«Aux yeux de beaucoup de Camerounais, l'homophobie est un acte de défense patriotique»

© Photo Pixabay / SatyaPremLGBT
LGBT - Sputnik Afrique, 1920, 10.08.2021
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Au Cameroun, le célèbre transgenre Shakiro a été violemment agressé le 7 août. Récemment libéré après un emprisonnement pour «tentative d’homosexualité», il était devenu l'objet de menaces et de railleries sur la Toile. Dans ce pays, comme ailleurs en Afrique, l’homophobie prend de l’ampleur, s'appuyant souvent sur des théories du complot.
La scène qui se déroule dans la ville de Douala, la capitale économique du Cameroun, dans la nuit du 7 au 8 août, a tout l’air d’une chasse à l’homme. Sur la vidéo partagée de nombreuses fois sur les réseaux sociaux, on peut voir une bande de jeunes qui, après avoir reconnu le célèbre transgenre Loïc Midrel Njeukam alias Shakiro en compagnie d’amies, vont s’acharner sur lui. Ses bourreaux hurlent après lui, lui demandant s’il est un homme ou une femme. La pression monte et ils vont finalement le violenter physiquement. Le jeune transgenre va être déshabillé, son maquillage défait et sa perruque enlevée et il est aussitôt roué de coups.

«Les actes des agresseurs ne resteront pas impunis»

Abandonné dans un piteux état, Shakiro a été admis dans un hôpital de la ville. C’est depuis son lit que ce dernier va réagir lundi 10 août à ce triste évènement via de nombreux messages postés sur sa page Facebook. Il dénonce notamment un déchaînement de haine envers sa personne: «Je suis un être vivant après tout et sachez que ce n’est pas de ma faute si je suis de la sorte».
«Merci pour les cadeaux chers Camerounais, après ma sortie de l’hôpital je vais rester chez moi dormir jusqu’à ma mort», poursuit le transgenre.
Réagissant à son tour à la suite de cette agression sur Shakiro, Me Alice Nkom, avocate de ce dernier et présidente de l'Association pour la défense des droits des homosexuels (ADEFHO) a annoncé via une publication Facebook, que «les actes des agresseurs de Shakiro ne rester[aie]nt pas impunis».

L’homophobie au Cameroun

Relativement populaire sur les réseaux sociaux au Cameroun, Shakiro avait déjà été incarcéré en février à la prison de Douala, en compagnie de son ami Mouthe Roland, alias Patricia, reconnus coupables de «tentative d'homosexualité» et d’«outrage public aux mœurs».
Les deux transgenres ont bénéficié le 13 juillet d’une mesure de liberté provisoire accordée par la cour d’appel de Douala. Ils ont ainsi été autorisés à sortir de prison en attendant leur jugement en appel. Une remise en liberté qui avait déjà suscité le courroux de nombreux internautes qui y voient une tolérance de l’homosexualité au Cameroun. Dans une interview accordée à la Deutsche Welle à sa sortie de prison, Shakiro disait déjà se sentir en insécurité, victime de menaces de toutes sortes et de railleries, souvent cruelles, dans les rues de sa ville.
Un internaute camerounais se moque du transgenre et se réjouit de l’agression dont il a fait l'objet.
Tout comme l’annonce de l’arrestation puis de la libération de Shakiro avait soulevé des réactions mitigées, le déchaînement de violence que vient de subir le transgenre a également été diversement appréciée sur la Toile. Certains, à l'instar des défenseurs de droits de l’homme, dénoncent un climat anti-LGBT dans le pays; d’autres affichent clairement leur homophobie et leur transphobie, cautionnant même cette violence.
Dans le pays, la LGBT-phobie est monnaie courante. Les préjugés et violence à l'endroit des minorités sexuelles sont tellement répandues que la simple évocation de «l'homosexualité» (terme générique sous lequel les Camerounais rangent toutes les personnes LGBT) fait penser, explique Basile Ndjio, professeur d’anthropologie à l'université de Douala, à de nombreuses croyances et autres théories complotistes, notamment l'idée selon laquelle «l'homosexualité est une réalité étrangère à l’Afrique, importée de l'Occident pour coloniser sexuellement les Africains mais aussi pour bloquer la croissance démographique de l’Afrique». Pour d’autres, «l’homosexualité est une force de secte maléfique dont se servent certains puissants pour contrôler ou dominer les pauvres et faibles».
D'ailleurs, de façon prévisible, et au-delà des réactions à chaud, cet événement a relancé le vieux débat sur la dépénalisation de l'homosexualité (à laquelle la transidentité est assimilée) au Cameroun. Les prises de position sur la Toile et dans les médias fusent de toute part. Si certains condamnent la pratique, ils dénoncent tout de même les violences et cette justice populaire. Pour les défenseurs des droits de la communauté LGBT comme Me Alice Nkom, «il faut absolument dépénaliser l'homosexualité parce que chacun doit avoir la liberté de son orientation sexuelle», confiait-elle dans une récente interview à Sputnik.
Au Cameroun, la pratique de l’homosexualité est incriminée depuis 1972. L'article 37-1 du Code pénal camerounais punit d'un emprisonnement de six mois à cinq ans, ainsi que d'une amende de 20.000 (36 dollars) à 200.000 FCFA (368 dollars), «toute personne qui a des rapports sexuels avec une autre de même sexe». Fin avril, Human Rights Watch (HRW) avait dans un communiqué dénoncé des vagues d'arrestations visant la communauté LGBT au Cameroun, en exhortant les autorités camerounaises à abroger cet article du code pénal camerounais.
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