- Sputnik Afrique, 1920, 12.01.2022
Garanties de sécurité Russie-Otan
Des consultations entre la Russie et les États-Unis et la Russie et l'Otan consacrées aux propositions russes sur les garanties de sécurité se sont déroulées en janvier 2022 à Genève et Bruxelles.

"Il faut honnêtement déclarer que la Russie et l’Otan sont des adversaires"?

© Sputnik . Alexeï Vitvitskiy  / Accéder à la base multimédiaSecrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg
Secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg - Sputnik Afrique, 1920, 31.01.2022
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La réalité en matière de sécurité internationale a trop évolué depuis la fin de la guerre froide pour espérer résoudre les problèmes entre la Russie et l’Otan sur la base des accords datant des années 90, pointe à Sputnik un vice-directeur du Centre des recherches internationales et européennes de l’École des hautes études en sciences économiques.
Pour avancer dans les consultations sur les garanties de sécurité réciproques en Europe, il serait plus constructif de cesser de nier la réalité des relations entre la Russie et l’Otan, annonce au micro de Sputnik Dmitri Souslov, vice-directeur du Centre des recherches internationales et européennes de l’École des hautes études en sciences économiques de Moscou et membre du Conseil pour la politique extérieure et de défense de la Russie.
Selon l’expert, par ses propositions formulées sur papier à l’Alliance, Moscou cherche à "changer les règles fondamentales du jeu et les principes de base qui ont déterminé la situation dans le domaine de la sécurité européenne au cours des 30 dernières années".
Les règles et les principes, qui ont été établis à la fin de la guerre froide et après l’éclatement de l’URSS et qui ont complètement satisfait les États-Unis et l’Otan, n’ont jamais été convenables pour la Russie, met en avant Dmitri Souslov.
Il s’agit tout d’abord de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe de 1990 qui reconnaît la "liberté" de chaque État de "choisir leurs propres arrangements en matière de sécurité".
Dans le contexte de la réunification allemande et de la chute du pouvoir communiste, ce principe était destiné à valider l’entrée de l’Allemagne unifiée dans l’Otan, explique M.Souslov.
Et c’est ce principe qui est constamment évoqué par les pays de l’Occident pour argumenter que Moscou n’a pas de droit de veto pour s’opposer à l’adhésion à l’Alliance de nouveaux membres.
"En parlant de garanties de sécurité, la Russie propose de remplacer ce principe par un autre – celui selon lequel les grandes puissances et les blocs militaires associés doivent respecter les intérêts vitaux et les +lignes rouges+ de l’autre, sinon une guerre majeure pourrait éclater", souligne l’expert à Sputnik.
Ce n’est pas la première tentative russe de changer les règles du jeu, mais la première dans la nouvelle réalité, poursuit Dmitri Souslov.

Qu’est-ce qui a changé?

D’après notre interlocuteur, le monde assiste actuellement à une "confrontation globale des États-Unis avec la Chine et la Russie" dans laquelle les parties se considèrent comme ennemis et le risque d’une "guerre entre les grandes puissances, d’une guerre nucléaire" a repris.
Et d’ajouter que la confrontation entre les États-Unis et l’Otan avec la Russie porte ces dernières années un caractère systématique et l’Europe connaît une "division géopolitique".
La politique de dissuasion que l’Occident pratique à l’égard de la Russie contient maintenant une composante militaire, ainsi que des éléments de la course aux armements qui ont regagné la scène internationale, souligne l’expert.
Si au début de l’élargissement de l’Otan vers l’est, les États-membres étaient convaincus que cette extension n’affaiblissait pas leur sécurité, ce n’est plus le cas, selon M.Souslov.
"Nous devrions enfin appeler un chat un chat et reconnaître officiellement que l’ère des relations en Europe, qui a commencé avec l’unification de l’Allemagne en 1990, est terminée depuis longtemps. Ce contexte a disparu depuis longtemps. L’hégémonie occidentale et la période d’absence de confrontation en Europe et dans le monde dans son ensemble sont révolues", met-il en avant au micro de Sputnik.

Dans cette nouvelle réalité

Selon le professeur, les actions que Moscou entreprend dans le domaine de la sécurité internationale sont expliquées par cette contradiction entre les principes formulés sur le papier et cette nouvelle réalité.
"Il faut déclarer honnêtement et ouvertement que la Russie et l’Otan sont des adversaires et le resteront pendant longtemps, que les tentatives de construire un partenariat et une +Grande Europe+ sont dans le passé et ne sont pas d’actualité dans un avenir proche, et donc les principes et les institutions de la période de l’après-guerre froide devraient être laissés dans le passé", appelle Dmitri Souslov.
Moscou devrait au minimum désavouer la Charte de Paris de 1990, "le principal symbole de cette époque révolue", et possiblement rompre l’Acte fondateur avec l’Otan, propose-t-il.
De facto, ce dernier est déjà violé par l’Alliance qui a déployé ses systèmes antimissile en Roumanie et en Pologne, quatre bataillons dans les pays baltes et continue à renforcer sa présence militaire dans la région de la mer Noire, explique l’expert.
La première réaction de l’Occident aux propositions russes ressemble à un "Acte fondateur Russie-Otan 2.0", qui prévoit la réactulisation de certains dossiers militaro-techniques sans changer les principes fondamentaux.
Une approche qui ne devrait pas satisfaire la Russie si, cette fois, elle veut aboutir à modifier sur le papier les règles du jeu, analyse M.Souslov.
Même si dans le passé les grandes puissances ne voulaient prendre au sérieux les soucis de leur adversaire que dans les cas où le prix était très élevé, la nouvelle réalité augmente les chances de Moscou de réussir sans escalade aiguë, de "révolutionner" le droit international, constate-t-il.

Instruments de persuasion russes

Pour Dmitri Souslov, le changement de paradigme des relations entre la Russie et l’Otan et l’évolution de la sécurité en Europe ne seraient possibles sans "mesures militaro-politiques" prises par Moscou.
L’utilisation du conflit ukrainien dans ce contexte se présente comme "absurde et destructive", car l’objectif de telles mesures est de montrer aux États-Unis et à l’Otan que leurs sécurité et positions internationales risquent d’être considérablement affaiblies.
Une invasion "hypothétique" de l’Ukraine par la Russie, dont plusieurs pays occidentaux parlent actuellement, n’est pas capable d’atteindre le but mentionné, car l’Alliance ne participerait pas à cet éventuel conflit militaire, explique notre interlocuteur.
Selon lui, sans faire baisser le niveau de "tensions militaires dans les relations avec les États-Unis et l’Otan", il est nécessaire de développer une "coopération encore plus intensive et démonstrative avec la Chine dans les domaines militaro-politique et militaro-technique".
Ces deux mesures contredisent les intérêts stratégiques des États-Unis, pour qui le conflit avec la Chine porte un caractère "existentiel", raisonne M.Souslov.
Réalisant que ses "ressources sont limitées", Washington ne serait pas intéressé ni à les "disperser" dans la confrontation avec Moscou, ni à favoriser le renforcement de Pékin grâce à sa coopération militaire plus étroite avec les Russes.
"Comme l’a montré la décision de l’administration Biden de se retirer d’Afghanistan, quoi qu’il arrive, elle a une pensée stratégique et est prête à prendre des mesures politiquement impopulaires, tactiquement douloureuses, mais stratégiquement nécessaires. Qu’elle puisse concéder dans le secondaire cette fois, afin de ne pas perdre sur l’essentiel, reste l’une des principales intrigues de l’année qui a débuté", avance Dmitri Souslov.

Chance pour Paris

Selon l’expert, pour la France, la situation actuelle offre une nouvelle chance de surmonter la "paralysie stratégique" et jouer un rôle plus important dans la construction de l’architecture de sécurité européenne.
Paris pourrait participer plus activement aux pourparlers initiés par Moscou, d’autant plus que l’Hexagone avait déjà participé aux négotiations précédant la signature de la Charte pour une nouvelle Europe en 1990, relève l’analyste.
Et d’ajouter qu’au début des années 1990 la France s’est prononcée contre l’élargissement de l’Otan vers l’est pour ne pas provoquer de nouvelles tensions avec Moscou. Ce qui est arrivé finalement.
Le fait que la Russie a commencé la discussion sur la sécurité en Europe avec les États-Unis s’explique notamment par une position française passive en la matière.
"Chaque fois que la Russie essayait de discuter avec la France les problèmes des forces nucléaires de portée intermédiaire, de la défense antimissile, Paris évitait ce type de consultations", souligne l’expert.
Aujourd’hui, une posture plus indépendante dans la conversation autour de la sécurité européenne permettrait à Paris de sortir de son "inutilité stratégique".
Et finalement, une position plus ferme de la France à l’égard de Kiev concernant le respect des accords de Minsk comme le seul moyen de résoudre la crise ukrainienne serait également capable de détendre la situation et de préparer un nouveau contexte pour progresser dans les consulations sur les garanties de sécurité en Europe, conclut Dmitri Souslov.
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