Le FMI aide le Liban, mais ce sera «donnant-donnant»

© Sputnik . Mikhaïl Alaeddine / Accéder à la base multimédiaBeyrouth après l'explosion
Beyrouth après l'explosion - Sputnik Afrique, 1920, 17.09.2021
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Le FMI s’est dit prêt à aider le Liban. Néanmoins, cette aide est conditionnée à la mise en place de réformes. Ce qui n’est pas encore gagné compte tenu des fractures internes. En attendant, le pays du Cèdre survit grâce à l’aide humanitaire.
Lueur d’espoir pour le Liban. Après l’arrivée de 33.000 tonnes de mazout iranien, la livraison du fuel irakien et la signature d’un accord régional pour l’acheminement du gaz égyptien, voici que le FMI pointe le bout de son nez pour venir en aide au pays du Cèdre.
«Nous avons eu quelques appels de courtoisie avec des membres du nouveau gouvernement libanais et nous sommes prêts à nous engager avec (eux) dans la période à venir», a fait savoir le porte-parole de l’organisation Gerry Rice, sans toutefois préciser la date et la future mission.
Englué dans une crise sans précédent, le Liban a, tout de même, reçu de la part du Fond monétaire international 607,2 millions de droits de tirages spéciaux (DTS ou SDR en anglais), un avoir de réserve international pour compléter les réserves de change officielles de ses pays membres. «Il appartient au gouvernement de décider comment doivent être utilisés les SDR», a souligné Gerry Rice.

Un nouveau gouvernement opposé aux réformes

Ce geste du FMI en faveur du Liban pourrait constituer la deuxième étape de la restructuration du pays. «La formation du nouveau gouvernement était obligatoire pour un retour du FMI dans les négociations», rappelle Michel Fayad, analyste économique et politique libanais.
«C’est comme de la poudre aux yeux pour la communauté internationale, pour les partenaires occidentaux, même pour le peuple libanais. Mais les politiques le savent parfaitement, c’était la première condition avant d’espérer un retour de l’aide internationale», souligne-t-il au micro de Sputnik.
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Le Liban a enfin un gouvernement mais croule sous les défis
La nouvelle équipe gouvernementale a vu le jour le 10 septembre dernier. Après 13 mois d’errance et au prix d’innombrables réunions et tractations en interne, le Premier ministre Nagib Mikati s’est enfin mis d’accord avec le Président Michel Aoun. Une bonne nouvelle bien sûr, mais néanmoins insuffisante tant la formation du gouvernement ne garantit pas pour autant la mise en place des réformes structurelles. «La question qui se pose, c’est la capacité ou non du gouvernement existant. Il faut une restructuration de la banque centrale, une restructuration du secteur public et la restructuration de la dette sinon on ne pourra stabiliser ni l’économie ni la monnaie, et on ne pourra pas attirer les investissements et on ne pourra pas réellement commencer les négociations avec le FMI», explique Michel Fayad. Et les conditions pour l’obtention d’un prêt sont loin d’être réunies, poursuit-il.
«Le FMI ne va pas donner comme ça, il faut que le Liban puisse le rembourser, c’est donnant-donnant. Tout le monde espère la mise en place de ces réformes, mais elles risquent de traîner et l’aide internationale sera encore bloquée», prévient-il.
Et pour cause, le nouveau gouvernement de Nagib Mikati est proche de la Commission des finances et du budget au Parlement (dont le rapporteur, Nicolas Nahas, est membre du parti du Premier ministre) qui avait «torpillé» le plan de développement Lazard. Ce plan de l’ancien gouvernement libanais avait été accepté par le FMI et par la communauté internationale pour accompagner le Liban dans la mise en place d’un programme économique. Abandonné en raison du poids du «parti des banques», estime l’analyste économique. D’ailleurs, le pays n’a pas touché un centime de l’enveloppe de 11 milliards de dollars récoltés pendant la conférence du Cèdre en avril 2018. Une cinquantaine d’États et d’organisations internationales s’étaient alors mobilisés pour aider le pays à financer son plan de relance économique.
De surcroît, le nouveau ministre des Finances Youssef Khalil avait travaillé à la banque centrale et est un proche de l’indéboulonnable gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, accusé de corruption. Le financier libanais est dans le viseur des justices helvète et française pour «association de malfaiteurs» et «blanchiment en bande organisée». D’ailleurs, il aurait été intercepté à l’aéroport du Bourget où il s’était rendu à bord d’un avion privé appartenant à la Middle East Airlines, le 16 juillet dernier, avec en sa possession 90.000 euros en liquide.
«Ce nouveau gouvernement est aux mains du parti des banques qui protège coûte que coûte leurs intérêts pour éviter l’audit des comptes de la Banque du Liban», assène l’analyste économique.
Pourtant, selon le ministre sortant des Finances Ghazi Wazni, un audit avec le cabinet international Alvarez & Marsal (A&M) est imminent. Cette étude devrait permettre de retracer l’historique des transactions financières et de détecter les éventuelles fraudes pour les porter devant la justice.

Le Liban a reçu 1,6 milliard de dollars d’aide humanitaire

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En attendant l’aide étatique, le pays doit se satisfaire de l’aide humanitaire. Selon les chiffres du Bureau de coordination des Nations unies (OCHA), le Liban est le troisième État derrière la Syrie et le Yémen à recevoir le plus d’aide humanitaire –deux pays en guerre. Rien que pour l’année 2020, Beyrouth aurait reçu 1,6 milliard de dollars. Un chiffre en augmentation de 45,5% par rapport à l’année précédente en raison notamment de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020.

Avec l’accumulation des crises et des pénuries, plus de 75% des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté. Donc l’aide humanitaire paraît à court terme nécessaire pour éviter au pays de sombrer dans le chaos. Sans cette «assistance respiratoire», Michel Fayad «n’ose imaginer ce que serait le Liban». Mais pour notre interlocuteur, cette assistance accentuerait la division et le communautarisme au Liban:
«Comme il y a une perte de confiance vis-à-vis de l’État de la part de la communauté internationale, celle-ci a voulu renforcer les ONG, certaines sont affiliées à des partis politiques, à des communautés et cela crée de fait un certain clientélisme. Le Hezbollah a ses propres associations financées par l’Iran, de même pour les sunnites avec l’aide de la Turquie ou du Golfe», souligne l’analyste politique.
Plusieurs intellectuels libanais, dont la sociologue Mona Fawaz et l’urbaniste Mona Harb, parlent du Liban comme étant «une République des ONG». «En proie à l’effondrement économique et politique, les ONG ont pignon sur rue au Liban», rapporte Michel Fayad.
Autre problème sous-jacent: le poids grandissant des mastodontes internationaux de l’humanitaire. Le Haut comité des réfugiés (HCR), l’Unicef et le Programme alimentaire mondial (PAM) regroupent 70% de cette manne financière, contre seulement 4% pour les organisations locales.
En définitive, la dépendance du pays à l’égard des ONG a ses effets pervers. Prenant de fait la place des acteurs publics locaux, celles-ci empêcheraient tout développement: «Il faut tout repenser, du système de production agricole au système industriel, le Liban ne produit rien.» Il est bien loin le temps où l’on surnommait le Liban la Suisse du Moyen-Orient…
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