Ouganda: qui a intérêt à ternir l’image de la Chine dans le pays?

© Domaine public / KatanasovL’aéroport international d'Entebbe
L’aéroport international d'Entebbe  - Sputnik Afrique, 1920, 01.12.2021
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La Chine a démenti l’information selon laquelle elle s’apprêterait à prendre le contrôle de l’aéroport international d’Entebbe si l’Ouganda ne rembourse pas sa dette. La rumeur serait-elle une conséquence du jeu de rivalités entre Chine et Occidentaux en Afrique? Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.
Qui a intérêt à ternir l’image de la Chine en Afrique, et particulièrement en Ouganda?
À qui profite la rumeur selon laquelle Pékin pourrait prendre le contrôle de l’unique aéroport international du pays, l’aéroport d’Entebbe, si Kampala ne parvenait pas à rembourser un prêt que lui a consenti une banque chinoise?
Rapportée fin novembre par le Daily Monitor, la nouvelle a sérieusement secoué l’Ouganda. Face au tollé qu’elle a suscité dans l’opinion publique, les autorités ougandaises se sont voulues rassurantes, rejetant du revers de la main l’information. De son côté, la Chine a vivement rejeté cette allégation que le porte-parole de son ambassade à Kampala a qualifiée de "malveillante". Selon celui-ci, non seulement cette allégation "n’a aucune base factuelle", mais elle a été distillée dans l’intention "d’empoisonner les bonnes relations que la Chine entretient avec les pays en développement, dont l’Ouganda".
Lors d’un point de presse à Pékin, le lundi 29 novembre 2021, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, a également rejeté l’information publiée dans le Daily Monitor.
"Tous les accords de prêt ont été signés sur une base volontaire", a déclaré Wang. "La soi-disant récupération ou prise de contrôle de projets ou d’actifs par les institutions financières chinoises est purement inventée dans une intention malveillante et sans aucun fondement" a-t-il asséné, avant d’ajouter que "pas un seul projet en Afrique n’a été ‘saisi’ par la Chine à cause d’un défaut de remboursement d’un prêt". "Au contraire, la Chine soutient fermement et est prête à continuer à faire des efforts pour améliorer la capacité de l’Afrique à se développer de manière indépendante", a tenu à préciser Wang Wenbin.

Quand les rivaux en profitent

Il faut dire que la nouvelle a non seulement fait le tour du monde, mais elle a aussi suscité une certaine inquiétude en Afrique subsaharienne, où la Chine dispose de nombreux investissements. Pour les Occidentaux qui voient d’un très mauvais œil la pénétration de la Chine en Afrique, toutes les occasions sont bonnes pour dénoncer les pratiques et agissements discutables de l’Empire du Milieu sur le continent. L’affaire relative à l’aéroport international d’Entebbe apparaît aux yeux des détracteurs de la Chine comme la preuve supplémentaire des "mauvaises pratiques" chinoises en Afrique. Pour la petite histoire, les Américains ont poussé le Président congolais Félix Tshisekedi à s’attaquer au "contrat du siècle" signé en 2008 par l’administration de son prédécesseur Joseph Kabila et un consortium chinois. Mais Pékin ne compte pas se laisser impressionner.
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Fait particulièrement marquant: les diplomates chinois sont de plus en plus présents sur les réseaux sociaux et n’hésitent pas à réagir vigoureusement quand l’image et les intérêts de leur pays sont bousculés. Leur activisme via le dispositif socio-médiatique de Twitter semble marquer un tournant dans l’approche de la diplomatie publique chinoise. Le réseau social est devenu un véritable de terrain de ping-pong entre les diplomates occidentaux et leurs homologues chinois. S’agissant de l’Ouganda par exemple, on peut constater, à l’analyse des propos des diplomates chinois, que ceux-ci s’adressent davantage et de manière subliminale aux accusateurs traditionnels de la Chine en Afrique, en l’occurrence les Occidentaux.

Pas de fumée sans feu

Reste que dans cette affaire, il y a assez de faisceaux convergents qui laissent penser que la rumeur est née d'un véritable problème. Le contrat de prêt pour le projet de modernisation de l’aéroport international d’Entebbe a été finalisé en mars 2015. Dans le cadre dudit contrat, l’Export-Import Bank of China a accordé à l’Ouganda un prêt de 207 millions de dollars qui devrait être remboursé sur une période de 20 ans. Selon les autorités ougandaises, 75% des travaux ont déjà été achevés malgré l’impact de la pandémie de Covid-19 sur le pays.
Si l’Ouganda dispose d’une période de grâce de sept ans avant de rembourser la totalité de sa dette, il n’en demeure pas moins que la situation d’endettement du pays inquiète. En réalité, c’est tout l’accord de financement qui déplaît aux autorités ougandaises. Selon le Daily Monitor, une délégation de hauts responsables ougandais s’est même rendue en Chine pour demander la renégociation de certaines clauses de l’accord. Conduite par Chrispus Kiyonga, l’ambassadeur de l’Ouganda à Pékin, elle s’est heurtée à une fin de non-recevoir des dirigeants de l’Exim Bank, lesquels ont clairement fait comprendre aux dirigeants ougandais que toute tentative de modification créerait un mauvais précédent.
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Si l’information selon laquelle la banque chinoise s’apprêterait à prendre le contrôle de l’aéroport international d’Entebbe a été infirmée par les sources officielles, on peut néanmoins présumer, au regard des développements des derniers mois, qu’il n’y a pas de fumée sans feu. D’ailleurs, l’Autorité de l’aviation civile ougandaise a fait savoir que certaines dispositions de l’accord de financement avec la Chine exposent l’aéroport international d’Entebbe et d’autres actifs ougandais à une prise de contrôle par des prêteurs chinois.
Interrogé fin octobre par une commission parlementaire sur le taux d’intérêt fixé par la China Exim Bank, le ministre ougandais des Finances, Matia Kasaija, a présenté ses excuses au Parlement pour la mauvaise gestion du prêt accordé par la banque chinoise, estimant que Kampala "n’aurait pas dû accepter certaines clauses" de l’entente le liant à cette entité financière.

Loin d’être une première

Il faut dire que ce qui arrive à l’Ouganda est loin d’être un cas isolé. La Zambie s’est retrouvée dans la même situation, il y a quelques années. Étant l’un des pays africains à avoir bénéficié massivement des prêts chinois, elle s’est retrouvée engluée dans la spirale de la dette à un point tel que plusieurs observateurs ont craint que tout défaut de paiement n’entraîne une prise de contrôle par les Chinois des principaux actifs publics. La Chine aurait d’ailleurs proposé, selon des rapports médiatiques, de reprendre l’aéroport international Kenneth Kaunda si le gouvernement zambien ne parvenait pas à rembourser à temps son énorme dette extérieure qui s’élève à plus de cinq milliards de dollars...
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Le cas de la Zambie avait en son temps suscité de nombreuses réactions dans l’opinion publique africaine. Même si la Chine a accepté d’alléger la dette de la plupart des pays du continent, y compris celle de Lusaka, il n’en demeure pas moins que son image est aujourd’hui de plus en plus ternie en raison des controverses qui ne cessent de s’accumuler relativement aux accords conclus avec un certain nombre de pays africains...

Une allégation qui tombe au mauvais moment

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’allégation relative à la prise de contrôle de l’aéroport international d’Entebbe par l’Export-Import Bank of China tombe vraiment au mauvais moment pour la Chine. Accusée exagérément par les pays occidentaux de pratiquer la "diplomatie du piège de la dette" — dynamique dans laquelle un pays ou une institution prêteur puissant cherche à endetter un pays emprunteur pour accroître son influence sur lui — à l’égard du continent africain, elle se retrouve désormais regardée avec suspicion par une Afrique pour qui elle était pourtant perçue comme la meilleure alternative au "néocolonialisme occidental" et l’arrogance qui le caractérise.
Les griefs s’accumulent. Au Ghana, l’opposition politique et la société civile avaient dénoncé en 2019 un accord de deux milliards de dollars devant permettre à Pékin d’accéder aux réserves de bauxite du pays. En République démocratique du Congo (RDC), on l’a dit, le gouvernement de Félix Tshisekedi a décidé de revoir le contrat signé en 2008 par Kabila et un consortium chinois - sous pression américaine, il est vrai. À moins d’un revirement majeur de la part de Pékin, tout porte à croire que la tendance s’accentuera dans les mois et années à venir.
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S’il est vrai que l’Empire du Milieu jouit encore d’un certain capital de sympathie dans les opinions publiques africaines, il est aussi vrai qu’un certain nombre d’Africains supportent de moins en moins la nature de certains accords conclus avec lui. Non seulement certaines de ces ententes sont loin d’être transparentes, mais en plus elles ont été négociées avec des dirigeants africains qui ne sont pas toujours soucieux du bien-être de leurs populations.
La Chine se retrouve ainsi coincée entre le marteau de sa doctrine de non-ingérence dans les affaires internes des États souverains — en ce sens qu’elle se garde de se prononcer sur les problèmes internes de ses partenaires, comme se plaisent à le faire les pays occidentaux — et l’enclume de sa diplomatie commerciale de plus en plus contestée par une frange importante de la population africaine...
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