RDC: pourquoi la libération de l'ancien directeur de cabinet du Président divise?

© AFP 2023 YASUYOSHI CHIBAVital Kamerhe, l’ancien directeur de cabinet du Président congolais
Vital Kamerhe, l’ancien directeur de cabinet du Président congolais - Sputnik Afrique, 1920, 14.12.2021
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La Cour de cassation a décidé d’accorder une liberté provisoire à Vital Kamerhe, l’ancien directeur de cabinet du Président congolais. Une décision qui a suscité de nombreuses réactions et risque de redéfinir les alliances à l’approche de la présidentielle de 2023. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.
La décision a surpris plus d’un en République démocratique du Congo (RDC) tellement elle était inattendue. Lundi 6 décembre 2021, la Cour de cassation a décidé d’accorder la liberté provisoire à Vital Kamerhe, l’ancien tout puissant directeur de cabinet du Président congolais, Félix Tshisekedi. Condamné à 20 ans de "travaux forcés" - commués en peine de prison étant donné que la peine de "travaux forcés" n’est pas appliquée en RDC - par la justice congolaise pour "détournement de deniers publics" et "corruption aggravée" dans l’affaire dite des "maisons préfabriquées", Vital Kamerhe a vu sa peine réduite à 13 ans de prison par la Cour d’appel.
La décision de lui accorder la libération provisoire a été prise au regard de son état de santé qui, selon ses avocats et ses proches, n’a cessé de se détériorer depuis son incarcération. Vital Kamerhe a dû débourser la somme de 500.000 dollars de caution pour sortir de sa cellule. Il devra également se conformer à plusieurs mesures imposées par la Cour: outre le fait de rester discret, il doit rester dans sa résidence privée et éviter de se présenter aux postes frontaliers, à moins d’avoir une autorisation expresse du procureur général près la Cour de cassation.

La libération de la discorde

Si la libération de l’ancien dircab a provoqué naturellement des scènes de liesse au sein de l’Union pour la nation congolaise (UNC), son parti, il n’en demeure pas moins qu’elle a suscité et continue de susciter des réactions mitigées dans tout le pays. Au sein de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti au pouvoir, l’heure est à la vocifération. Plusieurs militants du parti présidentiel, pourtant en alliance avec l’UNC, ont laissé éclater leur colère, accusant leur chef, le Président Félix Tshisekedi, d’avoir porté une estocade à l’État de droit.
Ils ne sont pas les seuls à le penser, puisqu'une partie non négligeable de l’opinion publique congolaise perçoit cette libération comme un moyen détourné de tirer Vital Kamerhe des griffes de la justice, alors qu’il a été condamné en première instance et en appel. Depuis lundi 6 décembre, date de sa sortie de prison, les réactions n’ont pas cessé, parfois alimentées par des adversaires politiques pour qui Kamerhe n’aurait pas dû sortir de prison. L’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ) a estimé pour sa part que "la Cour de cassation a créé un scandale judiciaire" en libérant Kamerhe.
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Selon certains juristes cependant, aucune disposition dans la loi congolaise n’empêche la Cour de cassation de libérer un condamné si la situation l’autorise. Pour le président de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (ASADHO), maître Jean-Claude Katende, les autorités auraient dû communiquer convenablement sur la libération de Vital Kamerhe en lieu et place de laisser prospérer l'opinion selon laquelle un condamné ne saurait être libéré.

"Il faut dire aussi qu’il y a eu une très mauvaise communication autour du dossier de Vital Kamerhe parce que beaucoup de politiciens ont fait passer le message selon lequel toute personne qui serait condamnée pour le détournement des deniers publics ne peut pas bénéficier de la liberté provisoire. Cela n’est dit nulle part", a déploré le juriste pour qui les juges de la Cour de cassation n’ont fait que dire le droit en fonction des éléments qui leur ont été soumis.

L’enjeu reste politique

En dépit des arguments de droit avancés par la Cour de cassation et certains juristes, l’on ne saurait ignorer le poids de la politique dans toute cette affaire. Pour rappel, le procès en première instance, qui avait tenu en haleine toute la RDC, avait brillé aussi bien par son côté expéditif que par la difficulté du ministère public à établir de manière irréfutable le détournement de fonds. Jusqu’à la fin de la procédure et du prononcé du verdict, on ne savait toujours pas où étaient passés les millions de dollars qu’auraient dilapidés Kamerhe et son co-accusé, l’homme d’affaires libanais Jammal Samih, patron de la société Samibo, dont la peine de 20 ans de prison a été sensiblement réduite à six ans de travaux forcés par la Cour d’appel.
Plus encore, de nouveaux éléments apparus dans le dossier, quelques mois après la condamnation du duo en première instance, sont venus questionner les allégations de l’accusation. Ce qui a fait dire aux responsables de l’UNC que leur chef était victime d’un complot. Des accusations qui entrent en résonnance avec des propos tenus par certains cadres de l’UDPS et ceux du Front commun pour le Congo (FCC), la famille politique de l’ex-Président Joseph Kabila qui était en coalition avec Cap pour le changement (CACH, coalition formée de l’UDPS et de l’UNC) jusqu’en octobre 2020, année de leur divorce spectaculaire. À l’époque, le secrétaire général de l’UDPS, Augustin Kabuya, en avait surpris plus d’un en affirmant que Vital Kamerhe avait été arrêté par la seule volonté du FCC.

"Vital Kamerhe n’est pas en prison parce qu’il a volé, je connais tout le plan et je pèse mes mots", avait-il déclaré, provoquant de nombreuses réactions dans le pays.

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En outre, en dépit de la gravité des faits qui sont reprochés à l’ancien directeur de cabinet présidentiel, plusieurs observateurs estiment que sa libération obéit à la même logique que celle qui l’a conduit en prison. C’est "la politique" qui l’aurait envoyé à la prison centrale de Makala, c’est la même politique qui se serait opposée à toutes ses demandes de libération provisoire ces derniers mois et ce serait finalement elle qui l’a fait libérer.

Incontournable

Même si pour l’heure, Vital Kamerhe est assujetti à certaines mesures restrictives, tout porte à croire que l’échiquier politique congolais devra tout de même compter avec lui dans les semaines et mois à venir. L’UNC reste un parti politique assez influent dans la partie orientale, et Kamerhe reste, jusqu’à preuve du contraire, l’allié de Félix Tshisekedi au sein de CACH, aujourd’hui englouti au sein de l’"Union sacrée", la méga plateforme mise en place par le numéro un congolais au lendemain de sa rupture avec le FCC. En juillet dernier, Tshisekedi avait d’ailleurs créé la surprise en déclarant que Kamerhe restait à ses yeux "quelqu’un de sérieux" en dépit de sa condamnation, ajoutant que l’ancien directeur de cabinet "jouera de nouveau un rôle dans ce pays".
Cette sortie de Félix Tshisekedi avait fait mouche. Aux yeux des observateurs congolais, elle n’avait fait que confirmer le caractère politique de ce qu’il convient d’appeler "l’affaire Kamerhe". Selon des sources de Sputnik, le chef de l’État congolais est resté en contact avec son ancien directeur de cabinet malgré son incarcération…
En fait, l’UDPS est divisée sur le cas Kamerhe. Si Félix Tshisekedi semble bien disposé à l’égard de son ancien directeur de cabinet, cela ne semble pas être le cas pour les durs de son parti qui voient en Vital Kamerhe un potentiel rival de leur chef. Rappelons que dans le "deal" conclu entre l’UDPS et l’UNC à Nairobi, au Kenya, à la veille des élections de 2018 -accord dont les termes sont de notoriété publique-, Kamerhe avait accepté de taire ses ambitions politiques pour soutenir la candidature de Félix Tshisekedi, et ce dernier devait en retour soutenir celle de son partenaire à l’élection présentielle de 2023.
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À l’UDPS, on estime que cette entente ne vaut désormais plus que la valeur du papier sur lequel elle a été signée. D’autant que Vital Kamerhe a été condamné et n’est plus éligible au regard de la loi fondamentale. Certains auraient bien apprécié qu’il reste en prison. Une source proche de la présidence a confié à Sputnik que certains caciques du pouvoir se sont vigoureusement opposés à la libération de Vital Kamerhe.

"Malgré la décision de la Cour, certaines personnes ne voulaient pas que Vital Kamerhe sorte de prison", a confié cette source avant d’ajouter que "madame Hamida Chatur [épouse Kamerhe, ndlr] a dû jouer des coudes pour obtenir la libération de son mari".

En dépit de l’hostilité manifestée par son propre camp, Félix Tshisekedi se voit obligé de manœuvrer avec tact dans le dossier Vital Kamerhe. Alors que les relations avec l’Église catholique et certains de ses alliés au sein de l’Union sacrée (le cas d’Ensemble de l’opposant Moïse Katumbi) sont loin d’être au beau fixe, se mettre à dos définitivement l’ancien directeur de cabinet, qui a une base électorale non négligeable dans le Kivu, pourrait être suicidaire sur le plan politique, surtout que la prochaine élection présidentielle pointe déjà à l’horizon.
Si pour le moment la scène politique congolaise reste stable en dépit de la libération, fût-elle provisoire, de Vital Kamerhe, il faudrait probablement s’attendre à une réévaluation profonde des alliances et une réorganisation de l’échiquier à mesure que l’on se rapproche du scrutin de 2023.
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