Hausse des agressions d’élus: "j’évite de me promener seul le soir dans certains quartiers"

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Un drapeau français sur le fond de la Mairie de Paris - Sputnik Afrique, 1920, 12.01.2022
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Menaces, violences verbales ou physiques: avec la crise sanitaire, les élus sont en première ligne face à la grogne des administrés. Signe des tensions: les agressions ont explosé en 2021. Deux édiles reviennent pour Sputnik sur leur quotidien.

"On est élus au service de nos concitoyens, on travaille pour nos communes, on n’est pas là pour se faire insulter, ou encore moins pour se faire agresser physiquement."

Jean-Michel Legrand, maire de la commune d’Auchy-les-Mines (62), est inquiet: le nombre d’agressions commis envers les élus locaux a explosé.
Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 1.186 élus ont été pris pour cible les onze premiers mois de l’année 2021. Dans le détail, ce sont 162 parlementaires et 605 maires ou adjoints qui ont été victimes d’agressions physiques. Soit une hausse de 47% par rapport à 2020. En outre, 419 outrages ont été recensés, soit une augmentation de 30% de ce type de méfait. Des chiffres éloquents, mais qui n’étonnent guère Jean-Michel Legrand. "C’est ce que l’on vit tous les jours", déplore l’édile.

"Une poignée d’individu se sent aujourd’hui autorisée à tout, y compris des faits de violence envers les représentants de l’État, quels qu’ils soient. Il y a les élus, mais il y a aussi la police et les pompiers qui sont agressés", déplore Jean-Michel Legrand.

Le maire de cette commune du Pas-de-Calais a déjà fait les frais de cette violence. "Dans le cadre d’une intervention pour éviter que des gens du voyage s’installent illégalement sur le parking d’une friche commerciale, mon adjoint et moi avons été agressés", se remémore-t-il. L’édile a reçu un coup de poing au visage et son adjoint a subi une bousculade, le faisant tomber à la renverse sur une pierre.

Un adjoint roué de coups

Un cas loin d’être isolé, puisqu’un autre adjoint au maire d’Auchy-les-Mines a été molesté. La raison? "Il a simplement fait son devoir en appelant les forces de l’ordre, car il y avait un accident de la route et le chauffeur ivre avait pris la fuite", indique Jean-Michel Legrand. Des personnes ayant un lien de parenté avec le chauffard, présents sur la scène, n’ont que peu goûté à cet appel. Résultat des courses, ils ont roué l’adjoint de coups.

"Il y a une montée de la tension", déplore Nicolas Dainville, maire de La verrière (78).

Cet élu local des Yvelines a quant à lui été menacé et intimidé dans le cadre d’un projet de rénovation urbaine, qui comprend la démolition de trois tours situées dans "un quartier très enclavé". À la fin d’une visite aux habitants du secteur, "un jeune en scooter a caillassé ma voiture. Heureusement, plus de peur que de mal, mais c’est assez désagréable".
L’édile de La Verrière souligne néanmoins que les élus et le personnel communal sont confrontés à un manque de respect, aux menaces par oral et par écrit, sur des "sujets qui sont très variés". "Cela peut être par exemple lors d’un enlèvement d’une voiture épave, le propriétaire fou de rage se rend au pied de la mairie", détaille Nicolas Dainville.

La crise sanitaire exacerbe les tensions

Parmi les thématiques qui peuvent entraîner des crispations se trouve la crise du Covid-19. Stéphane Claireaux, député LREM de Saint-Pierre-et-Miquelon, pourrait en témoigner. En effet, lors d’une mobilisation contre l’instauration du passeport sanitaire dans l’archipel, situé dans l’atlantique nord, des manifestants s’en sont pris à lui, le huant et le bombardant d’algues.
D’autres parlementaires ont également été menacés: "vous ne méritez que des rafales de balles à votre domicile et de vous faire couper la tête", a ainsi reçu fin novembre Naïma Moutchou, députée "Horizon" (apparenté LREM) du Val-d’Oise. Le député LREM de l’Oise Pascal Blois a quant à lui eu la déplaisante surprise, fin décembre, de constater que son garage avait été incendié et les murs de son domicile tagués: "votez non", "ça va péter". Une intimidation liée au vote à l’Assemblée nationale du passeport vaccinal.
La politique sanitaire semble donc avoir accentué les tensions. En témoignent les plus de 300 plaintes pour "menace de mort" sur des élus qui ont été déposées depuis le mois de juillet dernier et l’entrée en vigueur du pass sanitaire. Gérald Darmanin a d’ailleurs concédé que leur augmentation était "exponentielle". "Dans ce cadre particulier des antivax, il y a énormément de dépôts de plainte pour menaces", a-t-il déclaré.

"Sur le terrain, les gens ne s’en prennent pas forcément aux maires, car ce sont des sujets nationaux, donc ce sont plus les députés qui sont victimes", observe Nicolas Dainville.

Cependant, l’édile de La verrière pointe un "ras-le-bol des gens" qui en ont "assez des nombreuses incohérences de la politique sanitaire du gouvernement". "Les gens deviennent de plus en plus tendus, voire haineux", prévient-il. Jean-Michel Legrand abonde dans son sens: "Depuis le confinement, j’ai le sentiment que cela a été un petit déclencheur qui fait qu’aujourd’hui, on rencontre certaines personnes qui sont plus agressives, plus virulentes qu’avant."

Une société qui part à vau-l’eau?

Cette crise sanitaire n’est pourtant que le symbole de "cette société qui prend un mauvais virage. […] Certains ont abandonné le respect des institutions", avance Jean-Michel Legrand.

"Dans le cadre de l’Éducation nationale, il faudrait peut-être faire quelque chose en direction des jeunes afin d’expliquer que la République, la démocratie, ce n’est pas de s’en prendre violemment à des élus ou des représentants de l’État", plaide-t-il.

Le maire d’Auchy-les-Mines n’en n’oublie pas moins de rappeler le rôle de l’État dans la dégradation de la situation:

"Le désengagement de l’État en matière de sécurité depuis plusieurs années y est pour quelque chose, à force de tirer sur la corde, de réduire les budgets, de diminuer la présence policière sur le terrain. La sécurité des élus et des administrés est pourtant du domaine du régalien."

De son côté, Nicolas Dainville souhaite plus de sévérité. Il propose notamment de mettre en place "une sorte de peine plancher, d’amende ou de sanction" qui soit beaucoup plus forte "contre les atteintes à ce qui symbolise l’autorité, dont les élus locaux pourraient faire partie, le maire en particulier."
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En attendant, nos interlocuteurs prennent leurs précautions au quotidien. "On a un peu renforcé le système de sécurité de la mairie, j’évite de me promener seul le soir dans certains quartiers de la ville, j’essaie d’être accompagné. Quand je reçois des gens, je laisse toujours la porte ouverte, pour éviter d’avoir affaire à des situations où je serais mis en difficulté", détaille le maire de La verrière. Une dernière précaution qui pourrait paraître saugrenue, mais pourtant importante.

"J’ai par exemple reçu des personnes qui n’étaient pas de la ville, qui étaient extrêmement insistantes pour obtenir de l’argent pour un projet. Heureusement que j’avais convié un collaborateur, car à la fin ils ont dit: “on a envie de l’étrangler ton maire”."

Ces situations pourraient-elles donner envie de tout arrêter? Pas le moins du monde, à en croire Nicolas Dainville: "il y a une minorité qui crée ce climat de peur et peut pourrir la vie du mandat, mais c’est loin d’être la majorité."
Si l’édile reconnait que les maires sont "les élus de proximité par excellence, on dit souvent que l’on est à portée d’engueulade", reste que "c’est le plus beau des mandats", positive-t-il.

"C’est aussi beaucoup de bonheur que de voir sa ville avancer, se réaliser, ainsi que de voir que cela se passe globalement très bien avec les administrés", se réjouit Nicolas Dainville.

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