Vindicte populaire au Togo: «les citoyens n’ont pas confiance en leur justice»

CC BY-SA 4.0 / BenSim77 / Lomé
Lomé - Sputnik Afrique, 1920, 07.08.2021
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Au Togo, la vindicte populaire devient chose courante. De présumés délinquants sont régulièrement victimes de lynchages ou exécutés. Une situation qui s’explique par le manque de confiance des citoyens envers la justice, selon le Comité des droits de l’Homme des Nations unies qui appelle L'État à sévir contre cette pratique.
Le Comité des droits de l’Homme des Nations unies tire la sonnette d'alarme à propos des vindictes populaires au Togo. Dans ce petit pays d'Afrique de l'Ouest, cette pratique n'est pas rare. Elle offre le spectacle désolant de lynchages de présumés délinquants par des populations en colère, souvent suivis d'exécution, avant que les autorités ne puissent intervenir.
Dans ses observations finales relatives à la situation des droits de l’Homme au Togo, le Comité dit regretter «le très faible nombre d’enquêtes menées par le parquet, de poursuites et de condamnations» à l'encontre de ceux qui se livrent à ces actes.
Il recommande ainsi au gouvernement togolais de «mener des enquêtes» et de poursuivre devant les juridictions compétentes «tous les auteurs présumés de vindictes populaires ou de lynchage».
Et s’ils sont reconnus coupables, «qu’ils soient alors condamnés à des sanctions appropriées» insiste le Comité.
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Il considère la vindicte populaire au Togo comme une «défiance envers l’État (togolais) et son système de justice» et se dit à cet effet «préoccupé».
Rendues publiques début août, les observations finales du Comité avaient été adoptées le 23 juillet 2021 et communiquées au gouvernement togolais et aux organisations togolaises de défenseurs des droits de l’Homme.
Ces observations faisaient suite à un rapport périodique présenté en format virtuel du 29 juin au 1er juillet 2021 par les autorités togolaises, en raison de la pandémie de coronavirus.

Lynchés ou brûlés vifs

Le dernier cas de lynchage enregistré au Togo a eu dans la nuit du mardi 3 au mercredi 4 août à Agoè Zopomahé, une banlieue située à la sortie nord de Lomé. Un homme, soupçonné de vouloir voler une moto dans une maison, a été passé à tabac par les jeunes jusqu’à sa mort. Alertées, les forces de l’ordre se sont dépêchées sur les lieux, mais trop tard.
En juin, dans le village de Wogba, situé à 60 kms à l’est de Lomé, un homme accusé de profaner des tombes a été battu par la population puis brûlé vif dans le cimetière où il avait été appréhendé. Là encore, le procureur a été saisi et une enquête judiciaire a été ouverte.

Manque de confiance envers la justice

Ces lynchages sont bien l’expression «d’un manque de confiance en la justice togolaise» confirme André Kangni Afanou, coordinateur Afrique de CCPR - Center for Civil and Political Rights (Centre pour les droits civils et politiques), une ONG basée à Lomé.
«Lorsque les citoyens sont exaspérés, et qu'ils se disent que devant un délit ou un crime, le système judiciaire ne procède pas à des enquêtes sérieuses, n’identifie pas les coupables pour leur faire subir la rigueur de la loi; lorsque les citoyens estiment que même s’il est enclenché, ce processus peut être corrompu, ils vont être amenés justement à se rendre justice eux-mêmes» affirme-t-il tout en condamnant fermement cette pratique.
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Kangni Afanou recommande à cet effet que les autorités ainsi que la société civile et les acteurs judicaires œuvrent davantage pour que «le système judiciaire togolais soit plus indépendant et que le phénomène de la corruption (…) soit combattu efficacement».
«L'insécurité judiciaire due à la corruption et à l'impunité qui sont alarmantes au Togo est l’une des raisons du recours à la vindicte populaire par les citoyens togolais», reconnaît également de son côté Me Claude Amega, avocat et président du Collectif des associations contre l’impunité au Togo (CACI), interrogé par Sputnik.
L'avocat a évoqué, entre autres éléments explicatifs, «un état psychologique général affecté par les crises économiques et sociopolitiques et qui va favoriser un esprit de violence, d'agressivité et de vengeance».

Le grand risque

S’alignant sur les observations du Comité des droits de l’Homme des Nations unies, les deux défenseurs de droits de l’Homme estiment qu’il y a péril en la demeure si le phénomène n’est pas combattu efficacement.
«La vindicte populaire est également une violation des droits de l'Homme, notamment quand il s'agit d'exécution sommaire sans jugement. On peut facilement commettre une erreur en exécutant un innocent» affirme Me Claude Amaga.
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«L'État, garant de la sécurité des citoyens, a l'obligation de prendre des mesures idoines pour combattre ce fléau» ajoute-t-il.
En juin dernier, Christian Trimoua, le ministre togolais des droits de l’Homme, avait déjà rassuré le Comité en affirmant que «des mesures sont prises pour éliminer les vindictes populaires dans le pays» et que «le gouvernement togolais attend les recommandations du Comité».
Dans ses observations finales, le Comité des droits de l’Homme des Nations unies a demandé au gouvernement de «poursuivre les mesures prises… et de mener des campagnes de sensibilisation sur l’illégalité de la justice expéditive et populaire, et sur la responsabilité pénale des auteurs».
Il lui a demandé par ailleurs de «prendre des mesures concrètes pour restaurer la confiance de ses citoyens envers ses institutions judiciaires».
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