«À côté de la plaque»: les USA ont étalé en Afghanistan «leur ineptie stratégique, tactique, logistique»

© AP Photo / Massoud HossainiDes membres des services américains se tiennent devant un drapeau américain lors d'une cérémonie à l'occasion du treizième anniversaire des attaques terroristes du 11 septembre 2001 devant le mémorial du World Trade Center à l'aérodrome de Bagram, en Afghanistan, jeudi 11 septembre 2014.
Des membres des services américains se tiennent devant un drapeau américain lors d'une cérémonie à l'occasion du treizième anniversaire des attaques terroristes du 11 septembre 2001 devant le mémorial du World Trade Center à l'aérodrome de Bagram, en Afghanistan, jeudi 11 septembre 2014. - Sputnik Afrique, 1920, 16.08.2021
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Les talibans* ont repris le pouvoir à Kaboul. Philippe de Villiers et René Cagnat, spécialiste de l’Afghanistan, reviennent au micro de Sputnik sur le bilan de l’engagement occidental en Afghanistan. Autopsie d’une déroute...
«Ce retrait démontre la faillite de l’Amérique, la faillite de la France qui suit l’Amérique, la faillite de l’OTAN, et la faillite de la France dans l’Otan. Ce qu’il vient de se passer, c’est le point de départ de la décadence de la puissance américaine», estime Philippe de Villiers, au micro de Sputnik.  
L’ancien président du Mouvement pour la France et leader souverainiste promet d’ailleurs à l’hégémonie américaine le même sort que celui qu’a connu l’Union soviétique après sa débâcle afghane dans les années 1980. La longue et coûteuse guerre qu’avait menée Moscou contre les moudjahidines soutenus par Washington avait contribué à la chute de l’URSS et à la dissolution du pacte de Varsovie.

«L’Afghanistan est déjà un cimetière pour la puissance américaine»

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Une prédiction risquée, mais qui n’aurait pourtant rien de fantaisiste, estime l’ancien diplomate René Cagnat, spécialiste de l’Asie centrale. «L’Afghanistan est un cimetière pour la puissance américaine, comme il l’a été pour l’URSS», confirme au micro de Sputnik l’auteur du Désert et la source: djihad et contre-djihad en Asie centrale (Éd. du Cerf).

Ce qu’il se passe actuellement en Afghanistan «est grave pour les Américains», ajoute-t-il, avant de résumer: «Leur départ manque de dignité
«Les Américains, comme n’importe quel peuple, ont un sens de la dignité et ça, ils risquent de ne pas le pardonner à Biden. À partir de là, on pourrait voir une mauvaise influence du désastre afghan en Amérique même, les Américains perdant confiance en eux», prévient notre interlocuteur.
Un «désastre» total: cette guerre a effectivement été la plus longue de l’histoire des États-Unis depuis la naissance du pays en 1776. Elle aura coûté la vie à 2.448 soldats américains et à 3.846 contractants militaires américains (employés de sociétés militaires privées).  

6.500 milliards dépensés à l’horizon 2050

Financièrement, les guerres déclenchées à la suite du 11 septembre auront coûté 2.000 milliards de dollars en vingt ans, un chiffre proche du produit intérieur brut français. D’autant que, si la guerre en Afghanistan est finie, les coûts qu’elle engendre vont continuer de peser sur les caisses de l’État américain.   
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Il est estimé que le coût des blessés, des pensions et autres dépenses liées à la mission américaine en Afghanistan amèneront à un total de dépenses à 6.500 milliards de dollars en 2050, selon Marketwatch.
Des sommes astronomiques sans que Washington ne puisse mettre en avant une quelconque amélioration, hormis quelques avancées pour la population féminine, «la seule chose dont les Américains pouvaient se féliciter», juge René Cagnat. Ces acquis concernent essentiellement l'accès à l'éducation, à l'emploi et à la vie publique.
Au-delà du bilan humain côté américain, l’intervention aura coûté la vie à 66.000 militaires et policiers afghans, 1.144 combattants alliés, dont ceux de l’Otan, 47.245 civils afghans, 444 humanitaires et 72 journalistes.
«Les États-Unis ne comprenaient rien à rien. Ils ont étalé leur ineptie stratégique, tactique, logistique. Ils ont été à côté de la plaque. Ils ne savent plus comment faire la guerre à l’heure actuelle. Ils n’ont pas compris qu’il aurait fallu changer leur modèle de guerre. Les Chinois, eux, l’ont compris», explique, amer, le spécialiste de l’Asie centrale.
«Finalement, Biden a raison de partir. Même si c’est honteux de partir dans ces conditions. S’il restait, il ne pourrait que s’enferrer», poursuit-il.  

Coût de l’engagement en Afghanistan pour la France

D’autant que les États-Unis n’ont pas payé seuls le tribut de leur engagement. La France a aussi perdu 89 soldats, auxquels s’ajoutent 700 blessés, parfois grièvement.
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Le coût exact pour la France reste difficile à établir.  En 2015, Libération évaluait le «coût complet» de la guerre afghane de 8 à 10 milliards d’euros au total. Ce chiffre n’est toutefois qu’une estimation. Le surcoût, soit les dépenses supplémentaires occasionnées par un engagement extérieur (augmentation des soldes, frais de transport, nouveaux équipements, munitions consommées, etc.) et les frais de retrait, sont eux accessibles. Et ils ont coûté «près de 3 milliards d'euros pour les seules dépenses militaires» et, «à l'échéance de 2014, le surcoût total lié à l'opération devrait avoisiner les 3,5 milliards», notaient en 2015 Philippe Meunier (UMP) et Philippe Nauche (PS).  
René Cagnat estime cependant que le bilan français en Afghanistan n’a pas été «tout à fait nul»:
«Nous avions bien commencé, avec de bonnes relations avec les habitants. Néanmoins, les attentats perpétrés contre nous, par des soldats qui étaient à nos côtés, ont noirci le tableau. Nous sommes partis à temps en 2011: nous avions bien raison.»
Selon le spécialiste du conflit afghan, les Français auraient compris assez tôt que les Afghans, lassés par la guerre, en avaient «plus marre de nous, Occidentaux, que des talibans*. Ce n’est pas peu dire.»
Reste que, pour les Français qui ont combattu dix années durant dans les vallées afghanes, la pilule du retrait américain et du retour des talibans* au pouvoir reste difficile à avaler.  
«Quand on voit ces images de Kaboul, c’est profondément triste pour le peuple afghan. Cela n’a pas bougé. C’est vraiment triste que les Afghans reviennent à la case départ», confie ainsi au Parisien un vétéran, Antoine Daoust, ancien du 8e RPIMA.
* Organisation terroriste interdite en Russie.
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