"Montrez-nous ce qu’il y a dans les camions": un convoi de l’armée française bloqué au Burkina Faso

© AFP 2023 MICHELE CATTANIDes soldats français de l'opération Barkhane
Des soldats  français de l'opération Barkhane  - Sputnik Afrique, 1920, 20.11.2021
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Au Burkina Faso, depuis le 16 novembre, plusieurs centaines de manifestants s’opposent à l’avancée d’un convoi de l’armée française en provenance de la Côte d’Ivoire et en transit pour le Niger. Il s’agit là d’un nouvel acte de l’hostilité exprimée ces dernières années par de nombreux Burkinabè contre la présence militaire française au Sahel.
L’armée française n’est pas la bienvenue au Burkina Faso. Du moins, nombreux sont les Burkinabè qui ne cessent de le marteler année après année, avec une hostilité de plus en plus marquée à mesure que la situation sécuritaire se dégrade dans leur pays en particulier, et dans le Sahel en général.
Depuis le 16 novembre, des centaines de manifestants s’évertuent à barrer le chemin à un important convoi militaire français en provenance de la Côte d’Ivoire et en route pour le Niger. Ils répondent ainsi à l’appel d’une organisation de la société civile, la Coalition des patriotes du Burkina Faso (COPA/BF), qui a fait de la lutte contre "l'impérialisme français" son cheval de bataille.
Si le convoi a pu franchir les étapes de Bobo-Dioulasso et Ouagadougou où il avait été temporairement bloqué, à Kaya (ville à 100 kilomètres de Ouagadougou), la tâche s’annonce beaucoup plus ardue avec des centaines de manifestants postés à l’entrée de la ville et déterminés à ne pas céder d’un pouce.
Pour l’heure, le face-à-face reste tendu entre soldats français et manifestants burkinabè qui exigent de contrôler les véhicules.
"Nous sommes dans une situation sécuritaire très complexe. Jour et nuit, nous perdons nos soldats au front et ne comprenons pas ce qui se passe. Et bizarrement nous voyons des camions de l’armée française qui traversent notre pays en direction du Niger. Nous demandons tout simplement à l’armée française de nous dire ce qu’il y a à l’intérieur de ces camions, nous exigeons de le voir", avait expliqué aux médias burkinabè Roland Bayala, porte-parole de la COPA/BF, lors de la tentative de blocage à Ouagadougou le 17 novembre.
M. Bayala estime que cela ne fait aucun doute que la France a une grande part de responsabilité dans l’insécurité au Burkina Faso et au Sahel. Ses propos ne sont pas sans évoquer ceux du Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga, qui a récemment accusé l'Hexagone d’avoir entraîné des groupes armés terroristes au Mali.
En tout état de cause, pour Emmanuel Desfourneaux, directeur de l'Institut afro-européen de Paris interrogé par Sputnik, la situation actuelle au Burkina Faso constitue un "échec" pour Emmanuel Macron.
"L’armée française est perçue par une grande partie de la jeunesse de pays comme le Burkina Faso, le Mali ou le Niger comme étant une armée d’occupation. Et cela se perçoit à travers cet événement qui, vraiment, est sans précédent et plus que jamais symbolique d'un rejet réel de l’armée française et plus généralement de la politique africaine de la France. On voit bien qu’Emmanuel Macron a voulu faire de la jeunesse africaine sa cible prioritaire. Il y a eu le discours de Ouagadougou et le sommet inédit Afrique-France à Montpellier pour cette jeunesse. Et c’est aujourd’hui cette même jeunesse qui, en Afrique, ne semble pas être en accord avec la politique africaine d’Emmanuel Macron. Je vois donc cela comme un échec du Président français", a-t-il déclaré.
Il faut par ailleurs noter que le blocage de ce convoi survient alors que des manifestations contre la dégradation continue de la situation sécuritaire se déroulent dans plusieurs villes du Burkina Faso, avec pour élément déclencheur l’attaque du détachement de gendarmerie d’Inata, dans le nord du pays.
Le bilan officiel provisoire de cette offensive perpétrée par des hommes armés le 14 novembre s'élève à 53 morts (49 gendarmes et quatre civils) et se présente comme l’un des plus lourds subis par les forces de défense et de sécurité depuis la contagion djihadiste en 2015.
Les Burkinabè, exaspérés de l’impuissance apparente de leurs autorités à mettre un terme aux attentats terroristes qui ont déjà fait 2.000 morts, en grande majorité des civils, et poussé officiellement 1,4 million de personnes à fuir vers des zones plus sûres, investissent donc les rues du pays depuis le 16 novembre, à l’appel du mouvement "Sauvons le Burkina Faso". L’objectif étant d’exiger la démission du Président Roch Kaboré.
Une publication de l’un des responsables du mouvement "Sauvons le Burkina Faso" qui a appelé à des marches de protestation dans toutes les villes du pays
Selon certains observateurs, la colère et le manque de confiance actuels vis-à-vis des autorités sont tels qu’il n’est pas exclu qu’ils puissent finir par déboucher sur une insurrection populaire comme celle qui avait chassé en octobre 2014 Blaise Compaoré, alors au pouvoir depuis 27 ans.
"Qu’il dégage avec elle"
La colère qui gronde semble s’en prendre indifféremment, en les associant, au gouvernement et à son allié français, lequel cristallise depuis un moment les suspicions, même sur la base d’éléments non fondés.
En octobre 2019, la rumeur de l’implantation d’une base militaire française à Djibo, dans le nord du Burkina Faso, avait créé un véritable tollé sur les réseaux sociaux au point que Rémi Dandjinou, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement d’alors, avait dû intervenir pour la démentir. En effet, il avait assuré, lors d’une conférence de presse à Ouagadougou, qu’il n'y avait pas de base française installée à Djibo, contrairement à ce qu’avait annoncé un média en ligne malien.
Toutefois, il avait précisé qu’à la demande du gouvernement burkinabè, la force française Barkhane était intervenue à deux reprises, en septembre, dans cette zone. Des interventions qui ont été confirmées par l’État-major des armées français.
Les déclarations du gouvernement n’avaient pas suffi à rassurer de nombreux internautes qui ont continué d’exprimer leur crainte que leur pays ne finisse par ressembler au Mali voisin où, en plus des militaires français de la force Barkhane, plus de 13.000 Casques bleus sont déployés.
Kémi Séba - Sputnik Afrique, 1920, 03.11.2021
Kémi Séba: "Les arrestations des militants panafricanistes sont une victoire sur le néocolonialisme"
Depuis l’épisode d’octobre 2019, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la rue, des Burkinabè ont à plusieurs reprises protesté contre la présence militaire française sur leur sol. Ce fut récemment le cas lors de la marche organisée le 30 octobre dernier par la COPA/BF à Bobo-Dioulasso. À cette occasion, le militant panafricaniste Kémi Séba, convié par l’organisation, s’était vu arrêté et expulsé par les autorités. Et la marche avait très vite été dispersée par les forces de sécurité. Mais pour cette fois, le porte-parole de la COPA/BF s’est voulu formel: "soit le Président Roch Marc Christian Kaboré demande à la France de dégager de notre territoire, soit il dégage avec elle s’il refuse".
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