Peine de mort au Maroc: un "ni-ni" accommodant?

© Sputnik . Aleksei Vitvitskiy / Accéder à la base multimédiaMaroc
Maroc - Sputnik Afrique, 1920, 08.01.2022
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La sentence contre le bourreau de Adnane Bouchouf, 11 ans, vient d’être confirmée par la Cour de cassation de Rabat. Condamné à la peine capitale, il rejoint alors les plusieurs dizaines de personnes dans le couloir de la mort au Maroc, en plein débat sur la peine capitale.
La peine capitale contre le criminel qui a tué Adnane Bouchouf, en septembre 2020, vient d’être confirmée par la Cour de cassation de Rabat, mercredi 5 janvier. Le tortionnaire avait été reconnu coupable pour enlèvement, séquestration, atteinte à la pudeur et meurtre du jeune enfant âgé tout juste de 11 ans, et a été condamné à mort le 13 janvier 2021 par la Cour d’appel pénale de Tanger. Ce crime odieux avait suscité l’émoi et une mobilisation inédite au Maroc. Mais la prononciation de cette peine avait également relancé le débat autour de la peine de mort, qui divise encore l’opinion publique.
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La condamnation à la peine de mort est toujours inscrite dans l’article 16 du Code pénal marocain, mais en pratique elle n’est plus appliquée depuis l’exécution du commissaire Tabit, en 1993. Une abolition de fait qui s’explique par la signature de plusieurs conventions internationales relatives aux droits de l’Homme. Non appliquée, elle continue néanmoins d’être prononcée par les instances juridiques. Selon les statistiques de la direction générale de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion, le nombre de condamnés à mort en 2019 avait atteint un total de 72 personnes, dont une femme. 71% d’entre eux l’ont été pour des affaires d’extrémisme et de terrorisme, 29% pour des affaires de droit commun.

Une question qui divise

Alors que certains estiment que maintenir la peine capitale sans pour autant l’appliquer est une démarche intéressante, permettant de se conformer d’une certaine manière aux conventions internationales, d’autres n’hésitent pas à exprimer clairement leur souhait de voir cette punition appliquée, notamment pour ce genre de crime.
Au lendemain de l’affaire Adnane, des pétitions élaborées par des militants en faveur de la peine de mort pour réclamer justice circulaient sur la Toile. L’association Touche pas à mes enfants, représentée par Najia Adib, s’était jointe au mouvement en appelant à l’application stricte de l’article 16 du Code pénal. "Nous n’exigeons pas moins qu’une peine capitale exemplaire, pour que tout pédophile qui voudra passer à l’acte s’imagine qu’il sera le prochain à être exécuté", avait-elle déclaré, selon un site d’information marocain.
Mais, depuis quelques années, différentes associations et le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) prennent à bras le corps la question de l’abolition de la peine capitale. La présidente de l’institution publique, Amina Bouayach, estime que son application est "anticonstitutionnelle", en contradiction avec les articles 20 et 22 de la Constitution qui disposent que "le droit à la vie est le droit premier de tout être humain. La loi protège ce droit", et "Nul ne doit infliger à autrui, sous quelque prétexte que ce soit, des traitements cruels, inhumains, dégradants ou portant atteinte à la dignité". Ne considérant pas cette mesure comme dissuasive, elle a à maintes reprises réitéré sa position notamment auprès des décideurs marocains. Ce pays serait-il en voie de préparer l’abolition de la peine de mort? La question mérite d’être posée.
Salah el Ouadie, président de l’association Damir qui milite pour les droits de l’Homme et ancien détenu politique, s’oppose lui aussi à cette mesure: "Je comprends la réaction violente des proches et l’opinion publique, mais il faut savoir garder la raison et se demander si la peine de mort peut arrêter les crimes de ce genre?". Selon lui, il n’a jamais été prouvé que cette peine permettait de mettre fin à ces "atrocités". "Que voulons-nous? Châtier oui, mais surtout protéger les enfants, les femmes et préserver la société. Ce qu’il s’agit de faire c’est de condamner à des peines d’emprisonnement perpétuelles incompressibles, qui ne pourront pas jouir d’amnistie".
Enfin, il estime qu’il faut régler le problème à la source, à travers l’éducation: "Le rôle de l’école est essentiel, il faut instaurer une éducation sexuelle et permettre que chacun soit capable de se défendre par le rejet, la dénonciation… c’est à la racine qu’il faut apporter les solutions".
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Un sujet sensible

Au vu des différentes voix qui s’élèvent en faveur de l’abolition de la peine capitale, notamment dans la classe politique, comment expliquer que celle-ci soit encore prononcée? Il faut d’abord rappeler que le parti qui était au pouvoir durant ces 10 dernières années (parti islamiste) s’oppose à cette abolition, basant son argument sur un référentiel religieux. Pour l’avocat Omar Bendjelloun, il s’agit par ailleurs d’une équation difficile à résoudre pour le pays:

"L'équation entre les normes internationales, la tendance vers les droits humains, les pesanteurs conservatrices et le penchant vers la dissuasion, est difficile à résoudre. Comme le reste, l'autoritarisme et la démocratie ne peuvent cohabiter dans un même système notamment pénal".

Le débat autour de l’exécution des condamnés mobilise l’opinion publique à chaque fois que des affaires similaires éclatent. La question divise, mais les défenseurs de l’abolition portent désormais leurs espoirs sur le nouveau gouvernement, dit "plus libéral", qui est appelé à agir, notamment par la CNDH. Cependant, les condamnations continuent de s’accumuler et les décisionnaires semblent être indécis, par crainte de "fâcher" une certaine frange de la population.
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