Année 2022: eaux troubles dans la région des Grands Lacs africains?

© Photo Pixabay/ tracyhammondLa ville de Kisangani en République démocratique du Congo en Afrique centrale.
La ville de Kisangani en République démocratique du Congo en Afrique centrale. - Sputnik Afrique, 1920, 31.12.2021
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Plusieurs événements ont marqué 2021 dans la région des Grands Lacs, avec en toile de fond le Covid-19 qui n’a pas encore dit son dernier mot. Problèmes sécuritaires, crises politiques, économiques et diplomatiques, le bilan préjuge une année 2022 tout aussi mouvementée. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.
Outre la pandémie du Covid-19, qui continue de faire des dégâts aux quatre coins du globe, plusieurs faits saillants ont marqué l’Afrique centrale, notamment la région des Grands Lacs, tant sur les plans sociopolitique et économique que sécuritaire et diplomatique. De la République démocratique du Congo (RDC) au Rwanda en passant par l’Ouganda et le Burundi, l’actualité a été en riche en événements.

En RD Congo, un gouvernement dépassé par les événements

C’est en RD Congo que l’actualité aura retenu davantage l’attention. L’année 2021 a débuté dans un climat de tension et de crise opposant la coalition au pouvoir composée de Cap pour le changement (CACH), la famille politique du Président Félix Tshisekedi, et le Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme politique de l’ex-Président Joseph Kabila. En moins de trois mois, le Congo a connu un bouleversement politique majeur comme on en avait rarement vu dans ce pays: Félix Tshisekedi, très minoritaire au Parlement et au Sénat, a pu renverser en quelques semaines le rapport de force face à son allié Joseph Kabila, qui contrôlait via le FCC les deux chambres à la majorité absolue.
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Fort de la majorité acquise grâce, entre autres, au soutien des États-Unis, le chef de l’État congolais a pu nommer un Premier ministre de son choix, Jean-Michel Sama Lukonde, avec lequel il dirige la République non sans difficulté. Les choix opérés dans la désignation des animateurs de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et la gestion problématique des deniers publics ont fini par placer l’exécutif congolais en porte-à-faux avec l’Église catholique (notamment la puissante Conférence épiscopale nationale du Congo, Cenco) et certains de ses alliés politiques.
À ces problèmes politiques s’ajoute l’épineuse question de la défense et de la sécurité devenue une épine dans le pied du gouvernement congolais. Il faut dire que depuis la signature des accords de paix de Sun City (Afrique du Sud), en 2003, qui avait marqué la fin officielle de la guerre, la RDC ne s’est jamais libérée de ses vieux démons. L’insécurité n’a jamais quitté le pays, notamment dans sa partie orientale. Les provinces du Nord et Sud-Kivu ainsi que celle de l’Ituri vivent au rythme de tueries, de viols et de l’exploitation illicite des ressources naturelles. Le 30 avril 2021, Félix Tshisekedi a proclamé l’état de siège sur toute l’étendue de l’Ituri et du Nord-Kivu dans l’objectif affiché de mettre un terme aux activités des groupes armés afin de permettre un retour de la paix et de la sécurité dans la région.
Sept mois plus tard, le bilan de cette mesure exceptionnelle, censée être limitée dans l’espace et dans le temps, est plus que mitigé. S’il est vrai que l’état de siège a permis à certaines localités de l’Est congolais de recouvrer un semblant de sérénité, il n’en demeure pas moins vrai que la situation s’est empirée dans l’ensemble de la région. Plus de 1.000 civils ont été tués depuis l’instauration de cette mesure, et cruelle ironie de l’histoire, la RDC a dû faire appel à l’armée ougandaise pour neutraliser les Forces démocratiques alliées (ADF) qui opèrent dans le Kivu.
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Tout pour placer le pouvoir congolais dans une position inconfortable, compte tenu de l’hostilité que cette décision a suscitée et continue de susciter dans l’opinion publique congolaise.
De toute évidence, l’année 2022 s’annonce mouvementée pour l’exécutif congolais, tant sur le plan intérieur que régional. Confronté à une grogne populaire qui ne cesse de prendre de l’ampleur en raison de la crise socio-économique qui frappe de plein fouet le pays et la population, Félix Tshisekedi doit rencontrer les aspirations de son peuple tout en essayant de trouver le moyen de désamorcer la crise qui oppose son régime à la Cenco et certains de ses alliés — notamment la plateforme Ensemble de l’opposant et homme d’affaires Moïse Katumbi — au sein de l’"Union sacrée", la méga plateforme qu’il a mise en place au lendemain de sa rupture avec le FCC de Kabila.
Si la scène politique congolaise est restée assez stable en 2021 en dépit des soubresauts relatifs à la dislocation de la coalition FCC-CACH, 2022 pourrait réserver des surprises, d’autant plus qu’on est à une année de la prochaine présidentielle prévue en 2023.
Dans un tel contexte, Félix Tshisekedi n’aura d’autre choix que de ménager les susceptibilités s’il tient à mettre toutes les chances de son côté au prochain scrutin. Si le pari n’est pas insurmontable, il n’en demeure pas moins que la voie qui doit mener au salut est parsemée de nombreuses embûches...

Capharnaüm régional

D’autant plus que la décision de l’exécutif congolais d’inviter les forces de défense ougandaises sur le territoire congolais pour traquer les ADF (selon la version officielle) place Kinshasa non seulement en porte-à-faux avec sa propre population, mais elle pourrait aussi constituer un autre facteur de tension régionale.
En effet, les relations entre l’Ouganda et le Rwanda évoluent en dents de scie depuis plusieurs années maintenant, et Kigali voit d’un très mauvais œil la présence de l’armée ougandaise sur le sol congolais. Deux semaines après le début des opérations ougandaises en Ituri, le commissaire divisionnaire principal de la Police nationale congolaise (PNC), Dieudonné Amuli Bahigwa, a été reçu au siège de la Police nationale rwandaise, à Kigali, par son homologue rwandais, le général Dan Munuyza, pour parler sécurité dans la région. Un mémorandum de coopération a été signé entre les deux services de police.
Si Amuli Bahigwa a affirmé s’être retrouvé à Kigali en tant que président de la Coopération régionale des chefs de police de l’Afrique centrale, poste qu’il occupe depuis octobre 2021, de nombreux observateurs dans la région n’ont pas manqué de faire le lien entre sa visite au Rwanda et l’arrivée des Ougandais en territoire congolais.
Ce qui est certain, c’est que le Rwanda et l’Ouganda se disputent l’influence dans l’Est congolais, et aucun des deux n’est prêt à se laisser surpasser par son adversaire. À moins d’un revirement majeur dans les relations entre les deux pays, tout laisse penser que leur rivalité larvée a toutes les chances de s’intensifier en 2022, avec la RDC comme terrain de jeu.
Il est clair que l’Ouganda ne laissera jamais le Rwanda étendre son influence à la partie est de la RDC, et de son côté Kigali ne restera pas les bras croisés en regardant Kampala investir l’Ituri voire le Nord-Kivu. Quant au Burundi, auquel le Rwanda fait des yeux doux pour briser son isolement régional, il y a des raisons de croire qu’il adoptera une posture attentiste, à défaut d’intervenir en RDC au prétexte de se protéger des groupes qui lui sont hostiles et qui ont longtemps été instrumentalisés, ironie de l’histoire... par le régime de Kigali. Ces dernières semaines, des rumeurs ont même circulé au Sud-Kivu à l’effet que Bujumbura songerait, lui aussi, à déployer des troupes dans la région. Si pour l’heure l’information n’est pas confirmée, il n’en demeure pas moins que l’année 2022 promet d’être riche en événements dans la région troublée des Grands Lacs africains...
En attendant, chacun des États de la région devra composer avec plusieurs problèmes tant sur le plan interne que sur la scène internationale...

Dans l’eau chaude

En effet, outre l’enjeu relatif à la crise sanitaire et aux tensions régionales, tant l’Ouganda que le Rwanda et le Burundi devront composer, en 2022, avec une communauté internationale de plus en plus sévère. Au cœur des critiques visant les trois États: les violations des droits de la personne. Les rapports des ONG internationales à ce propos sont alarmants
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Fait particulièrement marquant: les États-Unis, alliés traditionnels de l’Ouganda et du Rwanda, semblent avoir pris leur distance de ces deux pays. Ces derniers mois, Washington et Londres se sont montrés particulièrement critiques à l’égard de leurs deux alliés africains sur les questions des libertés publiques et des violations des droits de la personne. Preuve que les relations ne sont plus au beau fixe: lors du sommet sur la démocratie, organisé par les États-Unis le 10 décembre, ni l’Ouganda ni le Rwanda ne figuraient sur la liste des 110 États et territoires invités par le Président américain Joe Biden. De plus, le département du Trésor américain a imposé, au début du mois de décembre, des sanctions financières au chef du renseignement militaire ougandais, le général Abel Kandiho, en raison de violations présumées des droits de l’homme commises sous sa direction. Ces sanctions sont d’autant plus surprenantes que l’Ouganda est l’un des partenaires des États-Unis dans la lutte contre l’islamisme radical dans la Corne de l’Afrique.
Tout ceci permet de comprendre l’intensification des relations entre l’Ouganda et le Rwanda avec la Chine. Si les deux pays africains peuvent appréhender l’année 2022 avec une certaine dose d’inquiétude en raison de la posture affichée par les Anglo-Saxons, cela ne semble pas être le cas pour le Burundi. En effet, en dépit du palmarès peu enviable de Bujumbura en matière des droits de l’homme, l’aile occidentale de la communauté internationale semble lui avoir accordé le bénéfice du doute et de la bonne foi. Fin novembre, les États-Unis ont levé les sanctions imposées au pays en 2015; et l’Union européenne, qui avait prolongé ses sanctions économiques au même moment, a décidé en interne, le 24 décembre, de les lever à son tour. Comme pour dire que les pays de la région des Grands Lacs n’aborderont pas tous l’année dans la même humeur...
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