Débâcle électorale du PJD: des jours sombres attendent les islamistes marocains

© AP Photo / Mosa'ab ElshamySaadeddine Othmani, leader du PJD et Premier ministre sortant, vote dans sa commune de Salé, le 8 septembre 2021
Saadeddine Othmani, leader du PJD et Premier ministre sortant, vote dans sa commune de Salé, le 8 septembre 2021 - Sputnik Afrique, 1920, 10.09.2021
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Le Parti de la justice et du développement, formation islamiste qui dirige le gouvernement marocain depuis 2011, a subi un cuisant revers aux élections générales. Normalisation des relations avec Israël, incapacité à gouverner sous le contrôle strict du Palais, perte de vitesse du projet islamiste… le PJD semble victime d’un vote sanction.
Les élections législatives du 8 septembre 2021 marquent un coup d’arrêt brutal de dix années de «gouvernance» islamiste au Maroc. Le Parti de la justice et du développement (PJD), majoritaire au sein de la Chambre des représentants et qui dirige le gouvernement depuis 2011, n’est plus la première force politique du pays. La formation islamiste est passée de 107 sièges sur 395 en 2011, puis à 125 en 2016 pour finalement chuter à 13 sièges en 2021. La lampe, symbole du PJD, s’est éteinte au passage de la colombe du Rassemblement national des indépendants (RNI) qui a remporté 102 sièges le 8 septembre. Dirigé par Aziz Akhannouch, milliardaire proche du roi et inamovible ministre de l’Agriculture et de la pêche depuis 2007, ce parti devrait s’allier au sein du Parlement comme au gouvernement au Parti authenticité et modernité (PAM), fondé par le puissant conseiller de Mohamed VI, Fouad Ali El Hima.

Projet islamiste «utile»

Auteur de Géopolitique du Maroc, Kader Abderahim est maître de conférence à Sciences Po (Paris) et directeur de recherche à l’Institut prospective sécurité en Europe (IPSE). Il analyse pour Sputnik les raisons de la débâcle électorale des islamistes du PJD.
«Cette défaite d’une ampleur incroyable peut s’expliquer par le vote d’un électorat radical qui a sanctionné un gouvernement qui n’a pas cherché la rupture avec la manière dont le Palais royal intervient dans les affaires de l’exécutif. Il y aussi l’usure du pouvoir, dix années, ça fini par user. Les deux dernières années de cette seconde législature ont été chaotiques. Ensuite, il ne faut pas négliger que Al Adl Wel Ihsane (association islamiste tolérée par les autorités) avait appelé au boycott de cette élection. Ce sont des dizaines de milliers de voix qui ne se sont pas reportées sur les candidats islamistes du PJD», explique-t-il.
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Kader Abderrahim note que le bilan du long passage du PJD à la tête des pouvoirs législatif et exécutif n’est pas totalement négatif puisque «le projet islamiste» a permis de faire passer une série de réformes. «Les islamistes du PJD sont parvenus à imposer des réformes sans coup férir et sans qu’il n’y ait de mouvements de protestation. Les partis traditionnels que nous connaissons au Maroc depuis 50 ans n’auraient pas réussi à faire passer les mesures sur les prix de base de l’huile, de la semoule, de l’essence. Ils y sont allés progressivement et ont mené à bien ces transmutations», relève le professeur de Sciences Po. Il constate par ailleurs cependant une tendance à l’essoufflement des formations politiques islamistes dans le monde arabe, un phénomène qui semble avoir atteint le Maroc.
«C’est un phénomène que nous voyons se dérouler en Jordanie, en Tunisie, en Égypte et en Algérie. Ce sont des signaux qui montrent que c’est peut-être un reflux. Mais cela ne doit pas être une intuition, il faut analyser ce phénomène de manière rationnelle et scientifique. Il important de l’étudier car il faudra faire une véritable analyse, pour voir s’il n’y a pas un repli politique des islamistes. Nous devons nous poser cette question», relève-t-il.

Une balle dans le pied

L’implication du PJD dans le processus de normalisation des relations avec Israël est également un élément qui semble avoir pesé dans le choix de l’électorat marocain. Réda Chennouf, chef de la rubrique internationale du journal algérien El Khabar, estime que Saadeddine Othmani, en sa qualité de chef du gouvernement et de secrétaire général du PJD, «s’est tiré une balle dans le pied en signant la déclaration établissant les relations officielles avec Israël».
«Nous sommes face à un vote sanction contre ce parti qui a participé activement au processus de normalisation [des relations, ndlr] avec Israël. Pour une large catégorie de militants et de sympathisants du PJD, c’était un acte inadmissible. Il faut savoir que la société marocaine est très engagée en matière de soutien au peuple palestinien. Cette cause est censée être sacrée pour les islamistes, notamment pour la tendance des Frères musulmans à laquelle appartient le PJD. Mais Saadeddine Othmani s’est longtemps opposé à une normalisation avec Israël. Il a fait le contraire et a fini par être sanctionné à la première occasion», affirme le journaliste spécialiste du Maghreb.
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Pour Réda Chennouf, la victoire du RNI et du PAM, dont les dirigeants sont très proches du roi, répond également à des «considérations géostratégiques». «Au-delà des enjeux électoraux, il est évident que le Palais a soutenu Aziz Akhannouch. Ce soutien n’était pas seulement interne, mais également d’envergure internationale puisque Akhannouch a eu droit à une tribune dans le Journal du Dimanche publiée par l’ancien Premier ministre français, Manuel Valls. Ce coup de pouce affiché publiquement par Valls prouve que les milieux pro-israéliens en France et en Espagne sont pour l’instauration d’un gouvernement libéral au Maroc», note Réda Chennouf.
Jeudi 9 septembre, le PJD annonce la démission de Saadeddine Othmani et de l’ensemble des membres du secrétariat général. Le désormais ex-secrétaire général du PJD et ex-Premier ministre a dit assumer l’entière responsabilité de cette défaite électorale. Kader Abderrahim prévoit des jours sombres pour le parti islamiste qui pourrait même subir une opération de «fragmentation».
«Il va sûrement y avoir des règlements de comptes qui seront terribles au sein du PJD. À mon avis, le calcul de l’intelligentsia aristocratique de Rabat et de Fès et des élites économiques de Casablanca consistera à fragmenter le PJD en une multitude de tendances qui vont certainement quitter le parti et qui seront marginalisées. C’est sûrement ce qui va se produire dans les semaines et les mois à venir», indique Kader Abderrahim.
Aziz Akhannouch sera-t-il le chef de la future coalition gouvernementale de tendance libérale? À la tête d’Akwa et d’Aksal, deux puissants conglomérats industriels et commerciaux, le secrétaire général du Rassemblement national dispose de sérieux atouts pour prendre la tête de l’exécutif. Même si son nom est mêlé à divers scandales, notamment dans le secteur des hydrocarbures.
«Il faut maintenant savoir si le patron du RNI a envie de s’engager et, également, si le calcul du roi est de démontrer que ce n’est pas lui qui est aux commandes, même s’il est à la manœuvre. Il choisira alors une personnalité un peu plus neutre qu’Akhannouch, peut-être un candidat de l’Istiklal ou du PAM fondé par le conseiller du roi, Fouad Ali El Hima. Il faut attendre les consultations politiques qui débuteront la semaine prochaine pour connaître les intentions réelles du Palais royal», ajoute le directeur de recherche de l’IPSE.
Le départ du PJD des institutions va provoquer une totale reconfiguration de la classe politique dirigeante au Maroc. Il va imposer également un nouveau mode de gouvernance. Avec un Parlement et un gouvernement totalement acquis, le roi Mohamed VI ne pourra plus se servir des islamistes comme bouc émissaire en cas de crise.
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