Cours d'Anti-néolibéralisme
Avec l’aide de l’économiste Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, Sputnik entame une série d’émissions dans le but d’expliquer les fondements de ce néolibéralisme qui génèrent les crises répétitives.

Comment une série de circonstances et d’institutions, y compris l’Église, ont contribué à l’entreprise moderne

© Sputnik . Par Omar AktoufLe professeur Omar Aktouf
Le professeur Omar Aktouf - Sputnik Afrique, 1920, 19.08.2021
S'abonner
Dans le cadre du sixième cours d’«Anti-néolibéralisme», le Pr Aktouf explique à Sputnik les facteurs et les dynamiques ayant permis le passage de la manufacture du XVIIIe siècle à l’entreprise moderne. Il évoque le rôle de la collusion entre intérêts financiers et cléricaux dans le façonnage des rapports sociaux entre employeurs et employés.
L’avènement de la Révolution industrielle au XIXe siècle a imposé une nouvelle organisation de la société. En effet, cette dernière est passée d’un état à dominante agraire et artisanale vers un autre organisé autour du commerce et de l’industrie. La figure centrale de ce mouvement historique est le marchand drapier qui a réussi à asseoir son contrôle sur le métier de tissage.
Au début du XXe siècle apparaît une nouvelle organisation du travail, appelée à devenir, dans les décennies qui ont suivi, l’entreprise moderne, telle que nous la connaissons aujourd’hui. Dans le sillage de cette évolution, le fossé entre les pauvres et les riches s’est élargi jusqu’à l’exaspération, au point où l’aumône collectée et redistribuée par l’Église ne suffisait plus à combler la fracture sociale générée.
Ainsi, dans ce contexte, sont apparus des mouvements sociaux et politiques dans différents pays d’Europe et d’Amérique du Nord, dénonçant l’exploitation concertée du peuple par la bourgeoisie manufacturière, qui a succédé à la monarchie et la noblesse, «aidée en cela par un concours déterminant de l’Église, notamment catholique».
De quelle façon l’Église a pris part aux soubresauts du mouvement historique et social ayant présidé à la naissance de l’entreprise moderne? Quelle est la figure cléricale centrale du rôle de l’Église? Quels sont les concepts avancés par le clergé, ayant permis à la bourgeoisie d’asseoir ses règles au détriment des droits les plus fondamentaux de la classe ouvrière?
Dans ce sixième cours d’«Anti-néolibéralisme», Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, affirme auprès de Sputnik que cette collusion clergé-pouvoir, sans doute née à des époques très reculées, «a joué un rôle important incarné par le pape Léon XIII (1810-1903) via son encyclique de 1891, portant sur la doctrine catholique en matière économique et sociale».

«Rerum novarum», ou la «doctrine sociale de l'Église»

L’encyclique en question avait pour nom latin Rerum Novarum, c’est-à-dire «Des choses nouvelles». La rédaction du texte a été assurée par trois théologiens italiens: les jésuites M. Liberatore et C. Mazella, avec le dominicain T.M. Zigliara.
«Les “Choses nouvelles” évoquées par ce document, devenu plus tard une sorte de doctrine sociale de l'Église, sont la manufacture et la Révolution industrielle en cours depuis le XVIIIe siècle et l’apparition des théories économiques libérale puis marxiste», affirme le Pr Aktouf.
Et d’ajouter que «Rerum novarum enseigne aux ouvriers qu'ils doivent être patients, par rapport à leurs conditions socioprofessionnelles difficiles, et dévoués à leurs patrons. Quant aux employeurs, l’encyclique leur rappelle leurs devoirs face aux employés: salaire équitable, horaires et conditions de travail acceptables, etc.».
Dans le même sens, il rappelle que les rédacteurs du Rerum novarum se sont beaucoup inspirés de la pensée du philosophe Saint Thomas d’Aquin (1225-1274). Cependant, ce qui est incompréhensible, c’est que leur raisonnement s’inspire en réalité du libéralisme au détriment de la scolastique. Les analyses et arguments présentés par les rédacteurs présentent des similitudes frappantes avec la pensée du philosophe du libéralisme anglais John Locke (1632-1704), basée sur la notion de propriété privée.

Quelle est la différence entre les deux hommes?

Pour le Pr Aktouf, la différence fondamentale entre Saint Thomas d’Aquin et John Locke réside dans le fait que le premier fonde le droit de propriété socialement et non individuellement.
«C’est un droit collectif à dessein équitable, qui prend sa source dans le bien commun et dont la société constitue le sujet et le but, un droit qui est intrinsèquement limité et sur lequel pèse une dette envers la communauté», explique-t-il.
Enfin, il indique que l’injustice cautionnée à cette époque sévit même de nos jours. «Alors que la lutte contre les injustices et inégalités sociales est devenue un enjeu sociétal central, est-il fortuit que l’encyclique Rerum novarum soit écrite comme une sorte de réponse au livre de Friedrich Engels Conditions de la classe laborieuse en Angleterre en 1844, sacralisant propriété privée et droits de gérance, parut à l’apogée de la Révolution industrielle?»
Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала