Crise sanitaire en Algérie: «le risque de nouvelles vagues de contamination plus violentes est bien réel»

© Photo Bensalem, APPLotfi Benbahmed, ministre de l'Industrie pharmaceutique, Algérie
Lotfi Benbahmed, ministre de l'Industrie pharmaceutique, Algérie - Sputnik Afrique, 1920, 20.08.2021
S'abonner
L’épidémie de Covid-19 continue de faire des morts en Algérie à cause du variant Delta, affirme à Sputnik le Pr Mostefa Khiati, même si les médias en parlent peu à cause des incendies de forêt qui ont accaparé leur attention. Pour lui, le risque de nouvelles vagues encore plus violentes «est bien réel» et il faudrait s’y préparer dès maintenant.
Depuis le 9 août, les incendies de forêt qui ont ravagé 26 wilayas (régions), notamment celle de Tizi Ouzou, en Kabylie, ont fait disparaître des radars des médias la crise sanitaire liée au Covid-19 qui défrayait la chronique les semaines précédentes en Algérie à cause d’une propagation fulgurante du variant Delta. En effet, le manque de médicaments, mais surtout d’oxygène, dans les hôpitaux a causé la mort de beaucoup de patients qui souffraient de détresse respiratoire. Des photos et des vidéos ont montré des scènes où des infirmiers s’arrachaient des bouteilles d’oxygène, au bord d’un camion de ravitaillement, pour alimenter leurs patients. Les hôpitaux des wilayas les plus touchées étaient saturés et dans l’incapacité de recevoir plus de malades.
Dans ce contexte, un élan de solidarité sans précédent a été organisé par les citoyens et certaines associations, à l’intérieur du pays et au sein de la diaspora, notamment en France, pour acquérir des concentrateurs, voir des générateurs et des unités de production d’oxygène médical, au profit des hôpitaux et des cliniques publics.
Jeudi 19 août, les autorités sanitaires françaises ont classé l’Algérie et le Maroc comme zones rouges, concernant la situation épidémiologique en lien avec le Covid-19. Ainsi, les ressortissants non vaccinés doivent présenter un motif impérieux pour se rendre en France, en plus de la présentation d’un test PCR dans les 48 heures précédant leur embarquement et un test antigénique systématique à leur arrivée sur le territoire français.
Où en est la situation actuellement? Les hôpitaux sont-ils toujours saturés et dans l’incapacité d’assurer une prise en charge complète des malades? Y a-t-il un plan public pour remédier au manque d’oxygène dans les hôpitaux? Quel est l’état d’avancement de la campagne de vaccination?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le professeur Mostefa Khiati, médecin-chercheur ainsi que président et fondateur de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (FOREM) en Algérie.

Un malheur en cache un autre

Selon le Pr Khiati, «alors que la crise sanitaire du Covid-19 faisait rage, le drame des incendies de forêt [dont la plus grande partie sont d’origine criminelle, selon les autorités, ndlr] qui ont touché le nord du pays, en particulier la Kabylie, puis le lynchage, l’assassinat puis la destruction de son corps par le feu d’un bénévole accusé à tort d’être un pyromane, Djamel Bensmaïl, ont tellement choqué et scandalisé les Algériens que ceux-ci ont complètement oublié la question de l’épidémie. Or, bien qu’elle soit peu présente dans les colonnes des médias, la situation sanitaire liée au Covid-19 est encore préoccupante et loin d’être maîtrisée».
Et d’informer que «ces derniers jours, un taux de près de 30 décès étaient enregistré par jour, alors qu’avant ce chiffre était compris entre six et 12 décès. Ce taux élevé de mortalité reflète en réalité une situation épidémiologique encore préoccupante».
Après le pic de contamination, jamais atteint depuis le début de la maladie en février 2020, enregistré le 28 juillet avec 1.927 cas, le dernier bilan officiel, donné jeudi 19 août, fait état de 694 nouveaux malades et 31 décès.
Néanmoins, selon le Pr Mostefa Khiati, «malgré cette baisse du nombre de nouveaux cas, la situation demeure toujours délicate. Outre le fait qu’il y ait moins de malades qui affluent sur les hôpitaux, les lits dans la majorité de ces établissements sanitaires sont toujours occupés».

Quid de la pénurie d’oxygène?

Face à la pénurie d’oxygène dans les hôpitaux, l’État algérien a procédé à l’importation de près de «9.000 concentrateurs et de 100.000 litres d’oxygène liquide par bateaux [un litre d'oxygène liquide libère 854 litres de gaz à une température de 15°C et une pression d’un bar, ndlr], tous les deux jours», pour pallier la demande. Par ailleurs, lors d’un conseil des ministres le 8 août présidé par le chef de l’État Abdelmadjid Tebboune, il a été décidé d’augmenter la production nationale d’oxygène liquide, estimée actuellement à 360.000 litres par jour, à 470.000 litres avec l'entrée en service de l'usine de Bethioua à Oran, dans l’ouest du pays.
En plus de ces efforts des pouvoirs publics, la mobilisation citoyenne a également mis à la disposition des hôpitaux des centaines de concentrateurs et de bouteilles d’oxygène. Des dizaines de générateurs et d’unités de production d’oxygène ont été achetés sur le territoire national et à l’étranger. Le PDG du groupe SOUMMAM spécialisé dans les produits laitiers, Lounis Hamitouche, a, à lui seul, équipé 23 hôpitaux répartis sur tout le pays de générateurs d’oxygène.
«Avec tous ces apports, normalement le pays disposera de suffisamment d’oxygène pour faire face à la demande, sous réserve que l’usine annoncée dans l’ouest du pays entre en phase de production», estime le Pr Khiati, précisant que «plusieurs générateurs achetés par les citoyens sont de faible capacité, ne permettant pas de prendre en charge un nombre important de malades».

L’évolution de la campagne de vaccination

Depuis le début de la campagne de vaccination en Algérie, seules 724.812 personnes ont reçu deux doses de vaccin, soit 1,68 % de la population. Au Maroc, 16,9 millions de personnes ont reçu une première dose de vaccin et 12,3 millions s’étaient vu administrer la deuxième dose, soit 30,7% de la population. La Tunisie, quant à elle, a administré 3,4 millions de doses. Plus de 1,4 million de Tunisiens ont été complètement vaccinés, soit 12% de la population. Ainsi, le royaume chérifien est de loin le pays le plus avancé en matière de vaccination au Maghreb et dans toute l’Afrique.
«Malgré l’importation de plusieurs millions de doses de vaccin, la campagne de vaccination peine toujours à avancer, malgré les points de vaccination installés sur les places publiques», informe l’interlocuteur de Sputnik, rappelant que «le ministère de la Santé a annoncé la conclusion d’une convention avec les pharmaciens qui représentent 12.000 points de vente sur le territoire national. Mais à ce jour, ils ne sont toujours pas associés à la campagne de vaccination, ce qui maintient à un niveau faible le nombre de points de vaccination, ce qui se greffe au manque de sensibilisation, même s’il y a actuellement plus de personnes qui souhaitent se vacciner».

«Le risque de nouvelles vagues est réel»

Enfin, alors que «gouverner c’est prévoir» et anticiper, «les autorités algériennes n’ont pas su profiter de la période de répit du premier semestre de l’année, où l’épidémie était à des niveaux faibles, pour devancer les événements en se préparant mieux, d’autant plus que le variant Delta avait été détecté dans plusieurs pays», explique Mostefa Khiati.
Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала