- Sputnik Afrique, 1920, 07.01.2022
Émeutes au Kazakhstan

Les USA "doivent comprendre qu’il y a des lignes rouges qu’ils n’ont pas le droit de franchir"

© Service de presse du ministère russe de la Défense / Accéder à la base multimédiaArrivée au Kazakhstan des soldats de la paix russes dans le cadre de l'opération de l'Organisation du traité de sécurité collective, Almaty
Arrivée au Kazakhstan des soldats de la paix russes dans le cadre de l'opération de l'Organisation du traité de sécurité collective, Almaty - Sputnik Afrique, 1920, 14.01.2022
S'abonner
L'issue de la crise ukrainienne "réécrira probablement de manière décisive l'architecture de la sécurité en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et dans la région indopacifique", affirme le docteur Soufi, spécialiste en géopolitique, auprès de Sputnik, soulignant que ses répercussions sur l’Afrique sont certaines.
Sur fond de tensions depuis plusieurs semaines entre les États-Unis et leurs alliés au sein de l’Otan, d’un côté, et la Russie de l’autre, concernant l’Ukraine, l’attention de tous les pays des quatre coins de la planète est captivée par ce qui se joue dans cette partie du monde entre les grandes puissances (États-Unis, Russie et Chine) et ses éventuels impacts sur les équilibres mondiaux sur tous les continents. Les événements ayant secoué le Kazakhstan ces deux dernières semaines renforcent l’idée que quelque chose de déterminant, qui va changer la configuration géopolitique mondiale, est en train de prendre forme petit à petit.
Ainsi, à l’aune de ces événements, quelle lecture pourrait-on faire concernant les luttes d’influence entre ces grandes puissances en Afrique, dont particulièrement au Maghreb et au Sahel? Ces régions sont-elles en proie à une recrudescence de la violence terroriste sur fond d’affrontement entre les grandes puissances qui ne cesse de grandir? Dans ce contexte, comment lire les dernières évolutions au Mali, au sein de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et en Guinée-Conakry?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le docteur Abdelkader Soufi, chercheur algérien en géopolitique et politiques de défense. Pour lui, "ce qui se joue en Europe, notamment en Ukraine, et en Asie centrale, dont le Kazakhstan, est une reconfiguration complète des grands équilibres mondiaux dont les répercussions de ses issues sont certaines sur toutes les régions du monde". Et d’alerter que "les pays africains, notamment ceux du Maghreb et de la sous-région sahélo-saharienne sont appelés à suivre de près ces évolutions et à ne pas, surtout, se tromper d’analyse et de lecture, sous peine de subir de plein fouet ce qui se dessine".

"L’Otan jouxte carrément la frontière de la Russie"

"Dans le sillage du démembrement de l’Union soviétique en 1991, les États-Unis s’étaient engagés à ne jamais étendre l’Otan vers l’est, aux frontières de la Russie", rappelle le docteur Soufi, soulignant que "cette promesse a été une pure tromperie. En effet, la Bulgarie, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie ont toutes rejoint l'Otan en 2004, lors du sommet d'Istanbul de l’Alliance atlantique. L'Albanie et la Croatie sont devenues membres en 2009, tandis que la Macédoine du Nord a adhéré en 2020, portant ainsi le nombre des membres de l’Otan à 30 États".
Et d’ajouter qu’"en intégrant les pays baltes, l’Otan jouxte carrément la frontière nord-ouest de la Russie. Cependant, en brandissant le spectre d’intégrer également l’Ukraine, sur fond d’accusations à l’égard de Moscou de vouloir envahir ce pays, les autorités russes ont proposé un projet d'accord de sécurité avec les États-Unis, qui demande à Washington de stopper nette l’expansion de l’Otan à d’autres anciennes Républiques soviétiques, en particulier l’Ukraine, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et l’Arménie. Le document stipule également la fin de la coopération militaire avec les pays post-soviétiques, le retrait des armes nucléaires américaines d'Europe et le retrait des troupes et des missiles de l'Otan loin de la frontière russe, le tout parafé par un document juridique. À ce titre, le 10 janvier à Genève, le vice-ministre des Affaires étrangères Sergueï Riabkov avait affirmé dans un ton on ne peut plus clair que, pour la Russie, +il est absolument obligatoire de faire en sorte que l'Ukraine ne devienne jamais, jamais, jamais membre de l'Otan+. Il avait également appelé les États-Unis +à faire preuve d'un maximum de responsabilité+ car actuellement +les risques liés à une éventuelle augmentation de la confrontation ne doivent pas être sous-estimés+".

De nouvelles révolutions de couleurs?

Alors que le problème ukrainien couve depuis 2014, souligne le docteur Soufi, voilà qu’"après l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie et la Biélorussie, une autre tentative de changement de régime sous couvert de révolution colorée vient d’être tentée au Kazakhstan, le 2 janvier. Selon les autorités du pays, des manifestations contre la hausse du prix du gaz de 13% ont tourné à l’émeute, permettant à des groupes organisés sous un seul commandement d’attaquer des bâtiments publics, des armureries militaires et la prison de Taldykorgan, où des islamistes sont détenus. Selon un bilan officiel, pas moins de 20.000 insurgés, dont des djihadistes ayant combattu en Syrie et Afghanistan, des émeutiers étrangers et des islamistes kazakhs, ont pris part à ces événements, aidés en cela par une sorte de cinquième colonne dans le pays. À regarder de près ces évolutions, il est tout à fait envisageable que le prochain pays qui puisse bien subir une attaque, comme le Kazakhstan, soit la Transnistrie, une petite République enclavée entre l’Ukraine et la Moldavie, où vivent un demi-million de russophones et où la Russie déploie environ 1.500 soldats. Le but est évidemment d’extraire ce pays hautement stratégique, à l’instar de l’enclave de Kaliningrad, à l’influence russe".
Pour Abdelkader Soufi, "après le retrait américain d’Afghanistan et le retour des talibans* au pouvoir, il était tout à fait prévisible que les Républiques d’Asie centrale: l’Ouzbékistan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et Turkménistan deviennent des bases arrières des islamistes djihadistes, à cause de la présence de mouvements islamistes dans ces pays, pour attaquer le Kazakhstan, un pays par lequel passent d’importants corridors du projet chinois de la route de la soie. Plus loin, il est évident que c’est l’axe eurasiatique Russie-Chine-Iran qui est visé in fine par la politique américaine et l’Otan".

Le "jeu trouble" d’Ankara, "courroie de transmission au Maghreb et au Sahel"

Malgré les menaces de nouvelles sanctions unilatérales américaines contre la Russie et d’une probable opération militaire israélienne contre les installations nucléaires iraniennes, "Moscou, Téhéran et Pékin ont fait savoir que la perche tendue aux Occidentaux pour un éventuel dialogue sur toutes les questions de désaccords ne le sera pas pour longtemps, et que les États-Unis, leurs alliés et l’Otan doivent comprendre que, désormais, il y a des lignes rouges qu’ils n’ont pas le droit de franchir", explique-t-il. À ce titre, il souligne, qu’en "plus des forces dépêchées par l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) au Kazakhstan, la Chine et l’Iran ont également proposé d’envoyer des forces militaires dans ce pays pour aider au rétablissement de l’ordre".
Un pays membre de l’Otan, la Turquie, a joué, selon l’interlocuteur de Sputnik, "a eu un jeu trouble dans ces événements. Il est important de bien identifier ses intentions stratégiques dans ce jeu, car la Turquie est bien positionnée pour jouer le rôle d’une courroie de transmission de l’Otan au Maghreb et au Sahel".
En effet, indique-t-il, "en plus de son intervention, en Libye, en Syrie et dans la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en introduisant ses drones Bayraktar TB2, la Turquie a également fourni ces mêmes armes à l’Ukraine […]. Il faut se rappeler que la Turquie a plusieurs fois exprimé son soutien à l’Ukraine et critiqué, dernièrement, le projet d’accord sur la sécurité proposé par la Russie aux Américains".

Quid des luttes d’influence en Afrique, notamment l’Algérie?

Il faut bien voir que "l'issue de cette crise réécrira probablement de manière décisive l'architecture de sécurité sur le continent européen, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et dans la région indopacifique pour toute une génération", estime l’expert, affirmant que cela dépendra essentiellement de la direction que "donnera Biden à sa politique extérieure, dans un contexte de crise interne aiguë aux États-Unis".
"Le Maghreb, le Sahel, notamment le Mali, les pays de la CEDEAO, dont en particulier la Guinée-Conakry, seront au cœur des luttes d’influences entre la Russie, la Chine, l’Iran, d’un côté, et les États-Unis, l’Europe, notamment la France, Israël et la Turquie", avertit le spécialiste, appelant les dirigeants de ces pays à la plus haute vigilance, "en raison des similitudes frappantes qui existent entre ce qui se passe en Ukraine et en Asie centrale, et les enjeux en cours dans leur région. Les mêmes acteurs et pratiquement les mêmes ingrédients sont présents dans ces pays, à l’instar de l’Algérie qui connaît des pénuries inexpliquées dans certains produits alimentaires, dont les autorités accusent des lobbies aux intérêts liés à des puissances étrangères".
Sinon, s’interroge-t-il, comment expliquer qu’après "quatre jours des propos tenus le 6 janvier par le chef de l’armée algérienne, le général Saïd Chengriha, à l’École supérieure de guerre, évoquant une mission sensible et vitale de l’institution militaire +au regard des événements internationaux et du contexte régional particulier […], à l’aune des manœuvres que mènent les ennemis des peuples, pour créer des foyers de tension dans la sous-région, visant l’effritement de ses États et la spoliation de ses ressources naturelles, soit par l’action directe, soit sous le couvert d’organisations non gouvernementales et de multinationales, qui exercent le chantage et la pression pour s’ingérer dans les affaires internes de ces États+, une compagne de dénigrement a été lancée contre sa personne et le haut commandement? Ses détracteurs se fiant à une vidéo prétendument enregistrée par un ancien adjudant détenu à la prison militaire de Blida, grossièrement fabriquée de toutes pièces, l’accusant de tous les maux et diffusée par un mouvement classé terroriste proche du Qatar et de la Turquie".
*Organisation sous sanctions de l'Onu pour activités terroristes
Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала