Au Mali, les militaires "ont repris l’initiative et l’avantage sur l’État français"

© AFP 2023 Nicolas RéménéJoël Meyer, ambassadeur de France au Mali
Joël Meyer, ambassadeur de France au Mali - Sputnik Afrique, 1920, 02.02.2022
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Les récentes décisions prises par les autorités de transition maliennes pourraient conduire Paris et ses partenaires européens à revoir leur présence dans ce pays du Sahel. Quelles seraient les répercussions sécuritaires d’un retrait précipité des forces françaises et européennes du Mali? Réponses de deux experts.
Le torchon brûle (encore et toujours) entre Bamako et Paris. La décision des autorités maliennes d’expulser l’ambassadeur Joël Meyer est vécue en France comme un véritable affront. Aucun autre pays anciennement colonisé par la France n’avait pris une décision aussi extrême. Au sein de la classe politique française, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer cette mesure et surtout la "passivité" du gouvernement. C’est le cas notamment de Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national (RN) ou encore du député Jean Lassalle fondateur du mouvement Résistons qui a interpellé, mardi 1er février 2022, à l’Assemblée nationale, le chef de la diplomatie Jean-Yves Le Drian.

"Illégitimité "

Pour le ministre français des Affaires étrangères, l’expulsion de l’ambassadeur à Bamako est un acte pris par un gouvernement "illégitime" qui ne devrait avoir aucune conséquence sur l’engagement de la France à lutter contre le terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest.
"Le combat contre le terrorisme, monsieur le député Lassalle, se poursuivra aussi avec l’accord des autres pays de la région et des pays du golfe de Guinée qui aujourd’hui voient la porosité des frontières qui permettent aux groupes terroristes de pénétrer dans le nord de ces territoires. Donc, notre volonté est intacte et ce n’est pas un événement dû à l’irresponsabilité, je réitère mes mots, dû à l’illégitimité d’un gouvernement de coup d’État qui va nous faire enrayer notre lutte contre le terrorisme", a affirmé Jean-Yves Le Drian.
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Emmanuel Desfourneaux, analyste politique et directeur de l’Institut afro-européen de Paris, explique à Sputnik que les déclarations du ministre Le Drian ont participé à envenimer les relations avec le pouvoir malien de transition. Pour l’analyste politique, ce comportement est perçu comme un signe de faiblesse.
"Sans doute les sorties inhabituelles de Le Drian prouvent aussi que la France perd ses nerfs. Elles ne maîtrise plus rien. Les autorités françaises s’emportent et témoignent de la faiblesse de la stratégie française."
Mais Le Drian, qui s'est engagé à maintenir la lutte anti-terroriste avec les autres pays de la région, ne se prononce pas explicitement sur la présence des forces françaises au Mali. "S’il y a départ de l’armée française, cela doit être considéré comme une défaite avant tout de notre diplomatie", lance Desfourneaux, "auquel cas il ne faut pas attendre jusqu’aux prochaines élections présidentielles. Le Drian doit être démis de ses fonctions. Une enquête parlementaire doit être ouverte sur ses actions en Afrique, en particulier au Mali depuis l’intervention de Serval".
Du côté malien, il apparaît clairement que le chef de l’autorité militaire de transition, le colonel Assimi Goïta, et les officiers maliens souhaitent le départ des armées française et européennes engagées au sein de l’opération Barkhane et de la task-force Takuba.
L’expulsion des soldats danois est un message clair envoyé au commandement militaire international. Le renvoi de l’ambassadeur français est une confirmation adressée au pays qui dirige ce commandement.
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Si Bamako rejette la présence militaire étrangère, la prochaine étape consistera probablement à dénoncer les accords de coopération qui légitiment la présence des soldats français sur le sol malien, suggère Desfourneaux. "La junte militaire peut le faire, elle vient de nous le prouver: elle ne cédera pas en dépit des pressions internationales. Je pense que les autorités maliennes attendront une contre-mesure de la France. Celles-ci nous ont montré qu’elles répondaient du tac au tac. Acculée, peut-être la France fera-t-elle le premier pas vers le retrait définitif des troupes de Barkhane et de Takuba", affirme l'analyste français.
À noter que de leur côté, le 28 janvier dernier, les Européens présents dans le cadre de l'opération Takuba se sont donnés 14 jours pour déciderde "ce à quoi devrait ressembler le futur de la lutte contre le terrorisme au Sahel" a informé la ministre danoise de la Défense, Trine Bramsen.

Quelles répercussions?

Contacté par Sputnik, Akram Kharief, directeur du site Menadefense et spécialiste en question de défense, estime que les responsables maliens ont certainement pris des mesures pour faire face à un retrait des unités antiterroristes françaises et européennes, qui du reste n'aboutira pas à "un effondrement du Mali".
"Il semble que les Maliens se soient aménagés une porte de sortie en fixant Wagner [dont la présence a pourtant été démentie par les autorités maliennes, ndlr] dans le centre du pays pour protéger la capitale et les sites sensibles. S’il y a un retrait des troupes françaises, cela aura un impact sur le nord et la zone des trois frontières (Mali, Niger et Burkina Faso). Cela concerne en priorité Takuba, puisque Barkhane est en train de se déliter. S’il y a un retrait brutal de la France, je ne pense pas qu’il y aura un effondrement du Mali mais cela aura des répercutions sécuritaires sur cette partie du Sahel", note le spécialiste algérien.
L'analyste français Emmanuel Desfourneaux pense aussi quant à lui que les Maliens ont probablement pris leurs dispositions pour parer à toute éventualité, et sauront sur qui compter.
"Depuis les sanctions de la CEDEAO [Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, ndlr], la junte militaire a repris l’initiative et l’avantage sur l’État français. Elle peut compter sur de nouveaux alliés comme la Russie et la Chine, qui observent avec attention la situation. Elle peut aussi compter sur la résilience du peuple malien, ainsi que sur sa rhétorique patriotique qui fait des émules auprès de la jeunesse africaine. Seulement, la junte n’a pas le droit à l’erreur. Car, même si la France part, elle ne sera jamais loin. Et elle attendra la moindre erreur pour prendre sa revanche car c’est bien ce que Jean-Yves Le Drian et Emmanuel Macron ont en tête actuellement", conclut Emmanuel Desfourneaux.
Depuis le début de cette crise qui oppose Paris à Bamako, Washington, qui est un acteur actif mais relativement discret, s’est montré silencieux. Les États-Unis, qui fournissent l’essentiel des renseignements grâce à leurs drones basés au Niger, se sont contentés de mettre en garde les autorités maliennes contre la présence du groupe Wagner, une société militaire privée russe (avec laquelle le Kremlin nie toute relation) dont la présence a été niée par les autorités maliennes, et de soutenir les sanctions prises par la CEDEAO. Mais aucun soutien franc au gouvernement français.
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