Pénurie de sang en Côte d’Ivoire: "Il y a urgence à agir et le chantier est vaste"

© Sputnik . Roland KlohiJournée de don de sang organisée par un particulier en collaboration avec le CNTS, à Abidjan en janvier 2021
Journée de don de sang organisée par un particulier en collaboration avec le CNTS, à Abidjan en janvier 2021 - Sputnik Afrique, 1920, 19.02.2022
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En Côte d’Ivoire, le manque chronique de poches de sang dans les hôpitaux ne cesse d’endeuiller les familles. Mais depuis quelques mois, les autorités sanitaires, qui souhaitent renverser cette tendance, collaborent avec une structure privée pour améliorer la collecte du précieux liquide et ainsi parvenir à l’autosuffisance.
"Pitié, besoin urgent de sang"! Sur les réseaux sociaux, dans des groupes ou via des comptes personnels, il est fréquent que des appels à l’aide similaires soient abondamment relayés par des parents et amis en détresse.
Et il n’est pas rare que leur quête se solde par un échec, avec pour conséquence la mort du patient.
La Côte d’Ivoire est, année après année, confrontée à une forte pénurie, les poches de sang collectées étant loin de satisfaire les besoins exprimés. Selon l’OMS, tout pays, pour être autosuffisant, doit avoir au moins 1% de sa population comme donneur. Sur cette base, pour la Côte d’Ivoire dont la population est estimée à 26 millions de personnes, il faut un minimum de 260.000 poches. Et pourtant, les derniers chiffres du Centre national de transfusion sanguine (CNTS), la structure étatique chargée de collecter, traiter et distribuer le sang et ses dérivés, portent sur quelque 170.000 poches collectées avec peine chaque année. Il y a donc un fossé important à combler.
© Sputnik . Roland KlohiJournée de don de sang organisée par un particulier en collaboration avec le CNTS, à Abidjan en janvier 2021
Journée de don de sang organisée par un particulier en collaboration avec le CNTS, à Abidjan en janvier 2021 - Sputnik Afrique, 1920, 17.02.2022
Journée de don de sang organisée par un particulier en collaboration avec le CNTS, à Abidjan en janvier 2021
Dans la plupart des centres de santé, les données sur les décès liés au manque de sang ne sont hélas pas enregistrées. Il n’est dès lors pas aisé d’évaluer clairement les conséquences de la pénurie mais, selon le Dr Dodié Diagaunet, elles seraient de "grande ampleur".
"Quoiqu’encore difficiles à évaluer, les conséquences du manque de sang dans notre pays n’en demeurent pas moins assurément lourdes, avec de nombreux décès. Il y a donc vraiment urgence à agir. Cela dit, le chantier est vaste et implique plusieurs secteurs", affirme ce spécialiste de santé publique et d’informatique de la santé, interrogé par Sputnik.
Pour avoir lui-même été confronté à cette difficulté constante à trouver du sang, il connaît bien "le drame que vivent de nombreuses familles". "Mon défunt père souffrait d’une insuffisance rénale. En raison d’anémies récurrentes, les insuffisants rénaux et les patients dyalisés ont régulièrement besoin de transfusion. À chaque fois qu’il fallait lui trouver du sang, c’était une tâche difficile, même pour moi qui suis du milieu médical. C'est à partir de là que j’ai commencé à m’intéresser au problème et à en réaliser l’ampleur", raconte-t-il.
© Sputnik . Roland KlohiJournée de don de sang organisée par un particulier en collaboration avec le CNTS, à Abidjan en janvier 2021
Journée de don de sang organisée par un particulier en collaboration avec le CNTS, à Abidjan en janvier 2021 - Sputnik Afrique, 1920, 17.02.2022
Journée de don de sang organisée par un particulier en collaboration avec le CNTS, à Abidjan en janvier 2021

Un enjeu national

Depuis juillet 2021, Innovative Healthcare Solutions (IHS), l’entreprise de consultance et d’innovation en santé fondée par le Dr Diagaunet, apporte son expertise au CNTS pour améliorer ses procédés et donc ses performances.

"Dès la signature de convention entre nos deux structures, IHS a entamé une mission exploratoire [financée par l’unité de coordination des projets santé de la Banque mondiale, ndlr] pour une analyse situationnelle sur toute l’étendue du territoire ivoirien, afin de pouvoir échanger avec tous les acteurs qui interviennent dans la chaîne, et récolter des données et suggestions", déclare-t-il.

Bien qu’étant encore loin d’être à son terme, cette mission a déjà permis de relever un certain nombre de problèmes qui plombent la collecte de sang et explique l’ampleur de la pénurie.
Don de sang, image d'illustration - Sputnik Afrique, 1920, 07.06.2020
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En Côte d’Ivoire, le sang est collecté de deux manières: dans une moindre mesure sur des sites des structures déconcentrées du CNTS où les donneurs peuvent se rendre spontanément, et principalement par des collectes mobiles effectuées par le CNTS sur le terrain. "Mais le souci est que les structures déconcentrées du CNTS ont des difficultés tant du point de vue logistique pour pouvoir se rendre sur le terrain, que du point de vue financier, pour pouvoir financer les collectes mobiles", explique le Dr Diagaunet.
Un autre problème réside dans la perception qu’ont les Ivoiriens du don de sang. En effet, dans certaines zones du pays, les populations se montrent particulièrement réfractaires à cette action du fait de croyances socioculturelles qui veulent notamment que le sang acheté soit utilisé par certaines personnes pour des rituels. À côté de cela, nombreux sont ceux qui estiment vain de donner leur sang alors que le système de distribution manque de transparence et que le sang collecté gratuitement se retrouve parfois en vente à vil prix sur le marché noir. Par ailleurs, la mission a également mis en cause le fait que plusieurs médecins prescrivent une poche de sang là ou un simple médicament suffirait.
© Sputnik . Roland KlohiJournée de don de sang organisée par un particulier en collaboration avec le CNTS, à Abidjan en janvier 2021
Journée de don de sang organisée par un particulier en collaboration avec le CNTS, à Abidjan en janvier 2021 - Sputnik Afrique, 1920, 17.02.2022
Journée de don de sang organisée par un particulier en collaboration avec le CNTS, à Abidjan en janvier 2021
"Au vu des problèmes relevés, nous pouvons d’ores et déjà souligner un certain nombre d’impératifs. Il faut notamment une sensibilisation du CNTS et du gouvernement suffisamment pertinente et intensive pour faire comprendre aux populations l’importance de donner son sang. Il faut élaborer un système efficace de suivi du sang depuis sa collecte jusqu’à sa distribution, ainsi que former les médecins à la prescription de produits sanguins labiles", préconise le Dr Diagaunet.
Mais selon ce spécialiste, pour régler la question du manque de sang en Côte d’Ivoire, il faudra tout particulièrement s’atteler à réduire la prévalence du paludisme chez les enfants, ainsi que les hémorragies chez les femmes en couches. En effet, 60% de la production nationale de sang sont consommés par le couple mère-enfant. "Il s’agit d’enfants souffrant de paludisme grave avec anémie et qui ont besoin d’être transfusés, et de femmes en couches qu’il faut transfuser à cause des hémorragies, qui sont la première cause de décès maternel dans le pays", précise-t-il.
"La problématique de la pénurie de sang est véritablement un enjeu national qui nécessite l’apport et l’expertise de tous. Une fois sa mission achevée, IHS va dégager des axes pertinents pour des recommandations efficaces et établir un plan national opérationnel. L'unité de coordination santé de la Banque mondiale, qui est très intéressée par les données que nous sommes en train de collecter, devrait sans doute financer une partie de leur exécution, mais vu que ça ne devrait pas être suffisant, il faudra nécessairement que l’État ivoirien en assure la plus grande partie", résume le Dr Dodié Diagaunet.
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