La population canadienne tracée via les téléphones portables: "Un grand manque de transparence"

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Ottawa a récolté les données de presque tous les téléphones portables au Canada pour analyser l’évolution de la pandémie. Selon Sébastien Gambs, expert en cybersécurité, le risque est réel que les données soient utilisées à d’autres fins.
"Ce que j’espère, c’est que le gouvernement a seulement récolté des données agrégées et non des données individuelles. S’il a recueilli des données individuelles, cela veut dire qu’il dispose d’informations précises et non anonymes sur presque tous les Canadiens", s’inquiète Sébastien Gambs, spécialiste en cybersécurité.

Une entreprise de téléphonie mobile au service d’Ottawa

Ce professeur de l’université du Québec, à Montréal, juge préoccupantes les révélations selon lesquelles Ottawa a récolté les données de 33 millions de téléphones portables pour suivre l’évolution de la pandémie. Autant dire la quasi-totalité des portables au pays: la population canadienne est de 38 millions de personnes et 34 millions d’abonnements à un service de téléphonie mobile y sont enregistrés, selon l’organisme gouvernemental Statistique Canada. Le 20 décembre dernier, l’Agence de la santé publique du Canada a en effet admis auprès du média Blacklock’s Reporter avoir sollicité les services de l’entreprise de téléphonie TELUS pour récolter ces informations.
"C’est un grand manque de transparence. Il aurait fallu qu’Ottawa informe dès le début la population de ce projet. Pourquoi est-ce qu’on l’apprend maintenant? […] Comme dans d’autres pays, l’enjeu est de savoir si les données vont servir à autre chose. Est-ce qu’elles seront utilisées pour donner des amendes à gens n’ayant pas respecté des mesures comme une quarantaine? Ça pourrait arriver", avertit le chercheur au micro de Sputnik.
À en croire le National Post, qui cite un porte-parole de l’Agence de la santé publique, Ottawa prévoit de suivre les mouvements des Canadiens au cours des cinq prochaines années pour prévenir et freiner "d'autres maladies infectieuses", "des maladies chroniques", ainsi que des problèmes de santé mentale.

Un accès à des infos sensibles sur les croyances, les maladies…

Pour Sébastien Gambs, les données recueillies par Ottawa sont "très sensibles à cause de leur potentiel d’inférence", c’est-à-dire que le fédéral peut "déduire beaucoup d’autres informations personnelles à partir des traces de mobilité d’un individu". Parmi ces informations: le domicile et le lieu de travail d’une personne, de même que sa religion et son statut médical:
"Il s’agit d’un enjeu grave pour la protection de la vie privée. […] Il est aussi possible de déduire potentiellement la religion d’un individu à partir d’un lieu de culte visité régulièrement. On pourra aussi en apprendre sur son état de santé en regardant s’il visite régulièrement une clinique spécialisée dans un type de maladie", précise le professeur de l’université du Québec à Montréal.
Compte tenu du très grand nombre de téléphones portables géolocalisés, notre interlocuteur estime très probable que l’Agence de la santé publique ait fait appel à d’autres entreprises que TELUS pour récolter les infos personnelles.
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Des zones d’ombres subsistent

De fait, selon le rapport pour 2019 du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, cinq grands groupes se partagent le marché des services en communication au Canada: Bell, TELUS, Rogers, Shaw et Québecor. Après Bell, TELUS est la deuxième plus grande entreprise de télécommunications du pays. Entre mars et octobre 2021, cette firme a fourni des données "anonymes" à Ottawa, paramètres auxquels l’Agence de la santé publique n’aurait plus accès aujourd’hui. Pour Sébastien Gambs, le manque de transparence de l’exécutif dans ce dossier empêche d’en savoir plus sur l’utilisation de ces informations, leur nature et les entreprises qui les fournissent. Chose certaine, les Canadiens ne seraient pas à l’abri d’une vaste fuite des éléments prélevés à leur insu:

"Il n’y a jamais de sécurité parfaite pour des données stockées et centralisées. Et c’est un gros volume de données. […] La police pourrait aussi demander d’y avoir accès. […] Imaginez si on se retrouvait avec une fuite de données touchant 33 millions de Canadiens!", prévient l’expert en cybersécurité.

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De son côté, l’Agence de la santé publique du Canada déclare utiliser cette moisson de relevés avec le seul objectif de poursuivre sa mission. Le 17 décembre dernier, le ministère canadien de la Santé a publié un appel d’offres à l’intention des entreprises qui ont accès aux "données de localisation des tours de téléphonie cellulaire et des opérateurs". Le ministère assure que sa démarche respecte la vie privée de ses administrés.
"Des données fiables, actuelles et pertinentes sur la santé et la santé publique sont essentielles à l’élaboration des politiques, à la prise de décisions en cas d’urgence de santé publique et à l’amélioration des résultats à long terme pour la santé de la population canadienne", s’est justifiée Anne Génier, porte-parole de Santé Canada, auprès de Radio-Canada.
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