Les Américains "pourront continuer à manger leur pop-corn pendant que les Européens s’entretueront"

© AFP 2023 Sergei GAPON / AFPDéfilé de blindés à Kiev, à l'occasion des célébrations du jour de l'indépendance, 24 août 2021.
Défilé de blindés à Kiev, à l'occasion des célébrations du jour de l'indépendance, 24 août 2021. - Sputnik Afrique, 1920, 22.12.2021
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Alors que Washington est déterminé à étendre l’Otan aux frontières de la Russie en intégrant l’Ukraine, Vladimir Poutine a lancé un avertissement à l’Occident. Pour l’essayiste Nikola Mirkovic, le point de non-retour n'est plus très loin. Analyse.

"Ce genre de discours atlantiste m’inquiète. L’attitude, le comportement, les agissements des Occidentaux me rappellent ce que j’ai vu en Yougoslavie."

Au micro de Sputnik, Nikola Mirkovic, auteur de L'Amérique empire (Éd. Temporis, 2021) partage son appréhension face à la montée des tensions aux frontières orientales de l’Europe.
Situation qui selon lui commencerait à sérieusement exaspérer Moscou. "Nous allons prendre des mesures militaires et techniques adéquates" en cas de "maintien de la ligne très clairement agressive" des États-Unis, a averti Vladimir Poutine lors d'une réunion au ministère de la Défense ce 21 décembre. Devant ses généraux, le chef du Kremlin a durci le ton à l’attention des Occidentaux. Son message est clair et demeure le même: l’intégration de l’Ukraine dans l’Otan est une ligne rouge à ne pas franchir.
Il ne s’agit pas du premier rappel du Président russe en matière de "ligne rouge". Pourtant, cette menace ne serait pas une parole en l’air aux yeux de notre intervenant. "Il est train de dire que ça pourrait déraper", estime le fondateur de l’ONG Ouest-Est qui vient en aide aux victimes de la guerre dans le Donbass. "Autant les Américains sont capables de simuler, autant ce n’est pas le cas des Russes", poursuit-il.

"On est sur le pas de notre porte, nous ne pouvons pas reculer"

Depuis plusieurs semaines, la Russie et les pays occidentaux traversent un épisode de tensions. La presse américaine ne cesse de souffler que Moscou aurait massé 100.000 hommes en prévision d’une invasion de l’Ukraine. Mais aucun élément concret n’a étayé ces allégations. Hormis des clichés satellites de matériel militaire russe abandonné dans la petite ville d’Ielnia, à proximité de la frontière biélorusse, après les manœuvres conjointes Zapad-2021 en septembre.
Qu’à cela ne tienne, depuis trois semaines, les menaces des chancelleries et des dirigeants européens se succèdent à l’encontre de la Russie à qui l’on prête l’intention d’agresser son voisin. Pendant ce temps, celui-ci en profite pour répéter auprès de Washington sa volonté d’intégrer l’Otan.
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L’Ukraine dans l’Otan? Une "provocation injustifiable", fustige l’eurodéputé Lebreton
Afin d’enclencher une désescalade durable entre la Russie et l’Alliance atlantique, Sergueï Riabkov, vice-ministre russe des Affaires étrangères, a présenté le 17 décembre deux projets d’accord aux Américains. Moscou y demande notamment à Washington de renoncer à l’intégration de l’Ukraine dans l’Otan et d’abandonner la création de bases militaires US dans les pays post-soviétiques.
De façon mutuelle, en échange de l’arrêt des manœuvres militaires atlantistes à sa frontière, Moscou s’engagerait à ne plus mener de manœuvres sur son territoire à proximité des frontières européennes. Même chose concernant les missiles balistiques de courte et moyennes portée: les Russes proposent aux Américains un moratoire sur leur déploiement en Europe et en Russie, afin que les deux parties ne puissent mutuellement s’atteindre directement.
À moins de déménager le pays, difficile d’offrir mieux: les forces de l’Otan opèrent déjà à la frontière russe. "On est sur le pas de notre porte, nous ne pouvons pas reculer", comme l’a résumé Vladimir Poutine. Preuve en est l’incident évité de justesse au-dessus de la mer Noire en juin dernier. Un appareil espion de l’Alliance avait coupé le couloir aérien d’un vol de la compagnie aérienne russe Aeroflot.

"C’est l’hôpital qui se moque de la charité"

Washington a adressé un refus catégorique aux propositions de Moscou. Il n’y aura aucun "compromis" sur "le fait que tous les pays ont le droit de décider de leur propre avenir et de leur politique étrangère sans être soumis à une influence extérieure", a déclaré Jen Psaki, porte-parole de la Maison-Blanche.
"C’est l’hôpital qui se moque de la charité, réagit, écœuré, Nikola Mirkovic, c’est ubuesque!" L’essayiste dénonce tant "l’arrogance des Américains qui provoquent, puis refusent le dialogue" que le deux poids, deux mesures auquel ils s’adonnent. Arménie, Géorgie, Ukraine: l’auteur de L'Amérique empireégrène les cas "d’ingérence", de "soutien à des mouvements séditieux" de la part des Occidentaux dans les pays de l’ex-glacis soviétique. Des mouvements, comme ceux des révolutions de couleurs, qui visaient à instaurer des régimes favorables aux intérêts occidentaux.

"On a notamment l’enregistrement de Victoria Nuland et de Geoffrey Pyatt, l’ambassadeur américain à Kiev. Début février 2014, ils sont en train de discuter de qui devra constituer le futur gouvernement ukrainien alors que Ianoukovytch est encore au pouvoir", rappelle Nikola Mirkovic.

En Europe, l’enregistrement avait soulevé une vaguelette d’indignation. Le motif de cet émoi: Victoria Nuland, secrétaire d’État adjointe pour l’Europe et l’Eurasie, avait lâché un "que l’UE aille se faire foutre". La même avait confié, deux mois plus tôt, lors d’une rencontre de l’US-Ukraine Foundation, que les États-Unis avaient "investi" 5 milliards de dollars depuis l’effondrement de l’URSS afin de "soutenir la transition démocratique" à Kiev. "Plus récemment, on a bien vu le soutien de l’intelligentsia européenne à Navalny et à l’opposition biélorusse avec notamment l’accueil par la Pologne de toute la nébuleuse Nexta [chaîne Telegram considérée par Minsk comme extrémiste, ndlr]", poursuit l’essayiste.
En somme, cette inversion constante des rôles par les Occidentaux et leurs accusations à l’encontre d’une Russie à qui ils prêtent des intentions bellicistes relèvent d’un phénomène classique de fabrication de l’ennemi. Processus de préparation mentale au déclenchement d’une guerre. À ce titre, Nikola Mirkovic rappelle avec quel aplomb les États-Unis mentent pour justifier leurs conflits.

"C’est du sang européen qui sera versé", pas du sang américain

Les faux témoignages dans l’affaire des couveuses au Koweït en 1990 ont précédé l’entrée en guerre des Occidentaux contre l’Irak… Le supposé "massacre" de Račak en 1999 a justifié l’intervention de l’Otan en Serbie… Le rapport des services américains sur l’arsenal imaginaire d’armes de destructions massives et bactériologique de Saddam Hussein a préludé à la seconde guerre d’Irak, en 2003.
"Des sources solides" que le secrétaire d’État américain de l’époque, Colin Powell, aura l’audace d’aller défendre en brandissant à l’Onu une fiole blanchâtre censée contenir de l’anthrax irakien. Le même procédé a manqué de peu de détruire la Syrie, à la suite de l’attaque chimique de la Ghouta que Washington et ses alliés ont attribuée à l’armée régulière syrienne.
"La provocation est une marque de fabrique américaine", martèle Nikola Mikovic. Seule différence, cette fois-ci, comme l’a rappelé Biden en cas de conflit en Ukraine: les soldats américains ne prendront pas part aux hostilités.

"À la fin, c’est du sang européen qui sera versé. Cette guerre peut avoir des conséquences catastrophiques en Europe. Si l’Otan s’implique, cela veut dire que de jeunes Français pourraient mourir. Les Américains, de leur côté, ne verront pas leur économie ni leur territoire touché. Ils pourront continuer à manger tranquillement leur pop-corn pendant que les Européens s’entretueront", met en garde l’essayiste.

"On ne s’est pas encore remis des deux premières guerres mondiales, la troisième nous serait fatale", conclut-il.
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