Sénégal: sous pression des urgences, Macky Sall restaure le poste de Premier ministre

© AP Photo / Ludovic MarinMacky Sall
Macky Sall - Sputnik Afrique, 1920, 25.11.2021
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Sans Premier ministre depuis mai 2019, le Président sénégalais décide de revenir à la case départ. Autant pour échapper aux premières lignes des joutes politiques que pour accélérer la réalisation de ses projets tout en donnant un peu de son temps à l’Union africaine.
C’est un rétropédalage auquel s’est livré le Président Macky Sall. En conseil des ministres du 24 novembre, le chef de l’État sénégalais a annoncé le rétablissement de la fonction de Premier ministre supprimée en mai 2019 au terme d’une modification constitutionnelle qui n’avait convaincu que les membres de son parti et ses alliés politiques.
"Le Président de la République a […] informé […] de sa volonté d’initier une révision de la Constitution en vue de l’instauration du poste de Premier ministre. Cette restauration, qui vient ainsi adapter l’organisation du pouvoir exécutif à un nouvel environnement économique et sociopolitique, s’accompagne d’une nécessaire requalification des rapports entre l’exécutif et le législatif, notamment la réintroduction de la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale et le pouvoir de dissolution de celle-ci dévolu au Président de la République", souligne le communiqué dudit conseil des ministres.
La parenthèse du "fast-track" n’aura donc duré que deux ans et demi. Cette stratégie d’accélération de la mise en œuvre des réformes et politiques économiques avait été l’un des arguments majeurs avancés par Macky Sall lui-même pour supprimer le poste de Premier ministre. Une station assimilée à un goulot d’étranglement devenu un théâtre d’affrontements entre ministres soucieux de faire valider leurs projets sectoriels.
"Cette incongruité consistant à supprimer le poste de Premier ministre et à faire du titulaire de ce poste le secrétaire général de la présidence a exposé davantage le Président de la République à la critique. En même temps, elle a accentué la centralisation déjà excessive du pouvoir tout en retardant les solutions à apporter aux urgences sociales", constate Pape Sadio Thiam, journaliste et chercheur en sciences politiques interrogé par Sputnik.
Victime de cette suppression du poste, l’ancien Premier ministre Mouhamed Boun Abdallah Dionne avait été aussitôt nommé secrétaire général de la présidence de la République. Mais il n’aura pas fait long feu à cette station avec le remaniement gouvernemental intervenu en novembre 2020. C’est le ministre Oumar Samba Bâ qui l’y a remplacé.
Selon l’agrégé de sciences politiques Maurice Soudieck Dionne, de l’université Gaston Berger de Saint-Louis, "le retour du poste montre qu'il n'aurait jamais dû le supprimer surtout pour un Président en fin de mandat! Tout lui retombe sur la figure. Le poste a existé de façon ininterrompue depuis 1991 c'était une erreur de le supprimer".
"Toute gouvernance impose de concilier la mise en œuvre de politiques publiques planifiées dans un espace temporel bien défini et la satisfaction des besoins économiques et sociaux, entre autres, exprimées par les populations. Un secrétaire général de la présidence ne peut suppléer valablement un Premier ministre qui est une institution porteuse d’une vraie charge symbolique", analyse pour sa part Pape Sadio Thiam.

Dans le piège des urgences

Le retour à la case départ sera acté par une nouvelle réforme de la Constitution que les députés de la majorité présidentielle devront voter en procédure d’urgence. Un scénario identique en sens inverse lorsque, au pas de charge, ils avaient tous approuvé la suppression du poste de Premier ministre qui leur avait été présentée par l’exécutif. Après cet exercice, le chef de l’État espère avoir plus de temps et de disponibilité pour s’attaquer au bouclage de projets dits prioritaires comme le Train express régional (TER) et le Bus rapid transit (BRT).
"Le Président Macky Sall se rend compte du retard enregistré dans l’exécution des grands chantiers de son second mandat. Or, c’est sur leur réalisation qu’il comptait pour envisager son avenir politique avec la fin d’un bail présidentiel qui, théoriquement, se termine en 2024. Dans ce pays où tout est urgence, il s’est fait piéger par… l’urgence en s’embourbant dans une gestion journalière et informelle des grands dossiers de l’État. Et à côté, le dédoublement fonctionnel qui en fait le président tout-puissant de son parti a contribué à hypertrophier ses pouvoirs", relève Pape Sadio Thiam.
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Outre le chantier inachevé des infrastructures, il faut relever à la décharge du Président sénégalais un agenda lourd qui l’attend pour 2022. À partir de février et pour un an, il va assurer la présidence tournante de l’Union africaine pour le compte de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Auparavant, se dérouleront au Sénégal des élections locales à forte dimension nationale au vu des tensions nombreuses autour des listes d’opposition rejetées par des préfets et soutenues par le ministre de l’Intérieur. Et en juillet, sont prévues des législatives au terme desquelles une frange d’opposants espère un basculement de l’Assemblée nationale. Le retour du poste de Premier ministre semble une bouée de sauvetage.
"La gestion centrée du pouvoir est passée de mode, mais elle est aussi incompatible avec les exigences du développement et de la citoyenneté active. Ce d’autant plus que cette méthode lui enlève tout paravent ou bouclier face aux critiques répétées et souvent acerbes de contre-pouvoirs comme l’opposition, la société civile et une partie de la presse", note Thiam.
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Dans l’attente, les supputations vont bon train quant au profil et à l’identité du futur Premier ministre. Ce qui semble certain, c’est qu’il aura beaucoup de travail à l’orée des élections locales du 23 janvier. Il devra surtout mettre de l’ordre dans la coordination d’une équipe gouvernementale où "chaque ministre se débrouillait pour gérer ses problèmes spécifiques et où personne ne gérait le global", selon l’universitaire et chroniqueur politique Mamadou Sy Albert. Un Premier ministre qui ne manquera pas d’être vu comme un dauphin potentiel d’un Président sortant qui doit quitter le pouvoir en 2024.
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