Les sanctions américaines en Syrie: un simple contretemps pour Pékin?

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Ministre des Affaires étrangères chinois à Damas - Sputnik Afrique, 1920, 21.12.2021
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La Chine exige la levée des sanctions américaines contre la Syrie. Ces mesures empêchent Pékin d’investir et de participer à la reconstruction du pays qui pourrait devenir un lieu stratégique dans les nouvelles routes de la soie.
Pékin se penche au chevet de Damas. Malgré sa relative discrétion sur le dossier syrien, l’empire du Milieu réitère son soutien à la Syrie. Représentant permanent adjoint de la Chine auprès des Nations unies, Dai Bing prône un acheminement simplifié de l'aide humanitaire sur le territoire syrien. "Toutes les opérations humanitaires en Syrie doivent respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Syrie", a-t-il par ailleurs rappelé, soulignant "la nécessité de modifier le mécanisme transfrontalier".
Conscient des difficultés économiques du pays arabe, le responsable chinois a surtout rappelé que "les sanctions unilatérales ont causé d'innombrables pertes à la Syrie". Il appelle ainsi le Conseil de sécurité de l’Onu à "prendre des mesures pour éliminer l'impact négatif de ces sanctions". Dai Bing fait ici référence aux mesures américaines prises à l’encontre du gouvernement syrien. Des restrictions durcies par le biais de la loi César en juin 2020. Washington visait à isoler économiquement la Syrie, l’empêchant de commercer avec l’extérieur.
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Officiellement, les États-Unis avaient pris cette mesure pour contraindre Bachar el-Assad à négocier une "transition politique". En pratique, c’est tout le peuple syrien qui en a pâti. Selon les données de l'Onu, 83% des Syriens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Plus de 11 millions de personnes, soit plus de deux tiers de la population, ont besoin d'aide humanitaire. 60% ne peuvent pas s’offrir un repas par jour.

La tentation de la reconstruction syrienne

Pour la Chine, les sanctions seraient surtout un obstacle pour ses futurs investissements sur le terrain. En effet, la concrétisation des projets bilatéraux peine à voir le jour. "Pour le moment, Pékin étudie les opportunités et les risques", explique un chercheur à l’Université de Damas et spécialiste des relations internationales:
"La Chine a toujours suivi la Russie dans ses positions politiques vis-à-vis de la Syrie. Elle ne veut pas s’investir militairement, mais économiquement. Aujourd’hui, seuls quelques investisseurs privés chinois sont en Syrie."
Pourtant, depuis 2016, Pékin chercherait à créer des opportunités d’investissement pour ses entreprises afin de participer à la reconstruction de la Syrie. À cette époque, déjà, l’envoyé spécial du gouvernement chinois sur la question syrienne, Xie Xiaoyan, avait déclaré que son pays était "confiant dans le fait qu’il ferait partie du processus de reconstruction d’après-guerre en Syrie".
Même son de cloche du côté de Xi Jinping. Le Président chinois a réaffirmé en 2019 que Pékin était "prêt à participer à la reconstruction de la Syrie". Outre le prix exorbitant des travaux, environ 400 milliards de dollars, Pékin resterait tout de même sur ses gardes, détaille le chercheur syrien. "La Chine reste prudente pour éviter les sanctions américaines." En effet, l’extraterritorialité du droit américain empêche les entreprises étrangères de commercer légalement avec la Syrie, sous peine de sanctions financières.
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Plusieurs projets seraient toutefois à l’étude. En 2015, l’entreprise chinoise Huawei exprimait son intérêt pour la reconstruction du système de télécommunications syrien. En 2017, la Chine promettait 2 milliards de dollars pour aider à développer les infrastructures et les parcs industriels. Ces chiffres s'ajoutent aux 60 millions de dollars que la Chine a fournis sous diverses formes d'aide humanitaire pendant la guerre.

Pékin "ne va pas investir à perte"

Les investisseurs chinois sont également intéressés par la construction d’une autoroute Nord/Sud-Est, le réaménagement des ports de Lattaquié et Tartous et la construction de deux lignes ferroviaires, l’une dans la région de Damas et l’autre qui relierait la côte syrienne au port libanais de Tripoli. "Les deux pays sont dans une logique gagnant-gagnant, la Syrie regarde à l’est vu que l’ouest lui tourne le dos", résume le chercheur syrien.
Cet intérêt chinois ne se serait pas dénué d’arrière-pensée. La Chine pourrait inclure Damas dans son projet de nouvelles routes de la soie. En effet, le Moyen-Orient est au carrefour des marchés asiatique et européen. La Syrie deviendrait ainsi un pays de transit pour l’acheminement des produits de Chine. "Nous avons proposé environ six projets au gouvernement chinois conformément à la méthodologie de la Ceinture et la Route [nom donné par les Chinois à leur projet de nouvelles routes de la soie, ndlr] et nous attendons de savoir quels projets correspondent à leur réflexion", déclarait Bachar el-Assad en 2019.
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Cependant, les sanctions américaines ne sont pas les seuls obstacles aux investissements chinois en Syrie. "La Chine investit uniquement si l’environnement y est favorable et stable. Aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas en Syrie", rappelle le professeur syrien. Malgré la défaite territoriale de l’État islamique* à Baghouz en mars 2019, l’hydre terroriste est loin d’avoir disparu.
Les combattants djihadistes restent actifs dans la région de Deir ez-Zor, dans le vaste désert de la Badiya, tout le long de l’Euphrate et surtout dans la province d’Idlib où séviraient toujours quelque 5.000 Ouïghours radicalisés.

"La Chine est une puissance calculatrice, elle prend son temps et ne va pas investir à perte. C’est un pays qui a une autre temporalité. Pas comme les Occidentaux, qui font preuve d’impatience. On sait que Damas pourra compter sur la Chine dans un avenir plus ou moins proche", prédit le professeur syrien.

D’ailleurs, cette bonne entente a été confirmée par le voyage du chef de la diplomatie chinoise Wang Yi à Damas en juillet dernier. Une première en onze ans! C’était également la première visite étrangère officielle après la réélection de Bachar el-Assad en mai 2021. Xi Jinping a de surcroît appelé son homologue syrien le 5 novembre afin de renforcer les liens entre les deux pays.
Pour endiguer la pandémie de coronavirus, l’Empire du milieu a déjà fourni plus de 1,5 million de vaccins Sinopharm. Les deux pays réaffirment leurs objectifs communs, à savoir la lutte antiterroriste, la préservation de l’indépendance et de la souveraineté ainsi que l’opposition à toute forme d’ingérence. Pékin envisage également de renforcer sa coopération dans les domaines de l’agriculture et du commerce.
Avant longtemps, la Chine pourrait s’imposer durablement sur le dossier syrien.

* Organisation terroriste interdite en Russie
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