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Dîners mondains du ministre Macron: pour les politiques, "l’argent de l’État, c’est leur argent"

© Sputnik . Alexeï Vitvitski / Accéder à la base multimédiaEmmanuel Macron
Emmanuel Macron - Sputnik Afrique, 1920, 05.02.2022
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Les dîners organisés par Macron à Bercy refont surface après un reportage sur la relation incestueuse entre les mondes politique et de l’art. Didier Maïsto écorche ces élites qui confondent l’argent des Français avec le leur. Florilège.

"Vous vous imaginez que la Gendarmerie va venir lui passer les menottes et le traîner devant un tribunal?"

Au micro de Sputnik, le journaliste indépendant et lanceur d’alerte Didier Maïsto ne se fait guère d’illusion concernant les suites judiciaires que n’aura pas le soudain regain d’intérêt médiatique pour les "dîners de Bercy".
Derrière ce nom, les fameuses réceptions organisées par le couple Macron, lorsque l’actuel Président de la République était encore le ministre de l’Économie de François Hollande. Un "activisme mondain" qui, en l’espace de huit mois, aurait coûté la bagatelle de 120.000 euros au contribuable, rappelle Complément d’enquête dans son dernier numéro diffusé sur France 2.
"Bien sûr cela révolte encore un peu, mais une info chasse l’autre et puis demain on parlera d’autre chose. Il ne se passera rien", déplore l’ancien patron de Sud Radio. "Je trouve le peuple français bien gentil, bien résilient, bien élevé."
Aux yeux du lanceur d’alerte, la France est ainsi devenue "un pays d’apparences", les "magouilles" étant "bien souvent légales." Une "zone grise" sur laquelle s’attarde d’ailleurs Complément d’enquête, qui rappelle que le fait qu’Emmanuel Macron ait utilisé 15.000 euros d’argent public par mois pour convier à sa table tout le gotha parisien de la culture est "parfaitement légal."

"On n’est plus du tout en démocratie"

"Chaque ministre invite qui il veut et personne ne contrôle si les invités sont en lien direct avec les attributions du ministre", précise face caméra le journaliste Frédéric Says, co-auteur de Dans l’enfer de Bercy (Éd. JC Lattès, 2017). C’est d’ailleurs cet ouvrage publié en 2017 qui a révélé l’existence de ces dîners et leur montant astronomique pour le commun des Français. Mais le scandale a été tué dans l’œuf avec, le jour même de sa sortie, la première volée de révélations du Canard enchaînésur l’emploi fictif supposé de Pénélope Fillon.
Tout de même interrogé quelques jours plus tard sur le plateau de Gilles Boulot sur TF1, Emmanuel Macron avait déclaré qu’il "assum [ait] totalement" ces dépenses, qu’il avait été un "ministre actif" et qu’il "n’a [vait] pas utilisé cet argent pour le mouvement En Marche!"

"Cela s’appelle du clientélisme et c’est comme ça que fonctionne l’État profond français […] Quand vous pensez que dans un pays nordique, une ministre qui achète une tablette de chocolat avec sa carte bleue professionnelle est contrainte à la démission, on voit le chemin qu’il reste à faire."

Bref, le chien aboie et la caravane passe, tant ce type de pratique semble ancré dans les habitudes des politiciens. Didier Maïsto en veut pour preuve la pléthore de commissions d’enquête et autres enquêtes préliminaires ouvertes par les députés et les parquets qui n’ont abouti… à rien. S’il ne fallait en citer qu’une, ce serait celle présidée par le député Les Républicains Olivier Marleix, qui avait examiné les décisions de l’État en matière de politique industrielle (Alstom, Alcatel, STX, etc.).
Au bout de celle-ci, le député d’opposition s’est forgé la conviction que la vente d’Alstom à son concurrent américain General Electric avait été le fruit de "la cécité, l’imprévision et l’entre-soi" des élites gouvernantes françaises. Il avait directement pointé un doigt accusateur vers l’Élysée. Mais le rapporteur de cette même commission, quant à lui député LREM, s’était chargé d’en torpiller les conclusions.

Collection de conflits d’intérêts

Marleix avait alors saisi le PNF, dénonçant un "pacte de corruption" impliquant jusqu’au plus haut sommet de l’État. L’élu avait aussi souligné que la vente des fleurons industriels français, lorsque Macron était à Bercy, avait fait les affaires des banquiers et des avocats parisiens qui avaient par la suite soutenu la campagne présidentielle… du même Macron. Une enquête préliminaire avait été ouverte… pour l’heure sans suite.

"C’est toujours très ronflant. On vous dit “vous allez voir ce que vous allez voir”, puis à la fin, on ne voit rien du tout…", abonde un Didier Maïsto écœuré par l’attitude des politiciens français. "Ils ont toujours fait comme ça, ils n’ont même pas l’impression de commettre un délit. L’argent de l’État, c’est leur argent."

Le journaliste indépendant rappelle ainsi la collection de plaintes à l’encontre d’Alexis Köhler pour conflits d’intérêts. La plus marquante reste celle portée pour "prise illégale d’intérêts" et "trafic d’influence" pour avoir dissimulé ses liens familiaux avec les propriétaires et fondateurs de MSC, alors qu’il était directeur de cabinet d’Emmanuel Macron à Bercy.
Selon Anticor, qui énumère qu’après son passage chez STX, il fut directeur de cabinet adjoint du ministre des Finances, directeur de cabinet du ministre des Finances puis secrétaire général de la Présidence de la République, "à chaque étape, les éléments révélés par la presse permettent de penser qu’il a profité de ces fonctions pour défendre les intérêts de MSC."
L’affaire a été classée sans suite par le PNF peu de temps après qu’Emmanuel Macron, devenu Président, a adressée une lettre à l’institution judiciaire, au mépris de la séparation des pouvoirs.
Autre cas de figure, la manière dont Hugh Bailey, l’ancien conseiller responsable du financement export d’Emmanuel Macron à Bercy, avait terminé à la tête de General Electric France (GE). En plus d’avoir piloté le dossier de rachat de la branche énergie d’Alstom par GE, ce haut fonctionnaire s’était montré généreux en matière d’aides publiques au géant américain.

Solère, 13 mises en examen, mais "toujours là"

"Ça ne s’invente pas…", tacle Didier Maïsto. Hugh Bailey avait par la suite défrayé la chronique en annonçant un plan de licenciement de 1.000 salariés, contredisant les promesses du groupe américain au gouvernement Hollande. Une annonce qui était opportunément tombée 48 heures après le résultat d’élections européennes clés pour LREM. Depuis juin 2019, le patron de GE est ainsi visé par une enquête pour "prise illégale d’intérêts", après la saisie du procureur de la République de Paris par la députée écologiste Delphine Batho. Autre procédure au point mort.
Dans les rangs des élus de la majorité à l’Assemblée, les affaires ne manquent pas non plus. Didier Maïsto évoque ainsi pêle-mêle la nouvelle affaire qui éclabousse l’ex-LR Thierry Solère, mis en examen pour la treizième fois dans sa carrière politique, mais "toujours là". Le 3 février, il a été mis en examen pour "détournement de fonds publics", "trafic d’influence passif" et pour manquements aux obligations déclaratives à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Les principaux intéressés peuvent également compter sur des fusibles pour sauver leur peau. Le journaliste prend pour exemple François de Rugy, impliquée dans le "scandale des Homards". Celui-ci avait certes perdu sa place de ministre de la Transition écologique et solidaire, mais avait retrouvé son siège de député au détriment de son suppléant… renvoyé. "Quand vous regardez ce quinquennat, il y a toujours des fusibles qui pètent, mais les vrais responsables ne sont jamais inquiétés", s’agace Didier Maïsto.
Des fusibles, comme dans l’affaire de la French Tech Night. Cette onéreuse soirée à Las Vegas, à laquelle avait participé en janvier 2016 Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie. Début mars 2017, le Canard enchaîné révélait que non seulement la soirée avait été organisée par Business France sans aucun appel d’offres, mais qu’elle avait coûté la modique somme de 381.759 euros, "dont 100.000 rien que pour l’hôtel". Le tout au profit de 500 convives, des personnalités et dirigeants français de start-up, que l’on retrouvera plus tard parmi les soutiens de la campagne d’Emmanuel Macron.

Confusion des genres

Dans l’œil du cyclone: Muriel Pénicaud, ministre du Travail d’Emmanuel Macron au moment où les révélations avaient paru dans la presse et auparavant directrice adjointe de Business France, responsable de l’organisation de la French Tech Night. Le palmipède avait révélé que celle-ci était au courant du dérapage budgétaire de la soirée, pulvérisant sa défense. Pourtant, à l’issue de l’enquête, ce fut finalement l’agence Havas qui a été placée en examen pour "recel de favoritisme", ainsi que la subordonnée de Pénicaud chez Business France pour "favoritisme".
Là encore, une affaire liée à une campagne préparée aux frais de la princesse… vite oubliée par les médias durant la campagne présidentielle de 2017. Et là encore, une mauvaise habitude qui a la vie dure?

"Macron n’est pas candidat déclaré, mais a déjà 500 parrainages, ce qui lui permet de continuer à faire campagne sur les deniers publics", fulmine Didier Maïsto.

Qu’il s’agisse de dîners mondains à Bercy avant de lancer En Marche ou de la confusion entre sa fonction de Président et son rôle de candidat potentiel, le journaliste ne se fait guère d’illusions sur les suites données à ces pratiques. "Dans la loi, il y a la lettre et il y a l’esprit. On vous répond que c’est légal et que si ce n’est pas tout à fait légal, le statut pénal du Président de la République le rend irresponsable", explique Didier Maïsto. "Cela s’appelle une monarchie républicaine. On n’est plus du tout en démocratie et cela n’est pas nouveau."
En revanche, il se montre plus inquiet sur le sort de ceux qui dénoncent de telles pratiques:

"S’attaquer à des puissants n’est jamais simple […] Même si vous avez des billes, vous finirez toujours par sauter, on vous exclura du système. Cela prendra le temps qu’il faut, mais on vous désactivera."

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