Sénégal: Macky Sall, la tentation du troisième mandat?

© AP Photo / Ludovic MarinMacky Sall
Macky Sall - Sputnik Afrique, 1920, 13.12.2021
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Deux ans et deux mois avant l’élection présidentielle, le chef d’État sénégalais ignore toujours s’il sera candidat ou pas alors que la Constitution lui interdit trois mandats consécutifs. Un jeu de ni-ni qui met en exergue les doutes et incertitudes qui assaillent son avenir politique.
Pour le Président sénégalais, la question d’une troisième candidature d’affilée à une élection présidentielle est devenue un serpent de mer qu’il semble manier à merveille, avec délectation et prudence pour ne pas lâcher le mot ou la phrase de trop qui trahirait ses intentions. Interpellé récemment par des journalistes français, Macky Sall a encore une fois réussi à ne rien révéler de ses intentions non sans envoyer une pique à l’intention de ses adversaires et partisans un peu trop intéressés par sa décision.
"Je ne peux pas, à trois ou quatre ans de l’échéance [2 ans et 2 mois exactement, ndlr], satisfaire la curiosité de ceux qui n’ont de centre d’intérêt que l’élection. Ils attendront le moment que j’ai choisi, en tout cas jusqu’au moment où ce débat sera inévitable. Aujourd’hui, il n’y a pas de réponse. Aujourd’hui, c’est le travail. La réponse, ce sera quand je le déciderai avec l’aide de Dieu", a souligné le chef d’État sénégalais le 9 décembre à RFI et France 24.
Macky Sall, "jeune" Président de 60 ans et déjà (presque) deux mandats derrière lui, a promis de "traiter le débat en temps voulu" et de ne "jamais poser un acte qui soit antidémocratique ou anticonstitutionnel". Néanmoins, a-t-il ajouté, il n’est pas question ici et maintenant d’offrir "de la matière aux spécialistes de la manipulation et de l’agitation. J’ai encore un mandat à exercer que le peuple m’a confié". Mais pour Alioune Tine, président du think tank Afrikajom Center, il semble qu’il se soit passé quelque chose comme un retour d’illusion.
"Je pense qu’il y a eu un moment de tentation du troisième mandat chez Macky Sall. Et le fait politique le plus massif, c’est la suppression du poste de Premier ministre et l’exclusion de tous les prétendants de son camp à la succession. Les événements violents du mois de mars 2021 ont été une des alertes politiques les plus sérieuses contre le 3e mandat. C’était véritablement une insurrection qui pouvait faire basculer le pays", analyse Tine, interrogé par Sputnik.
Ultra secret dans ses processus de prise de décisions, minimaliste dans ses propos, adepte de la gouvernance verticale et des consultations politiques par cloisons, Macky Sall est un Président pénible à cerner. Mais les pressions qui s’exercent sur sa personne, venant de son camp et de ses adversaires, vont peut-être s’amplifier au fur et à mesure que l’échéance de février 2024 approche. Il faudra qu’il se détermine autant pour libérer ses partisans que pour éclaircir le jeu politique d’ensemble. Mais est-ce vraiment son souci?
"Cette sortie médiatique est une tentative de manipulation de l’opinion internationale, car à l’interne, les choses sont limpides. L’astuce est connue de tous: comme son prédécesseur, il va installer ce pays dans un juridisme pointilleux. Juridiquement, il est fondé à emprunter cette voie, mais l’article 27 de la Constitution dit que +la durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs+" confie à Sputnik Pape Sadio Thiam, journaliste et chercheur en sciences politiques.
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"Sortir ce projet sordide de 3e mandat de la tête de tous les politiciens"

Arrivé au pouvoir en 2012, Macky Sall a fait un premier mandat de sept ans sur la base de l’ancienne Constitution. C’est au référendum constitutionnel de mars 2016 qu’il a rétabli le quinquennat. L’ex-Président Abdoulaye Wade avait posé le même débat lors de la présidentielle de 2012. Une lecture juridique particulière du même article 27 l’avait convaincu de son droit à postuler à un 3e mandat de suite contre la volonté de l’opposition dont faisait partie Macky Sall et des organisations de la société civile. En fin de compte, le Conseil constitutionnel l’avait autorisé à briguer un nouveau bail. La mobilisation générale lui avait fait perdre l’élection au profit de Sall. L’histoire bégaie-t-elle?
"Pour la première fois, Macky Sall a dit à la société civile n’avoir jamais affirmé qu’il ferait un 3e mandat. C’est en ce moment que l’on peut situer les moments de doute et d’incertitude. Il me semble que c’est ce qui transparaît dans son interview avec les deux médias français. Il paraît habité par la hantise d’un Président sans pouvoir qui arrive en fin de mandat. Il s’y ajoute un contexte africain qui n’a pas encore rompu avec les coups d’État et la pression qui se prépare avec le Sommet du Président Joe Biden sur la démocratie", indique Alioune Tine.
Dans l’attente d’une libération de tous par la parole présidentielle, le patron d’Afrikajom Center est d’avis qu’"il faut une dissuasion forte pour sortir ce projet sordide de 3e mandat de la tête de tous les hommes politiques. Au Sénégal, il n’est quasiment plus possible de faire un 3e mandat après les événements du 23 juin 2011 et ceux, meurtriers, de mars 2021. Un large consensus existe au niveau national et cela fait l’unanimité au sein de la jeunesse". Cependant, avertit Pape Sadio Thiam, la vigilance s’impose plus que jamais.
"Avec le Président Macky Sall, la politique est un rapport de forces permanent. Son objectif est de rester au pouvoir contre vents et marées en mobilisant toutes les logistiques et ressources possibles. Comment un démocrate tel qu’il se revendique, qui est à quelques encablures de la fin de son second mandat, peut-il refuser de se prononcer sur son intention de se présenter ou non pour un 3e mandat en 2024 auquel la Constitution dit qu’il n’a pas droit", s’interroge Pape Sadio Thiam?
Le chef d’État sénégalais s’apprête à prendre la présidence annuelle tournante de l’Union africaine en février 2022. Une charge pour laquelle il a ressuscité le poste de Premier ministre qu’il avait supprimé pour "un test" et dont le titulaire ne sera connu qu’après les élections locales du 23 janvier 2022.
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