La tragédie de Boston. Œil pour œil ou provocation stylisée ?

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« Je ne fais partie d’aucun réseau djihadiste international ». Tel est l’aveu du cadet des frères Tsarnaev, privé de l’usage de la parole mais tout à fait « alerte et lucide » comme le constatent ses médecins.

 

A défaut d’en savoir plus, deux questions se posent automatiquement: soit Djokhar ment parce qu’il ne veut inculper personne d’autre que lui, soit il dit la vérité, mais alors, reprenant le commentaire d’un lecteur du Monde, il se fait que l’islamisme « se suffit maintenant à lui-même ». Des deux hypothèses, je ne sais laquelle est la plus grave. Probablement, la deuxième. Elle démontre on ne peut plus éloquemment que le radicalisme musulman se rapporte à un phénomène dépassant le cadre médiatique qu’on lui attribuait tantôt, dépassqnt les effets de mode toujours un peu présents dans n’importe quelle idéologie. L’islamisme est dès lors un engagement personnel. Or, il est toujours plus difficile de déraciner un engagement personnel que de démanteler une cellule terroriste une fois celle-ci localisée.

Pourquoi alors cette intériorisation du terrorisme? En réalité, il faut au préalable se pencher sur la portée du terme terrorisme, donc, se pencher sur les mobiles qui l’animent. Naturellement, si je fais partie d’une organisation radicale née d’elle-même ou d’une secte non moins radicale autoproclamée et que, voulant imposer mes idées à autrui, je fais sauter des voitures ou des centres commerciaux, effectivement, il s’agit bel et bien de terrorisme pur et dur dans le cadre d’une relation de cause à effet directe. Maintenant, si quelqu’un m’a forcé à me réfugier dans le radicalisme, à devenir un fou de Dieu parce que je n’ai plus que Dieu pour refuge transcendant en réaction à un sentiment objectif d’oppression, les actes terroristes auxquels je me livre, tout en étant rigoureusement condamnables, pourraient cependant être perçus d’une façon plus nuancée. Autre exemple typique, encore plus révélateur et flagrant. Vous savez aussi bien que moi que les résistants français coupables de sabotage étaient condamnés à la guillotine comme terroristes. En effet, ils faisaient sauter des trains, ils tuaient les policiers français solidarisant avec Vichy et, après tout, qui sait si durant ces opérations explosives de simples citoyens n’y passaient pas eux aussi?

On voit donc qu’il y a un terrorisme offensif et un terrorisme réactionnel. Le cas des frères Tsarnaev se situe, à mon sens, entre les deux. C’est en cela que leur acte est aussi détestable que, hélas, en partie explicable. C’est cela qui le rend très passablement jugeable à l’aune des valeurs déséquilibrées de notre siècle. Nous sommes en présence de deux détraqués profonds dans un monde profondément hypocrite.

La course aux ressources entamée en 2001 suite au 9/11, servie comme elle l’a été par les médias sous le noble titre de croisades an nom d’une démocratie passe-partout, a donné cours à une destruction massive de pays musulmans jusque là parfaitement stables et tolérants sur le plan confessionnel. Ces campagnes criminelles ont galvanisé certaines contradictions qui existaient et existeront manifestement toujours entre shiites et sunnites, notamment à l’égard de branches particulièrement modérées tels que les alaouites. En guise d’illustration, Bachar Al-Assad est alaouite et la guerre qui en ce moment est menée en Syrie a entre autres les traits d’un conflit religieux. Qui en tenir coupable? Encore une question rhétorique, veuillez m’en excuser.

L’Afghanistan, l’Irak, la Lybie, les pays ayant subi des printemps particulièrement torrides ont engendré une immense catégorie d’individus qui n’arrivent plus à s’en sortir. Vulgairement parlant, ils n’arrivent plus à régler leurs comptes, extrapolant des guerres intestines à un Occident qu’ils tiennent pour seul auteur de ce désastre. Ont-ils si tort que ça? Je ne le pense malheureusement pas. Le terrorisme des frères Tsarnaev constitue en fait cet effet boomerang qui en l’occurence est la monnaie à payer. Est-ce que l’Occident était prêt, dès le début, à payer?

Est-ce que la France, pour se référer à un exemple plus familier que d’autres, est prête à assumer le retour sur son territoire d’une foultitude de mercenaires djihadistes français formés au plus haut niveau dans les environs de Damas ou de Homs? Personnellement, je donne ma langue au chat.

Le défunt Tamerlan et son frère Djokhar étaient tchétchènes. On sait qu’une bonne partie des combattants de l’ASL sont eux aussi tchétchènes, fraternisant en cela avec nos … compatriotes qui, une fois de retour, pourraient parfaitement se mettre à l’œuvre. Bien entendu, il ne s’agira pas pour eux de venger Al-Assad ou les Syriens qui périssent sous les coups de mitrailleuse. Au contraire! Ces gens-là devraient remercier la France et l’Occident d’une façon plus générale d’avoir favorisé l’avènement de l’islamisme dans un Etat qui n’en voulait pas. L’effet boomerang sera donc dû au choc civilisationnel incommensurable que ces ex-mercenaires auront à subir une fois en Europe ainsi qu’à la diabolisation des gouvernements européens dont les motifs expansionnistes profitant aux islamistes ne sont perçus par ces derniers que comme expansionnistes et antimusulmans d’une manière fondamentale.

Ce choc idéologique, les frères Tsarnaev l’ont sans douté éprouvé sans pour autant être des mercenaires au service d’Al-Qaïda ou des gens qui ont soudainement débarqué en Occident. Il se trouve même que le cadet des terroristes avait passé une bonne partie de sa vie aux USA! Ce choc dont il est question ne doit donc pas se comprendre au premier degré puisque, en tant qu’état psychologique, il s’est formé avec le temps, devenant le fruit de longues et mûres observations de la politique menée par l’Occident, politique déboussolante et fasciste. Vous en voulez une illustration? La voici. Notre presse nationale n’ayant relaté ces faits que très approximativement, je suis allée chercher sur des sites alternatifs et notamment sur le blog de M. Chems Eddine Chitour, mathématicien et politologue dont je vous recommande les analyses le plus souvent brillantes.

L’un de ses derniers articles s’intitule La guerre aux enfants en Afghanistan: au nom de la démocratie aéroportée. Il commence par l’extrait de témoignage d’un vieil afghan qui, ne pouvant retrouver la dépouille de son petit suite à un énième bombardement otanien début avril 2013, se borne à enterrer un débris de corps y voyant symboliquement celui de son fils. Je vous épargne d’autres détails bien plus baroques pour passer directement au constat des faits. « Un bombardement de l’Otan samedi dans l’est de l’Afghanistan, a tué dix enfants afghans, ont déclaré le 7 avril plusieurs responsables (…). Le bombardement s’est tenu alors qu’un combat intense opposait des troupes afghanes et américaines à des insurgés talibans, ont déclaré deux sources différentes (…) ». Un peu plus loin dans l’article, on retrouve un commentaire de Gilles Devers, avocat n’ayant pas hésité à déposer une requête en justice pour crimes de guerre lors de la Guerre de Gaza de 2008-2009. Il n’y a aucune raison de douter de sa compétence. Selon lui, il y a eu une forte dérive du droit, la mission initiale de l’Isaf ayant été dévoyée. « L’OTAN a obtenu de l’ONU de débarquer en Afghanistan pour répondre à Al-Qaïda, mais elle n’a aucun mandat pour éliminer les talibans (…). Le bombardement est donc une représaille, et les représailles sont interdites par l’article 33 al 3 de la IVème convention de Genève (…). Le bombardement visait une maison d’habitation dans un village, c’est-à-dire que les enfants ont été visés chez eux ».

Dix enfants! En a-t-on beaucoup parlé aux USA? En a-t-on beaucoup parlé en France? En revanche, la tragédie de Boston – et à juste titre, bien sûr! – défraye les chroniques depuis voilà quelques jours. On s’apitoie du sort de chaque victime, nos Présidents présentent moultes condoléances à Obama. Rien de plus humain, rien de plus normal, certes, et pourtant … quelle différence y a –t-il entre les bombes des Tsarnaev et les représailles démocratiquement camouflées de l’OTAN? C’est chacun son système de valeurs, le reste n’est qu’interprétation. Partant de là, pourquoi ne pas rapprocher les deux attentats? Car il faudrait peut-être arrêter de croire que ce qui est permis à Jupiter n’est pas permis aux vaches.

La thèse d’une provocation de la CIA largement exploitée par un certain nombre d’experts ne tient pas forcément la route puisque, primo, les USA n’ont plus tant besoin de justifier leurs manœuvres extérieures, secundo, s’il s’agit de commencer la liquidation des chefs de l’ASL, il semblerait tout de même que l’avertissement bien argumenté de M. Clapper, directeur national du renseignement américain soit suffisant … Après tout, se procurer des kamikazes – car les deux frères étaient sans conteste des kamikazes – ça coûte cher.

En somme, que voit-on? Après avoir combattu des siècles durant la Loi du Talion, la civilisation européenne l’a indirectement ressuscitée, croyant dur comme fer – triste héritage de l’époque coloniale – qu’elle pourrait continuer à agir impunément. Le contraire étant sur le point d’être prouvé, nous verrons maintenant quelles conclusions pratiques elle en tirera.

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