Au Cameroun, la justice au banc des accusés

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Marteau de justice, image d'illustration - Sputnik Afrique, 1920, 19.11.2021
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Les avocats des détenus séparatistes camerounais ont décidé de suspendre leur participation devant les juridictions. Ils dénoncent la violation des droits de l’homme dans les procédures judiciaires ouvertes à l’encontre de leurs clients. Des dénonciations récurrentes qui mettent à nue, selon bon nombre d’observateurs, "une justice aux ordres".
Dans la mouvance des différentes crises qui secouent le Cameroun depuis quelques années -notamment le conflit séparatiste dans ses régions anglophones et le climat sociopolitique tendu depuis la présidentielle de 2018-, la justice est régulièrement portée au banc des accusés à cause du traitement des détenus, arrêtés dans le cadre de ces tensions. Les avocats de la défense n’ont de cesse de dénoncer des traitements inhumains et de nombreuses violations des droits de l’homme.
"Ce que nous vivons actuellement, en ce qui concerne la situation des +prisonniers politiques+ ou des détenus arrêtés dans le cadre de la crise anglophone, est un déni de droits. Ces personnes, qui ont été arrêtées et ensuite détenues dans des conditions inhumaines, continuent de subir les affres d'un système judiciaire aux ordres. C'est une situation désastreuse de violation du droit à un procès équitable, du droit à la justice et surtout une justice rendue dans un délai raisonnable", se désole au micro de Sputnik, Cyrille Rolande Bechon, directrice exécutive de l'ONG Nouveaux Droits de l'homme Cameroun.
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En effet, le 15 novembre, les avocats constitués pour la défense des détenus poursuivis dans le cadre de la crise séparatiste qui déchire les régions anglophones du Cameroun ont décidé de suspendre leur participation devant les juridictions, notamment le tribunal militaire de Yaoundé. Ils s’insurgent contre la violation des droits fondamentaux de leurs clients par les autorités judiciaires. Dans les colonnes du quotidien Le jour du 17 novembre, Me Amungwa Tanyi, chargé de la communication de ce collectif d’avocats revient sur la motivation immédiate de cette suspension, révélant le cas de trois de leurs clients déportés de la prison centrale de Kondengui et conduits nuitamment au service central des recherches judiciaires au secrétariat d’État à la Défense (Sed) "sans un titre signé par une autorité ceci en toute violation des règles en matière de la défense". Ces trois détenus, indique-t-il, devraient comparaître ce 15 novembre. Mais ils n’ont pas été extraits des cellules de la gendarmerie où ils sont détenus. Le collectif d’avocats exige que les trois détenus soient ramenés en prison par les responsables du Sed.

Des accusations récurrentes de violations des droits de l’homme

Ce collectif des avocats des détenus séparatistes dénonce aussi bien d’autres exactions comme "la torture de leur client pendant l’enquête préliminaire, des jugements sans témoins de l’accusation. Certains sont en prison pendant six, quatre ans sans être jugés".
Les dénonciations portées par ces hommes de loi ne sont pas isolées. En septembre dernier, le collectif d'avocats commis à la défense des militants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) -arrêtés dans le cadre des manifestations de la crise postélectorale- de Maurice Kamto, principal opposant de Paul Biya, a renoncé à poursuivre la procédure devant la justice, face à l'impossibilité d'avoir "accès à une justice équitable". Ils dénonçaient déjà "l’arbitraire" dans les procédures en cours devant la justice camerounaise, citant "l’absence d’indépendance et d’équité des juges", le "refus systématique et manifeste d’appliquer la loi".
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Les autorités camerounaises ont pris l'habitude de réfuter systématiquement ces accusations. Dans un récent entretien accordé à Sputnik, Jean De Dieu Momo, ministre délégué auprès du ministre de la Justice, soulignait l’indépendance du système judiciaire local: "Le pouvoir judiciaire, contrairement à ce que les gens pensent, n'est pas tenu par le ministère de la Justice […]. D’ailleurs, la justice camerounaise est la plus indépendante de la sous-région du continent". Cependant, la réalité ne plaide pas pour elle, souligne Cyrille Rolande Bechon, qui estime qu’il est plus que nécessaire de "restaurer la sacralité de cette justice en menant des actions à différents niveaux".
"Au niveau de l'État, il est important d'améliorer et, à terme, de garantir l'indépendance de la justice. La séparation des pouvoirs est un principe cardinal de l'État de droit. En travaillant sur cet aspect essentiel, la justice pourra aisément jouer son rôle de protecteur du citoyen. Des mesures doivent être prises pour garantir la célérité et une bonne administration de la justice. Il n'est pas inutile de rappeler ici que le Cameroun a déjà pris des engagements aussi bien au niveau africain et au niveau onusien, et qu'il s'agit actuellement de s'y conformer. Les avocats et les organisations de la société civile doivent documenter les cas de violations dont ils ont une parfaite connaissance pour les soumettre aux institutions internationales de protection et de suivi de la situation des droits humains, afin de contraindre nos dirigeants à respecter leurs engagements", suggère l’experte des droits de l’homme.
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