Causes, enjeux et probables répercussions du retrait US d’Afghanistan

© Sputnik . Stringer / Accéder à la base multimédiaTalibans à Kaboul après la reprise du pouvoir
Talibans à Kaboul après la reprise du pouvoir - Sputnik Afrique, 1920, 24.08.2021
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Dans un entretien à Sputnik, le Dr Soufi, expert en géopolitique et en politiques de défense, analyse les causes, les enjeux et les probables conséquences du retrait américain d’Afghanistan et du retour des talibans* au pouvoir. Selon lui, si une politique de développement de grande envergure est lancée, la paix est possible.
Dimanche 15 août, la capitale afghane Kaboul tombait aux mains des talibans* suite au début du retrait des forces américaines engagées dans le pays depuis 20 ans, depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York. Les images d’Afghans tentant de fuir le pays à bord d'avions-cargo de l’US Air Force et de l’Otan ont fait le tour du monde, suscitant émoi, stupéfaction et crainte de voir ce pays devenir à nouveau l’eldorado des organisations terroristes et djihadistes. Depuis juillet, pas moins de 53.000 Afghans ont quitté le pays, selon les autorités américaines.
Commentant la décision de Joe Biden de rapatrier les forces américaines d’Afghanistan, Michael Rubin, chercheur en géopolitique, spécialiste de l’Iran, de la Turquie et du Moyen-Orient à l’American Enterprise Institute, un groupe de réflexion très influent proche des néoconservateurs, condamne la stratégie de la nouvelle administration américaine. En effet, dans une tribune publiée le 22 août par le site 1945, il estime qu’«en permettant à la Chine de faire avancer ses intérêts en Afghanistan, Biden lui permet également de couper l'Inde et d'autres alliés américains de l'Asie centrale. En termes simples […], l'incompétence de Biden met maintenant en péril l'ensemble de l'ordre libéral de l'après-Seconde Guerre mondiale […]. Que Dieu vienne en aide aux États-Unis».
Ainsi, quelles sont les probables visées de la nouvelle stratégie américaine dans la région ayant motivé la décision de Biden? Le retrait des forces américaines est-il un aveu d’échec de l’Otan et des Occidentaux, notamment des États-Unis?
Par ailleurs, l’Afghanistan est-il en passe de redevenir une terre de prédilection pour les organisations terroristes et djihadistes, à l’instar d’Al-Qaïda*, qui pourraient mettre la paix mondiale en péril? Que risquent les régions du Maghreb et du Sahel dans le contexte du retour des talibans* au pouvoir à Kaboul? Que faire pour stabiliser ce pays et le réintégrer dans le concert des nations?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le Dr Abdelkader Soufi, spécialiste en géopolitique et politiques de défense. Pour lui, «il est nécessaire de mettre perspective plusieurs événements qui se sont déroulés avant en Asie centrale et en Biélorussie, afin de pouvoir lire, dans un contexte plus global, ce qui se passe actuellement en Afghanistan, et ses probables répercussions sur la région et le monde dans son ensemble. Il y a lieu également de prendre en considération les dynamiques politiques, sociales et ethniques propres à l’Afghanistan».

​«Ces événements ne peuvent être séparés»

«Le retour des talibans au pouvoir, à Kaboul, a été précédé par les événements quasi insurrectionnels d’octobre 2020, en Kirghizie, par la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan entre fin septembre et début novembre 2020, au Haut-Karabakh, et enfin le soulèvement populaire entre décembre 2020 et début janvier 2021 en Biélorussie», expose le Dr Soufi, soulignant que «tous ces événements ne peuvent être séparés et doivent être traités comme un tout».
Et d’expliquer que «l’Afghanistan a des frontières directes avec le Tadjikistan au nord du pays, qui à son tour est limitrophe de la Kirghizie. Ces deux derniers pays sont depuis quelques années en proie à des activités terroristes et djihadistes, ainsi que séparatistes». Et «il faut savoir qu’au Kirghizistan, il y a une importante diaspora de l’ethnie ouïghoure, originaire de la province autonome musulmane du Xinjiang, en Chine, où sévissent des radicaux islamistes, faisant de cette zone frontalière une région à haut risque terroriste. Au Tadjikistan, le pays le plus en proie à l’influence afghane, des mouvements terroristes, comme le Mouvement islamique du Turkestan oriental* (MITO), pourraient gravement déstabiliser le Xinjiang, sachant que sur pas moins de 4.000 djihadistes d’origine centre asiatique ayant ralliés des organisations comme Daech*, 300 sont des Ouïghours. Parmi les combattants de Daech*, on compte également environ 1.000 Tadjiks, dont un ancien colonel des forces spéciales, Goulmorod Khalimov, qui a commandé cette organisation terroriste».

Une géopolitique «dogmatique et dépassée»

Le retrait des soldats américains et de l’Otan d’Afghanistan «est sans doute une preuve d’un échec total d’une politique de guerre menée sous couvert de lutte contre le terrorisme durant 20 ans dans ce pays», avance l’interlocuteur de Sputnik, soutenant que «le transfert de ces troupes, essentiellement vers la Jordanie, va ouvrir d’énormes possibilités à une évolution majeure des plans de corridors économiques et commerciaux régionaux de la Russie, de la Chine, de l’Iran [invité à rejoindre l’OCS, ndlr] et du Pakistan, le plus important étant celui de la Route de la soie, promu depuis 2013 par Pékin».
Dans le même sens, l’expert juge que «les experts américains et de l’Otan n’ont pas suivi de près les transformations politiques et ethniques en Afghanistan. Les forces talibanes* qui ont repris le pouvoir à Kaboul sont une coalition beaucoup plus complexe, multiethnique et sophistiquée que celles du début des années 2000, quand elles étaient de majorité Pashtoune. C’est ce qui leur a permis de prendre rapidement le contrôle de la capitale afghane, ce que les Russes, les Chinois, les Pakistanais et les Iraniens ont très bien compris et suivi de près depuis au moins 2016».
Ainsi, dans ce contexte, «les stratèges occidentaux, notamment anglo-saxons qui ont remis au goût du jour la géopolitique de l’Empire britannique du XIXe siècle ayant mené aux deux guerres mondiales par l’utilisation notamment de la théorie du Heartland de Sir Halford Mackinder, considéré comme le père de la géopolitique, dans la lecture de la politique extérieure russe et chinoise se trompent lourdement. Car penser que quitter l’Afghanistan de cette façon pourrait générer une guerre civile à même d’embraser le Tadjikistan et la Kirghizie pour impacter la sécurité de la Chine et couper les axes de la Route de la soie [dont Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan-Azerbaïdjan-Turquie, Chine-Kazakhstan-Russie-Biélorussie, Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan-Iran-Turquie, Chine-Pakistan-Iran-Turquie et Pakistan-Afghanistan-Ouzbékistan, ndlr], relève de la chimère. C’est une géopolitique dogmatique et dépassée par les événements, et ce pour plusieurs raisons».

Les talibans ont-ils pris les devants?

En effet, «dès leur arrivée à Kaboul, les talibans* ont rassuré leurs voisins qu’ils ne seront jamais une source de déstabilisation, appelant à l’intégration régionale de l’Afghanistan qui ne veut pas être en marge du développement de cette région. La Russie, qui a mis en garde contre toute atteinte à la sécurité du Tadjikistan et du Kirghizistan, avait mené des exercices militaires avec la Chine sous commandement conjoint dans une zone proche de la région nord de l’Afghanistan».
Enfin, le spécialiste indique que «les organisations terroristes agissant au Sahel pourraient prendre les talibans* comme exemple et tenter de s’attaquer aux pays de la région, considérés comme des valets des puissances occidentales, dont la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le message de félicitations envoyé par le chef du Groupe de soutien de l’islam et des musulmans* (GSIM), la branche sahélienne d’Al-Qaïda*, Iyad Ag Ghali, aux talibans* bien avant la prise de Kaboul. Dans le contexte de la fin de l’opération Barkhane et le retrait de près de la moitié des soldats français avant 2022, il y a lieu de passer au peigne fin les identités des Afghans rapatriés après l’arrivée des talibans*».
*Organisation terroriste interdite en Russie
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