Sanctions régionales: le Mali promis à l’asphyxie, le Sénégal victime collatérale consentante

© AFP 2023 NIPAH DENNISDes drapeaux nationaux des États membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)
Des drapeaux nationaux des États membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) - Sputnik Afrique, 1920, 11.01.2022
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C’est en recourant à une stratégie d’étouffement économique et financier du Mali que la CEDEAO et l’UEMOA décident d’en finir avec la junte militaro-civile soupçonnée de vouloir perdurer au pouvoir pendant plusieurs années. Mais sur les flancs, le Sénégal pourrait en payer un prix fort.
Sur la crise malienne, le pire était attendu du double Sommet extraordinaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Il est arrivé. Au sortir de leur réunion tenue le dimanche 9 janvier 2022 à Accra, les chefs d’État de la CEDEAO et de l’UEMOA ont décidé de fermer leurs frontières terrestres et aériennes avec le Mali, ce qui implique toutes cessations de transactions commerciales. Les "biens de consommation essentiels", les produits pharmaceutiques, médicaux et pétroliers sont hors de la liste des sanctions, par contre, tous les avoirs de l’État malien dans les banques centrales et commerciales de l’espace communautaire sont gelés. Principaux instruments financiers de la CEDEAO, la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et la Banque d’investissement et de développement (BIDC) sont sommées de stopper toute aide au Mali. En même temps, les chefs d’État ont placé en alerte la Force en attente de la CEDEAO (FAC) "qui devra être prête à toute éventualité".

"C’est une situation extrêmement compliquée et pénible qui s’ouvre pour le Mali. Le gel de ses avoirs financiers au niveau de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) signifie que le pays ne peut plus utiliser ses réserves de change pour payer les importations autres que les biens de première nécessité et les autres produits que la CEDEAO va énumérer. Clairement, c’est une stratégie d’asphyxie financière du Mali qui est ainsi mise en branle", explique l’économiste sénégalais Mady Cissé, chercheur au Centre d’études pour le financement du développement local (CEFDEL) à Dakar interrogé par Sputnik.

Birahim Seck est le coordonnateur général du Forum civil, la branche sénégalaise de l’ONG Transparency international
Cette mesure concernant le blocage des avoirs financiers du Mali va particulièrement impacter les commerçants maliens qui travaillent dans le secteur de l’import-export qui ne seront plus en mesure de payer leurs fournisseurs en devises. Les entreprises publiques et parapubliques maliennes détentrices de comptes bancaires dans les établissements de l’espace communautaire situés hors du Mali ne pourront plus y accéder. Et au niveau étatique, c’est la galère qui s’annonce pour les autorités maliennes.

"Quand la CEDEAO et l’UEMOA mettent à contribution la BOAD et la BIDC, c’est pour que ces deux institutions financières bloquent les décaissements liés aux appuis budgétaires auxquels le Mali pouvait profiter dans le cadre de prêts projets ou trésorerie au profit de l’État. Concrètement, c’est donc le besoin de financement brut de l’État malien qui sera impacté. Cette mesure me semble d’autant plus significative que les pays de l’UEMOA comme le Mali sont bénéficiaires de l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) à travers la BOAD", analyse Mady Cissé.

C’est d’abord sur les antennes de la radiotélévision malienne et par communiqué ensuite que les autorités de la transition ont réagi au durcissement des sanctions annoncées par le président de la Commission de la CEDEAO, l’Ivoirien Jean-Claude Kassi Brou.

"Le gouvernement du Mali condamne énergiquement ces sanctions illégales et illégitimes prises par l’UEMOA et la CEDEAO, organisations pourtant fondées sur la solidarité et l‘idéal panafricain, curieusement au moment où les Forces armées maliennes engrangent des résultats spectaculaires dans la lutte contre le terrorisme, ce qui n’était pas arrivé depuis plus d’une décennie", a souligné le colonel Abdoulaye Maïga, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation.

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En outre, poursuit le colonel Maïga, également porte-parole du gouvernement, "le gouvernement du Mali regrette que des organisations sous régionales ouest-africaines se fassent instrumentaliser par des puissances extra-régionales aux desseins inavoués" et dénonce des "mesures inhumaines qui viennent affecter les populations déjà durement éprouvées par la crise sécuritaire et la crise sanitaire, notamment celle de la Covid-19".
La junte se prépare à souffrir, de même que les Maliens. Mais un voisin particulier du Mali ne sera pas épargné, le Sénégal en l’occurrence, qui s’offre en victime consentante.

"Le Mali est le principal partenaire commercial du Sénégal dans l’espace CEDEAO. Plus de 24% des exportations sénégalaises sont destinées à ce pays. Le port de Dakar assure 80% du trafic des hydrocarbures et 65% du trafic de toutes les autres marchandises qui prennent le chemin de Bamako. De fait, les sanctions de la CEDEAO auront des conséquences directes sur l’activité économique du Sénégal puisque la demande extérieure du Mali qui est une source de croissance pour le Sénégal sera annihilée", indique l’économiste Mady Cissé.

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Lors des premières réunions de la CEDEAO sur le Mali, le Sénégal s’était toujours opposé à des sanctions comme celles qui viennent d’être prises contre son précieux voisin, en connaissance de cause des effets négatifs de telles mesures sur son propre tissu économique.
Selon une récente étude d’Africa Check basée sur des travaux de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) du Sénégal, "les exportations (du Sénégal) vers les pays de la CEDEAO sont passées de 490,6 milliards de francs CFA en 2018 à 518,5 milliards de francs CFA en 2019". Avec une part de 205 milliards de francs CFA, le Mali caracole en tête des pays partenaires du Sénégal, suivi de la Côte d’Ivoire, de la Guinée-Conakry, de la Gambie et du Burkina Faso.

"Les sanctions infligées au Mali sont aussi des sanctions contre le Sénégal. Malgré son devoir de solidarité avec les pays de la CEDEAO, le Sénégal devrait faire prévaloir ses intérêts. La santé économique d’un pays se mesure à l’aune des exportations et des emplois créés. Sur ces deux leviers, le Sénégal est faible avec une balance commerciale déficitaire d’environ 2.200 milliards de francs CFA (environ 3,354 milliards d’euros) dont 30% sont des exportations vers le Mali", s’inquiète l’agroéconomiste et consultant Mbaye Sylla Khouma sollicité par Sputnik.

Le dynamisme des échanges économiques entre les deux pays, "c’est plus de 400 camions/jour qui sortent plus de 400 containers/jour du port de Dakar. Or, si ces containers ne sortent plus au bout de deux semaines, le port est congestionné. Et tous les autres pays côtiers étant membres de la CEDEAO, c’est la Mauritanie qui pourrait ramasser le jackpot", insiste cet économiste passé par plusieurs multinationales.

"C’est une stratégie d’étouffement du Mali qui est mis en œuvre en fait. Mais connaissant ce pays et ses habitants, ils préféreront mourir que de tendre la main. Ces sanctions sont une épreuve inutile dont le Ghana ne souffrira pas, le Liberia, la Sierra Leone, le Nigeria, le Togo et le Bénin non plus. Mais le Sénégal, lui, en paiera le prix fort. C’est dommage que cela arrive précisément au Sénégal et au Mali, deux entités qui formaient il y a quelques décennies un même pays avec un même drapeau et qui, aujourd’hui encore, partage la même devise ‘Un peuple, un but, une foi’", se désole M.Khouma.

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