La politique étrangère US: de 1945 à la débâcle en Afghanistan, une succession «de changements dans la continuité»

© Sputnik . Stringer / Accéder à la base multimédiaSituation en Afghanistan après le retour des talibans* au pouvoir, août 2021
Situation en Afghanistan après le retour des talibans* au pouvoir, août 2021 - Sputnik Afrique, 1920, 03.09.2021
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Dans un entretien à Sputnik, Abdelkader Soufi, chercheur en géopolitique et politiques de défense, analyse la politique extérieure des États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, marquée par une succession de conflits jusqu’à la dernière débâcle en Afghanistan. Pour lui, ce ne sont que «des changements dans la continuité».
Dimanche 15 août, la capitale afghane, Kaboul, tombait aux mains des talibans* suite au début du retrait des forces américaines engagées dans le pays depuis 20 ans, depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York. Les images d’Afghans tentant de fuir à bord d'avions-cargo de l’US Air Force et de l’Otan ont fait le tour du monde, rappelant à bien des égards la débâcle de l’armée américaine à Saïgon, à la fin de la guerre du Vietnam.
En effet, cette dernière a commencé en novembre 1955, suite à la guerre d’Indochine et à la défaite de l’armée française en mai 1954, à Diên Biên Phu. La même année, les accords de Genève, ayant mis fin à la guerre, ont divisé le pays en deux parties. Au Nord, la République démocratique du Vietnam gouverné par un pouvoir communiste fondé en 1945 par Hô Chi Minh et soutenu par la Chine et l’Union soviétique. Au Sud, la République du Vietnam proclamée en 1955 par Ngo Dinh Diem qui instaure un système nationaliste épaulé par les États-Unis. Ce n’est qu’en 1964 que le Congrès des États-Unis adopte un projet de loi, donnant les pleins pouvoirs militaires au Président Lyndon Johnson, suite aux incidents du golfe du Tonkin ayant opposé des navires de guerre américains et nord-vietnamiens. En 1965, commence le déploiement de forces terrestres américaines sur le sol vietnamien.
Que peut-on tirer comme enseignements de l’expérience des États-Unis au Vietnam? L’armée américaine est-elle en train de gérer son retrait d’Afghanistan avec les mêmes méthodes que celles qu’elle a utilisées au Vietnam? Dans ce cas, à quoi s’attendre sur les projections stratégiques de la politique extérieure américaine?
Par ailleurs, alors que des similitudes existent entre l’Afghanistan et certains pays du Sahel -notamment le Mali- ou du Maghreb -la Libye-, quelle serait la meilleure manière pour eux de se préparer à ces nouveaux changements mondiaux rampants?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité Abdelkader Soufi, spécialisé en géopolitique et politiques de défense. L’expert estime que pour y voir clair, «il faut regarder ces évènements, que ce soit la guerre du Vietnam ou celle d’Afghanistan, à la lumière de tous les documents déclassifiés et accessibles aux chercheurs, qui font la lumière sur beaucoup de zones d’ombres ayant eu une influence directe sur le déclenchement, le déroulement, la fin et la suite données aux guerres conduites par les États-Unis depuis 1945».

«Une autre vision diamétralement opposée»

«En dehors de tout ce qui est ressassé à n’en pas finir par les médias et les livres d’histoire relevant du politiquement correct, en 1998, le Congrès américain a adopté un projet de loi sur la divulgation des crimes de guerre nazis et sur les archives du gouvernement impérial japonais», affirme Mr Soufi, précisant que «cette loi a permis la déclassification de près de 8,5 millions de documents secrets, concernant notamment les activités de l'Office of Strategic Services (OSS), de la CIA, du FBI et du renseignement de l'armée».
Dans ce sens, le spécialiste indique qu’«alors le Président américain Franklin D Roosevelt avait élaboré une doctrine qui allait façonner le monde d’après-guerre aux antipodes de l’architecture imposée par les puissances impériales, notamment européennes, sa mort en avril 1945 a ouvert la porte à une autre vision diamétralement opposée. En effet, Roosevelt avait imaginé un monde multipolaire qui serait édifié sur un équilibre entre quatre puissances: les États-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne et la Chine. Après son décès, son successeur Harry Truman et le Premier ministre anglais Winston Churchill ont opté pour un monde dirigé par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et le Japon».

Des «changements dans la continuité»

Ainsi, est apparu le témoignage clé de Leroy Fletcher Prouty, ex-colonel de l'US Air Force et chef des opérations spéciales pour les chefs d'état-major interarmées sous Kennedy. En effet, il servait en 1945 à Okinawa, ville japonaise utilisée par les Américains comme base arrière pour préparer l’invasion du Japon et où beaucoup d’armes étaient stockées. Or, «suite à la capitulation du Japon après le bombardement d’Hiroshima et Nagasaki avec des bombes atomiques, l’invasion n’a pas eu lieu et les armes n’ont pas été renvoyées aux États-Unis. Le colonel Prouty, qui était sur les lieux, affirme que la moitié de cet arsenal a été envoyée en Corée et l’autre au Vietnam. Ceci dit, ces deux guerres étaient probablement planifiées par la CIA, bien avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, sous le prétexte de lutte contre le communisme, qui se développera en Guerre froide durant des décennies». «Ceci amène tout observateur à se poser des questions sur le devenir des armes et des technologies de communication abandonnées par l’armée américaine en Afghanistan [plus de 80 milliards de dollars, ndlr]. Vont-elles servir dans d’autres conflits en préparation -à l’image de ce qu'il s’est passé en Corée et au Vietnam-, mais dans le cadre de guerres hybrides et globales avec des moyens et des stratégies de nouvelle génération? L’avenir nous le dira!»
Et de constater que «les États-Unis, qui ont quitté le Vietnam en 1975, se sont lancés dans le soutien à autre guerre à partir de 1979, en Afghanistan, où à nouveau la CIA a formé et armé jusqu’aux dents les moudjahidines islamistes afghans et créé Al-Qaïda* contre le pouvoir communiste du pays, puis contre l’intervention de l’Union soviétique à la demande des autorités afghanes. En 1991, dans le sillage du démembrement de l’Union soviétique, les États-Unis ont tout fait pour s’imposer comme l’hyperpuissance unipolaire à ce jour».
À ce titre, Abdelkader Soufi note que «le soutien américain à l’Irak contre l’Iran, la première et la seconde guerre du Golfe, la seconde guerre d’Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001, les guerres en Libye et en Syrie, anis que toute la politique de changement de régime dans le monde, font en réalité partie intégrante de la même géopolitique anglo-américaine, qui s’ajuste selon les périodes en introduisant juste des changements mais dans la continuité».
Pour l’expert, «la caractéristique commune de tous ces conflits, c’est qu’ils n’avaient de buts stratégiques bien définis à même de permettre aux soldats américains de rentrer au pays une fois atteints. Ceci a fait durer ces guerres des décennies et saigné à blanc l’économie américaine au profit du complexe militaro-industriel, qui a engrangé des milliers de milliards de dollars. Ainsi, se pose la question: qui dirige la politique extérieure des États-Unis et à qui ont profité tous les conflits auquel ils ont pris part, en passant par la Corée, Cuba, le Vietnam, puis l’Irak, la Libye, la Syrie et l’Afghanistan, où règne le chaos depuis des décennies?»

En conclusion

Enfin, le chercheur estime qu’il est «nécessaire d’analyser la politique américaine, encore très influencée par les services de renseignement britanniques, notamment le MI6, qui ont fourni les rapports ayant servi d’alibis pour attaquer l’Irak et l’Afghanistan, sur le long terme et ne pas s’arrêter aux images de désolation, oh combien choquantes, des Afghans fuyant leur pays qui vient de retomber sous le contrôle des talibans*. Il est clair que dans tous ces conflits, l’argent a été la raison principale qui a mené à leur déclenchement».
«Ainsi, en pleine crise financière et économique dont souffre la plupart des pays occidentaux -notamment les États-Unis après la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008- qui croulent sous les dettes aggravées par la pandémie de Covid-19, il va y avoir d’autres réajustements de la politique extérieure des États-Unis dans différentes régions du monde, dont le Maghreb et le Sahel. Cependant, la recherche de gains financiers restera vraisemblablement son principal leitmotiv, sous le prétexte de la lutte antiterroriste qui a succédé à celle contre le communisme», conclut-il.
*Organisation terroriste interdite en Russie
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