La guerre est déclarée entre le Hezbollah et le juge Bitar, suspecté d’être appuyé par Washington

© AP Photo / Hussein MallaHassan Nasrallah
Hassan Nasrallah - Sputnik Afrique, 1920, 13.10.2021
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Au Liban, le juge qui enquête sur l’explosion du port de Beyrouth s’est attiré l’hostilité du Hezbollah. Résultat, sous la pression du parti chiite, Tarek Bitar a été dessaisi une nouvelle fois. Il est soupçonné de servir les intérêts américains.
"La voie judiciaire suivie dans cette affaire pousse le pays vers la sédition. "L’ancien ministre libanais des Finances, Ali Hassan Khalil, ne voit pas d’un bon œil l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth. Le 4 août 2020, cette catastrophe avait fait 215 morts, 6.500 blessés et détruit une partie de la capitale libanaise.

Le député du mouvement chiite Amal lance un avertissement lourd de sous-entendus à peine voilés: "Il y aura une escalade politique et peut-être d'une autre nature, si le cours de cette affaire n'est pas corrigé."Il a refusé hier de comparaître devant le juge Tarek Bitar, chargé des investigations. Résultat, le magistrat a émis un mandat d’arrêt contre l’homme politique. Un choc frontal qui ne pouvait rester sans conséquence, aboutissant à un énième rebondissements dans le bras de fer opposant la justice à la classe politique libanaise.
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Le juge Bitar a été finalement temporairement dessaisi du dossier le 12 octobre. En septembre dernier, il avait déjà été suspendu provisoirement à la suite d’une plainte déposée par l’ancien ministre de l’Intérieur sunnite Nouhad Machnouk.
Ce nouveau dessaisissement résulterait surtout de l’intervention de Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah. Le leader du parti chiite libanais s’en est pris publiquement au magistrat ce 11 octobre. Il l’accuse notamment de partialité. La plupart des dirigeants visés par ses poursuites étaient en effet proches politiquement du Parti de Dieu (traduction de Hezbollah). "Nous voulons un juge honnête et transparent et que l’enquête se poursuive", a-t-il lancé avant de marteler: "Aux familles des victimes, je dis: “Vous n’arriverez pas à la vérité et à la justice avec le juge Bitar.”"

Washington derrière le juge Bitar?

Même son de cloche pour la défense d’Ali Hassan Khalil. Dans une interview accordée à la chaîne libanaise Al-Mayadeen, l’accusé a déclaré: "Le juge Bitar a le droit d'avoir une opinion politique en tant que citoyen, mais, en tant que juge, il est responsable de la justice. […] Aucun juge ne peut rester dépendant des médias ou de l'opinion publique. "Taxé de parti pris sur l’affaire, le magistrat serait même soupçonné de recevoir des soutiens de l’étranger. "L'enquêteur judiciaire a rencontré, quelques minutes après l'émission du mandat d'arrêt contre moi, une délégation étrangère pour une durée de quarante-cinq minutes", indiquait Ali Hassan Khalil sans préciser la nationalité de cette délégation.
Une position partagée par Hassan Fadlallah. Le 13 octobre le député du Hezbollah a pour sa part pointé du doigt les ingérences américaines dans l’enquête sur l’explosion du port.
"L'intervention américaine vise à empêcher les responsables libanais de sortir les enquêtes du cercle de la politisation. La position américaine reflète une partie de l'intervention directe dans les enquêtes pour les détourner." Pour lui c’est évident, Washington se servirait de Tarek Bitar "pour régler des comptes avec la résistance".
Le responsable médias du Hezbollah justifie ces accusations par les déclarations officielles des Américains. En effet, le 12 octobre, lors d’un point presse, le porte-parole du département d’État américain Ned Price a déclaré: "Nous soutenons l'indépendance de la justice libanaise. […] Nous avons toujours été clairs, en rappelant que les activités terroristes et illicites du Hezbollah menacent la sécurité, la stabilité et la souveraineté du Liban. "Plus tôt, Washington avait déjà exprimé son inquiétude concernant le rôle du puissant parti chiite dans le premier dessaisissement du juge Tarek Bitar.

Une manifestation prévue pour demander le départ du juge

Cette internationalisation de l’enquête sur l’explosion du port a semé la zizanie au sein du gouvernement. Alors que les dirigeants se réunissaient le 12 octobre pour évoquer les perspectives budgétaires de l’année 2022, le ministre de la Culture, Mohammad Mortada, s’est lancé dans une diatribe contre le juge Bitar, brandissant même la menace d’une démission de tous les ministres chiites en cas de maintien de l’enquêteur. À peine formée depuis un mois et demi, la nouvelle équipe gouvernementale était à deux doigts d’imploser. D’ailleurs, le conseil des ministres du 13 octobre a été reporté sur fond de désaccords dans l’affaire du juge Bitar.
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Mais le tandem chiite Amal-Hezbollah ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Les deux partis ont prévu d’organiser une manifestation devant le Palais de justice le 14 octobre pour réclamer le départ du magistrat. Ce différend cristalliserait ainsi les tensions politiques. Les partis d’opposition organisant une contre-manifestation. "En réaction aux menaces de recourir à d'autres moyens pour faire obstruer le travail du juge Bitar, j'appelle le peuple libanais libre à être prêt à un blocage total et pacifique, au cas où l'autre partie tente d'imposer sa volonté par la force",a appelé Samir Geagea, le chef des Forces libanaises.
L’affaire du juge Bitar semble dépasser de loin le cadre de l’enquête sur l’explosion du port.
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