Tunisie-Israël: "Il ne peut y avoir de normalisation avec notre agresseur"

© AFP 2023 MENAHEM KAHANANaftali Bennett
Naftali Bennett - Sputnik Afrique, 1920, 21.10.2021
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Soulevée par un ministre israélien, la question de la normalisation entre Tunis et Tel Aviv a provoqué une polémique. L’établissement des relations avec Israël est rejeté de façon unanime par la population, qui n’a pas oublié le bombardement aérien du siège de l’Organisation de Libération de la Palestine installé dans la localité de Hammam Chatt.
Il a suffi d’une petite phrase, d’une simple insinuation de Aïssaoui Farij, le ministre israélien chargé de la Coopération régionale pour créer une véritable polémique en Tunisie et dans les pays du Maghreb. Le 18 octobre, en marge d’une visite aux Émirats arabes unis, l’unique ministre d’origine arabe du gouvernement de Naftali Bennett a accordé une longue interview au média en ligne Erem News dans laquelle il a affirmé qu’à l’avenir, d’autres pays arabes ou musulmans pourraient reconnaître Israël à l’avenir.
"Tout comme les Émirats arabes unis, l’Égypte et la Jordanie par le passé, le Sultanat d’Oman, la Tunisie, le Qatar, la Malaisie et d’autres pays pourrait accepter [la normalisation avec Israël, ndlr]. Pourquoi les Émirats ont-ils accepté et pas le Sultanat d’Oman? L’entente et la paix sont dans l’intérêt de tous les peuples de la région" a souligné le ministre israélien chargé de la Coopération régionale.

Perception

La déclaration d’Aïssaoui Farij, qui avait exprimé une supposition, a été perçue comme l’annonce d’une prochaine reconnaissance d’Israël par la Tunisie. Le vœu de ce ministre de gauche, qui a fait la promotion de la paix et d’une solution à deux États tout le long de cette interview, semble avoir été sorti de son contexte. Pour certains médias, les propos en question laissent présager une normalisation entre Israël et les États cités. Sur les réseaux sociaux, la petite phrase a donné lieu à de multiples interprétations avec souvent une dimension maghrébine.
En Tunisie, un ancien ministre des Affaires étrangères est venu créer une polémique dans la polémique au lendemain de la déclaration d’Aïssaoui Farij. Ahmed Ounaies, qui a été chef de la diplomatie en 2011, a indiqué sur les ondes de Mosaïque FM que la "Tunisie ne consid[érait] pas Israël comme son ennemi". Une vision que ne partage pas Belahssen El Yahiaoui, chercheur en histoire politique. Contacté par Sputnik, il précise que "la Tunisie est en guerre contre Israël".
"Sur la question de la normalisation des relations avec l’entité sioniste, la situation de la Tunisie est totalement différente de celle d'autres pays arabes. La guerre et le sang séparent la Tunisie et Israël car ce dernier a mené une offensive militaire contre notre territoire. C’est une situation d’hostilité qu’on ne peut occulter car il ne peut y avoir de normalisation avec notre agresseur", souligne-t-il.
Tunis (archive photo) - Sputnik Afrique, 1920, 16.10.2021
Tunisie: la guerre des Présidents
L’universitaire fait référence au raid aérien mené le 1er octobre 1985 par l’aviation israélienne contre Hammam Echatt, localité de la banlieue sud de Tunis, où l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP) avait installé son quartier général. "L’opération Jambe de bois", menée par dix chasseurs-bombardiers F-15 Eagle, avait coûté la vie à 50 Palestiniens et à 18 Tunisiens en plus d’une centaine de blessés. Pour Belahssen El Yahiaoui, cette attaque qui a ciblé le territoire tunisien est l’un des éléments qui renforcent le rejet de la société envers toute idée de normalisation. Il reconnaît cependant l’existence de cercles favorables à l’établissement de relations avec Israël.
"Tout ce qui est dit sur une éventuelle normalisation de la Tunisie qui ferait ainsi partie de la prochaine caravane des accords d’Abraham avec le Sultanat d’Oman est faux. La population tunisienne s’oppose à la normalisation. Malheureusement, les Israéliens s’appuient sur certains cercles en Tunisie pour promouvoir les relations. Il s’agit notamment des liens qui unissent Israël à la communauté juive qui était assez importante dans notre pays. À certaines périodes, cela a donné lieu à une forme de normalisation culturelle, artistique et académique. Mais les relations sont restées à ce niveau. Rien d’officiel n’a été enregistré sur les plans politique et économique. Si les gouvernants tentent d’imposer des rapports avec l’entité sioniste, ils feront face au rejet de la population tunisienne", avertit-il.

Le lobby islamiste

Belahssen El Yahiaoui estime également que la mise à l’écart du parti islamiste Ennahda a écarté tout projet de normalisation avec Tel Aviv. "Sur la scène politique, ce sont les cercles proches des Frères musulmans* qui ont posé les jalons de la reconnaissance d’Israël par la Tunisie, notamment lors du refus de l’inscription dans la Constitution de 2014 du principe de l’interdiction de toute normalisation avec l’État sioniste", indique le chercheur en histoire politique.
"Nous constatons que la majorité des gouvernements qui se revendiquent des Frères musulmans* dans les pays arabes ont établi des relations avec Tel Aviv; le Maroc et la Jordanie en sont les parfaits exemples. Après le retrait des Frères musulmans* des cercles de décision en Tunisie, nous pouvons dire que le spectre de la normalisation a disparu", ajoute-t-il.
Belahssen El Yahiaoui voit le rejet de la normalisation par le Président Kaïs Saïed, comme "un acte sincère qui ne répond pas à des considérations électoralistes". Selon lui, même si le chef de l’État tunisien assume pleinement ce choix, il fait également face à des "pressions financières et économiques" pour décréter un rapprochement officiel avec Israël. "Ces pressions sont exercées par l’entité sioniste et surtout par les puissances qui la soutiennent", dit-il. Pour M.El Yahiaoui, l’intransigeance de la société tunisienne sur ce sujet constitue la meilleure des protections.

*Organisation terroriste interdite en Russie
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