Restriction des visas contre les pays du Maghreb: "une mesure électoraliste franco-française"

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Drapeau français - Sputnik Afrique, 1920, 30.09.2021
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Dans les pays du Maghreb, la décision du gouvernement français de restreindre l’octroi des visas aux ressortissants marocains, algériens et tunisiens est perçue comme une mesure "électoraliste" à l’approche de la campagne pour la présidentielle de 2022.
La France semble avoir une vision "unifiée" du Maghreb lorsqu’il s’agit de délivrance des visas. Invoquant un manque de coopération de ces pays sur les OQTF (Obligation de quitter le territoire français), le gouvernement a décidé de réduire de moitié le nombre de visas accordés à l'Algérie et au Maroc, et de 30% à la Tunisie. La décision annoncée mardi 28 septembre par Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement français, a fait grincer des dents à Alger. François Gouyette, l’ambassadeur de France à Alger, a été convoqué dès le lendemain par Rachid Chakib Kaid, le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, pour se voir remettre une "protestation formelle".

"Cette décision qui est intervenue sans consultation préalable avec la partie algérienne comporte l'anomalie rédhibitoire d'avoir fait l'objet d'un tapage médiatique générateur de confusion et d'ambiguïté quant à ses motivations et à son champ d'application. Monsieur Rachid Chakib Kaid a mis en évidence la place centrale de l'élément humain dans la relation algéro-française et souligné la nécessité d'une gestion équilibrée, transparente et conforme aux instruments juridiques bilatéraux et universels du phénomène des mobilités des personnes, concluant que l'Algérie déplore cet acte malencontreux qui frappe de précarité et d'incertitude un domaine sensible de coopération postulant la confiance ainsi que le respect de la dignité des personnes humaines et des engagements pris par les deux gouvernements", précise un communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères.

En attendant de venir à Alger…

Alger rejette donc l’argument du refus de coopérer dans les opérations de rapatriement de clandestins mis en avant par le porte-parole du gouvernement français. Un diplomate algérien contacté par Sputnik a indiqué que la façon même dont a été annoncée cette mesure par le porte-parole du gouvernement français "prouve que c’est une mesure électoraliste franco-française".

"On ne vient pas annoncer une mesure pareille dans une émission de radio, ce n’est pas sérieux. Le Président Macron prépare sa candidature, le porte-parole du gouvernement a donc été chargé de communiquer sur cette décision qui permet aux officiels de jouer dans le même registre que Marine Le Pen et Éric Zemmour. En fait, cela intervient dans le sillage de l’annonce par le Président français d’un projet de loi sur la reconnaissance et la réparation à l’égard des harkis", indique l'interlocuteur de Sputnik.

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Le diplomate algérien estime cependant qu’à l’approche de l’échéance électorale le Président Emmanuel Macron "insistera pour venir à Alger afin de faire une déclaration qui marque les esprits, comme lors de sa visite en 2017 lorsqu’il a qualifié la colonisation de crime contre l’humanité, dans l'objectif de se rallier aussi l'électorat d'origine algérienne".
Contacté par Sputnik, Khalid Mouna, professeur en anthropologie à l’université Moulay-Ismaïl de Meknès au Maroc, spécialiste des questions migratoires, relève que la question de la migration est cruciale pour la classe politique française. "À l’approche de l’élection présidentielle, les personnalités politiques ont intérêt à faire mieux qu’Éric Zemmour dont l’unique capital politique est d’insulter les noirs, les arabes et les musulmans".

"En France, l’islam et l’immigration sont des sujets qui permettent à une personnalité politique de gagner 10 à 15% des votes. C’est une réalité. Emmanuel Macron est un politicien, il change son discours selon le contexte. Il va adapter sa stratégie selon la situation nationale et un électorat qui est très exigeant sur les questions d’immigration. C’est tout ce qui l’intéresse. Pour les Européens, l’immigration permet de changer le paysage politique. S’il n’y avait pas de migrants, ils seraient partis les chercher, car c’est grâce à eux que l’on perd ou que l’on gagne les élections. C’est un discours qui est payant, d’ailleurs les migrants devraient se faire payer rien que pour ce qu’ils sont", ironise Khalid Mouna.

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Confusion

De son côté, Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères, a qualifié la mesure visant à restreindre l’octroi de visas français "d’injustifiée". "La décision est souveraine. Le Maroc va l'étudier, mais les raisons qui la justifient nécessitent de la précision, un dialogue, car elles ne reflètent pas la réalité", a indiqué le chef de la diplomatie marocaine, mardi 28 septembre, lors d’une conférence animée avec son homologue mauritanien Ismail Ould Cheikh Ahmed.

"Je dois reconnaître que j’ai apprécié la déclaration du ministre marocain des Affaires étrangères lorsqu’il a dit que c’est un problème franco-français. Le vrai souci en France, c’est que les problèmes d’emploi, d’insertion professionnelle et de délinquance sont systématiquement liés à des Français de quatrième et de troisième génération. Il y a une véritable confusion entre l’histoire de la migration et la migration actuelle. Et c’est cette confusion qui permet de peser sur l’opinion. La criminalité des migrants est insignifiante, mais les politiques font en sorte de la lier à la situation dans les banlieues. Sauf que l’insécurité dans les banlieues n’est pas un problème migratoire. Ce n’est pas le problème des gouvernements algérien ou marocain. Si ces Français gardent des liens avec leurs pays d’origine, cela ne fait pas d’eux des migrants", note le professeur en anthropologie.

Pour l’heure, le gouvernement tunisien n’a pas encore réagi officiellement à la décision de Paris. Cependant, une source diplomatique tunisienne a assuré qu’il y a actuellement des démarches entreprises en haut lieu "pour comprendre ce qui a motivé cette décision". Une décision qualifiée de surprenante, car "des trois pays du Maghreb, la Tunisie a été celui qui a procédé au plus grand nombre d’opérations de rapatriement de ressortissants en situation irrégulière, ces dernières années".

"Il y a eu beaucoup de demandes françaises ces dernières années, notamment après les attentats terroristes. D’ailleurs, les autorités tunisiennes ont mis en place des vols réguliers pour ces rappariements. Il faut comprendre que nous n’étions pas obligés d’assurer un tel engagement, car cette procédure qui arrange la partie française n’est pas mentionnée dans l’accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire signé entre les deux pays en juillet 2009", assure la source diplomatique tunisienne qui s’est exprimée sous couvert de l’anonymat.

En fait, toujours selon cette source, c’est Paris qui se montre réticent à mettre en œuvre certaines clauses de cet accord. "Le texte prévoit l’octroi annuellement de 7.500 permis de travail de différentes catégories à des Tunisiens, notamment les jeunes. Cependant, très peu ont accès à cette procédure". Notons que les ressortissants français sont exemptés de visas pour se rendre en Tunisie et au Maroc. L’Algérie, par contre, impose le principe de la réciprocité à tout État qui exige un visa d’entrée sur son territoire.
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