura certainement d’autres réformes dans le secteur des politiques publiques, mais celles-ci pourraient prendre un peu de temps à se matérialiser à cause de paramètres liés au système de pouvoir en Tanzanie. 
En effet, Samia Suluhu Hassan évolue dans un écosystème qui est encore dominé par plusieurs caciques du système Magufulu. Elle doit faire preuve de tact pour faire triompher ses projets et ses ambitions. Si pour l’heure, elle ne peut se permettre de prendre des décisions susceptibles de remettre drastiquement en cause le statu quo, il n’en demeure pas moins que le changement de paradigme amorcé dans le dossier relatif à la pandémie laisse penser que la cheffe de l’État pourrait surprendre positivement bien des sceptiques à l’avenir. En attendant, elle doit composer avec le système tout en essayant d’apporter sa touche à la gouvernance du pays. Sous d’autres cieux, certains appellent cela le changement dans la continuité...
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