L’hôpital à genoux? "Les gouvernements successifs ont dégoûté les professionnels de santé!"

© AFP 2023 Ludovic MARIN / POOL / AFPOlivier Véran et Emmanuel Macron à l'hôpital de la Timone, 2 septembre 2011
Olivier Véran et Emmanuel Macron à l'hôpital de la Timone, 2 septembre 2011 - Sputnik Afrique, 1920, 29.10.2021
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L’hôpital public, financièrement contraint depuis des décennies, est à bout de souffle. Fermeture des lits accélérée par le Covid, démissions en chaîne: alors que les épidémies saisonnières arrivent, les soignants s’alarment du déficit capacitaire.

"La situation est telle que si on voulait tuer l’hôpital public, on ne s’y prendrait pas autrement."

Olivier Youinou, infirmier anesthésiste et secrétaire général du syndicat Sud Santé auprès de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, ne cache pas son amertume.
Alors que l’épidémie de bronchiolite prend de l’ampleur, avec en une semaine une hausse de 23% des passages aux urgences et de 30% des hospitalisations d’enfants de moins deux ans, un constat fâcheux apparaît: les lits manquent. En pédiatrie, la situation serait "catastrophique", selon le Collectif Inter-Hôpitaux (CIH) qui tirait le 27 octobre dernier le signal d’alarme à l’occasion d’une conférence de presse en ligne.
Des médecins français - Sputnik Afrique, 1920, 30.04.2020
Oui, les hôpitaux ont bien procédé au «tri» des patients
"Nous vivons une situation dramatique, inédite, mettant en jeu le pronostic vital d’enfants en situation d’urgence", déclarait alors le docteur Oanez Ackermann, du service d’hépatologie pédiatrique à Bicêtre. "Nous sommes aussi contraints d’annuler, au dernier moment, en fonction des places restantes disponibles, des hospitalisations programmées depuis plusieurs mois. Nous en sommes déjà à un compte de 25 annulations en quatre semaines, poursuit-elle. Toutes les semaines, nous sommes contraints de choisir parmi les patients ceux que nous allons pouvoir accueillir."

La promesse d’un plan massif d’investissement

Ce n’est pourtant pas la première fois qu’un tel constat est dressé face à cette épidémie saisonnière, dont les dates ne changent pas d’une année sur l’autre. "On a déjà connu cela à moindre échelle. Il y a deux ans, avant le Covid, on avait dû transférer depuis la région parisienne des petits patients vers des CHU de province, notamment de Rouen", se rappelle Olivier Youinou. "L’alerte avait été forte, mais on n’a pas eu de réponse", déplore-t-il.
"On est plus qu’à flux tendus: on arrive aux capacités maximales des hôpitaux", abonde le docteur Jérôme Marty, président du syndicat de l’Union française pour une médecine libre (UFML).

"On est dans un contexte d’épuisement des personnels, de manque de personnel, d’arrêts de travail qui font qu’alors même que le nombre de bronchiolites est inférieur à celui qu’on avait en 2019 ou en 2020, leur impact est beaucoup plus important", développe le médecin généraliste.

Cette situation interpelle d’autant plus au sortir d’une pandémie mondiale, où le rôle clé des soignants et du système de santé était mis en avant jusqu’au plus haut sommet de l’État.
En mars 2020, au plus fort de la crise sanitaire en France, Emmanuel Macron promettait depuis l’hôpital de campagne installé à Mulhouse un "plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières" dans l’hôpital.

Suppression des lits, hausse des démissions et explosion des intérims

S’en suivait à l’été un Ségur de la santé où le déblocage de 8 milliards d’euros était annoncé afin de revaloriser les salaires des soignants. Une revalorisation "historique", se targuait la majorité. Insuffisante et trop tard, à en croire nos intervenants.

"On a des collègues de plus en plus nombreux qui demandent leur mise à disposition de la fonction publique hospitalière pour aller voir si la misère est moins pénible ailleurs ou envisager des reconversions professionnelles où ils ne seront peut-être pas mieux reconnus, mais mieux rémunérés", développe Olivier Youinou.

Alors qu’"environ 20 %" des lits hospitaliers seraient actuellement fermés, selon le Conseil scientifique, faute de personnel, l’infirmier souligne également l’explosion des coûts relatifs aux intérims.
"On est presque à 30% de nos budgets intérim et de remplacements." Pour l’infirmier, l’approche comptable qui était celle des réformes hospitalières menées par les gouvernements successifs a fait perdre tout son sens à l’engagement des personnels de santé.

"Je n’ai pas envie de prendre en charge ‘une pathologie’: je prends en charge un homme, une femme, qui présentent une pathologie à un moment de leur vie. Le temps que l’on passe à leur expliquer ce qui leur arrive, ce qu’on va leur faire, comment ils vont s’en sortir, est jugé perdu car non quantifiable, non rentable. Car il ne correspond à aucune case qui donne lieu à une rémunération. Les gouvernements successifs ont progressivement dégoûté les professionnels et aujourd’hui, c’est l’apogée."

Du côté gouvernemental, où la critique du CIH passe mal, on feint l’étonnement, voire l’affront. "Il n’y a pas de tri", rétorquait le 28 octobre Brigitte Bourguignon, après qu’une sénatrice a relayé le message du collectif. "Sur la pédiatrie, c’est sûr, il y a des tensions, nous n’en disconvenons pas", concédera toutefois la ministre déléguée à l’Autonomie.

"Cela a été le cas durant le Covid, tout le monde veut l’ignorer", rappelle l’infirmier anesthésiste. "Dans les secteurs de réanimation Covid dédiés, nous avions des signalétiques qui nous disaient: ce patient-là ‘oui’ et celui-ci ‘non’. Donc cette logique-là on l’a déjà eu! Comment pouvait-on faire autrement lorsque l’on avait 5.000 lits alors qu’il en fallait 15.000?"

La veille de cet échange au Sénat, à la sortie du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal annonçait le lancement d’une enquête afin d’"objectiver la situation" dans les hôpitaux. Un écran de fumée, dans la mesure où la raison de ces carences du système de santé français n’est pas à chercher bien loin. "On est en train de payer cash les trente ans de politique sanitaire marqués par l’échec", tance le docteur Marty.

"La situation est telle que si on voulait tuer l’hôpital public, on ne s’y prendrait pas autrement. "Suppression des lits, hausse des démissions et explosion des intérims" On a toujours eu une politique de coûts. On n’a jamais voulu regarder ce que rapporte la santé alors que c’est un secteur éminemment créateur de richesses. À partir de là, on n’a jamais voulu considérer quel était le cœur atomique de ce système –les soignants. Si vous ne respectez pas votre cœur atomique à un moment où a un autre, vous avez une fuite radioactive!"

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