Crise libanaise: un banquier véreux, le Hezbollah rancunier, des élites passives, le peuple trinque

© REUTERS / Omar IbrahimUne manifestation contre les restrictions sanitaires à Tripoli, au Liban, 26 janvier 2020
Une manifestation contre les restrictions sanitaires à Tripoli, au Liban, 26 janvier 2020 - Sputnik Afrique, 1920, 16.12.2021
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La livre libanaise n’en finit pas de chuter face au dollar. Une situation catastrophique due à la politique de la Banque centrale du Liban, au blocage du Hezbollah et à la lenteur des négociations avec le FMI, estime l’analyste libanais Michel Fayad.
Triste record pour le Liban. Depuis le 14 décembre, le billet vert dépasse les 28.000 livres libanaises(LL) au marché noir. Et selon les prévisions, il devrait atteindre les 30.000 d’ici deux semaines. Avant le déclenchement de la crise en octobre 2019, un dollar s’échangeait contre 1.500 LL, et ce, depuis la fin de la guerre civile en 1990. En un peu plus de deux ans, la livre a ainsi perdu plus de 94,5% de sa valeur face à la monnaie américaine.
"Le peuple est la principale victime de cette dévaluation", estime Michel Fayad, analyste économique et politique libanais.
En effet, cette dépréciation est lourde de conséquences pour les Libanais. Si le salaire minimum mensuel était de 450 dollars en 2019, il n’est plus aujourd’hui que d’environ 24 dollars. Résultat, plus de 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté et même 42% souffrent d’un état de pauvreté extrême, indiquait un responsable de l’Onu en novembre dernier.

Les casseroles du banquier Riad Salamé

Les raisons de cette crise économique sans précédent dans l’Histoire du Liban sont surtout politiques, estime l’analyste politique. "La Banque centrale, dirigée par Riad Salamé, a elle-même dévalué la livre libanaise. En mettant en place ce nouveau cours du dollar, de 3.900 à 8.000 livres libanaises pour les dépôts en devises étrangères, la Banque centrale imprime plus de monnaie. Sa circulation augmente et donc, elle perd de la valeur", résume-t-il au micro de Sputnik. A contrario, la dévaluation servirait les intérêts des élites libanaises:

"En faisant dévaluer la livre libanaise, la dette en monnaie locale ne vaut plus rien. Et en offrant des livres aux déposants voulant retirer de l’argent de leurs comptes en dollars, la dette en dollars essentiellement interne est elle aussi en train d’être liquidée par la conversion des dépôts en livres. Si mathématiquement, ça marche, c’est un massacre sur le plan humain. On rend les gens plus pauvres, tandis que les actionnaires des banques n’ont pratiquement rien à payer pour rembourser la dette", ajoute-t-il.

L’indéboulonnable gouverneur de la Banque centrale du Liban, en poste depuis 1993, n’en est pas à son coup d’essai. Riad Salamé fait l’objet d’enquêtes en Suisse, en Grande-Bretagne et en France. Il est également sur la liste des Panama Papers pour fraude fiscale et biens mal acquis. Mais le banquier ne serait pas le seul responsable de cette crise économique.

Le Hezbollah bloque le pays?

En effet, malgré l’arrivée d’une nouvelle équipe ministérielle en septembre dernier, après 13 mois d’attente, les réformes économiques, politiques et financières peinent à voir le jour. Le pays reste divisé et bloqué en raison de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth. En effet, le juge Tarek Bitar voulait auditionner plusieurs responsables politiques pour identifier les causes du terrible évènement du 4 août 2020, qui a détruit la moitié de la capitale libanaise et causé plus de 200 morts.
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Or, le tandem des partis chiites Hezbollah-Amal refuse catégoriquement de donner du crédit à ce magistrat, exigeant qu’il soit dessaisi de cette affaire. Le 14 octobre dernier, une manifestation devant le palais de Justice s’est rapidement transformée en affrontements entre milices armées en plein cœur de Beyrouth. Les partis d’Hassan Nasrallah et de Nabih Berri persistent et signent: tant que l’affaire Bitar ne sera pas réglée, il n’y aura plus de réunion du Conseil des ministres. Résultat: depuis le 12 octobre, le gouvernement ne s’est plus réuni.
"Le Hezbollah fait partie du blocage politique, mais beaucoup de partis profitent de ce blocage pour préserver leurs intérêts, y compris Riad Salamé, qui refuse la mise en place de réformes", souligne l’analyste politique libanais.
Une situation qui provoque l’ire du président Michel Aoun, pourtant allié de longue date du puissant mouvement chiite libanais. "Je suis pour la convocation d’un Conseil des ministres, même s’il sera boycotté," a lancé le chef d’État libanais le 14 décembre. Une situation politique qui n’a de quoi rassurer ni les marchés financiers ni le Fonds monétaire international.

Le poids du "parti des banques"

"Comment voulez-vous qu’il y ait un accord avec le FMI avec des blocages à répétitions?", déplore Michel Fayad. En attendant, le Liban a tout de même reçu de la part du FMI 607,2 millions de droits de tirage spéciaux (DTS ou SDR en anglais), un avoir de réserves internationales pour compléter les réserves de change officielles de ses pays membres. Mais l’instance internationale ne compte pas prêter sans condition.
"La question qui se pose, c’est la capacité ou non du gouvernement existant. Il faut une restructuration de la Banque centrale, une restructuration du secteur public et une restructuration de la dette, sinon on ne pourra stabiliser ni l’économie ni la monnaie, on ne pourra pas attirer les investissements et on ne pourra pas réellement commencer les négociations avec le FMI", explique l’analyste financier.
Sans même parler des blocages politiques, le nouveau gouvernement ne semble pas prêt pour les négociations. Nagib Mikati, l’actuel Premier ministre, est proche de la Commission des finances et du budget au Parlement qui avait torpillé le plan de développement Lazard en 2020. Ce plan de l’ancien gouvernement libanais avait été accepté par le FMI et par la communauté internationale pour accompagner le Liban dans la mise en place d’un programme économique. Il a toutefois, selon notre interlocuteur, été abandonné en raison du poids du "parti des banques". Toutes les aides étrangères ont ainsi été gelées. Le Liban n’a pas touché un centime de l’enveloppe de 11 milliards de dollars récoltés pendant la conférence du Cèdre en avril 2018.
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Face à l’urgence, l’ambassadeur français chargé de la coordination du soutien international au Liban, Pierre Duquesne, presse les élites libanaises de trouver un accord avec le FMI. "Un accord avec le FMI est la dernière planche de salut du Liban, et devrait être signé avant les législatives", a-t-il déclaré le 14 décembre au ministre du transport, Ali Hamiyé, membre du Hezbollah. Ce dernier lui a rétorqué que cela était actuellement impossible au regard de la situation politique.
Le cercle vicieux perdure. Du gouverneur de la Banque centrale du Liban au Hezbollah en passant par les partis s’opposant à la mise en place des réformes structurelles, les élites libanaises semblent être plus la cause que la solution de cette interminable crise.
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