Le jeu vidéo en Afrique, un levier de croissance pour l’économie du continent?

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Le Festival de l’électronique et du jeu vidéo d’Abidjan (FEJA) a fermé ses portes mais le désir des jeunes africains de percer dans le monde du jeu vidéo reste intact. Si l’industrie vidéo-ludique mondiale pèse près de 120 milliards de dollars, l’Afrique ne représente qu’1% de ce chiffre d’affaires. Pourtant, sa marge de progression est colossale.

L'Afrique est encore un outsider dans l'industrie du jeu vidéo mais la donne peut-elle changer? Avec près de 120 milliards de dollars générés en 2017, un chiffre d'affaires qui pourrait doubler à l'horizon 2022 (235 milliards de dollars, selon une étude de Digi-Capital), ce secteur ne connait pas la crise. Or, dans cette création de richesse, le continent africain fait figure de petit poucet avec seulement un milliard de dollars généré chaque année.

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Pourtant, sa marge de progression est colossale. En effet, avec une population de 1,2 milliards — dont la moitié est constituée de jeunes de moins de 25 ans — et qui pourrait doubler d'ici 2050, le marché potentiel pour le jeu vidéo est très important. Par ailleurs, les jeunes Africains semblent être bien décidés à changer la donne et à s'organiser pour satisfaire leur appétence pour le domaine du numérique. En témoignent les succès du Festival de l'électronique et du jeu vidéo d'Abidjan (FEJA), de rAge Expo en Afrique du Sud, ou de jeux créés par des studios de développement africains. Le continent africain peut-il devenir incontournable dans l'industrie du jeu vidéo?

Si cette révolution doit se faire, elle se fera sur mobile. Et pour cause, les consoles et les ordinateurs étant bien souvent inaccessibles pour une large majorité de la population à cause du prix, les «gamers» Africains privilégient les jeux sur smartphone. Thierry Barbaut, responsable des stratégies numériques de l'ONG La Guilde, interrogé par Sputnik, explique que «tout passe par la téléphonie mobile. On a fait ce qu'on appelle le «leapfrog» [saut de grenouille, ndlr]: on est passé de quasiment très peu d'ordinateurs, et donc très peu d'informatique, au tout-mobile,avec une petite spécificité: on reste encore à 60, 70% avec des téléphones anciennes générations, c'est-à-dire non tactiles, ce qui freine le développement des applications.»

«Le smartphone, c'est la deuxième grande vague de transformation avec quasiment 80% du parc de téléphonie mobile en Afrique qui sera équipé de smartphone d'ici 5 à 8 ans.»

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Comme l'explique Thierry Barbaut, les jeux ou applications ludoéducatives mettent souvent l'accent sur «la découverte des environnements ou l'apprentissage.» En revanche, «tous les jeux qui sont populaires dans nos pays [en occident, ndlr] ne vont pas du tout être utilisés de la même façon. A partir du moment où il faut payer, c'est un frein majeur. Pourquoi? Parce que les gens n'ont pas de compte en banque, pas de carte bleue, donc ne vont pas synchroniser leur téléphone à un compte Google Play ou un App Store.»

«Les gens vont être freinés par la consommation du data et par le coût. La majeure partie de l'Afrique vit dans une extrême pauvreté. Il va donc être possible d'utiliser un smartphone pour différentes applications mais pas payer pour un jeu.Ca ne s'est pas du tout démocratisé.»

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Si on parle du «mobile first continent» car il y a près de 750 millions de téléphones actifs et plus d'un milliard de cartes SIM actives, les «datas» [données mobiles] restent très onéreuses. En effet, l'offre en matière d'abonnement mensuel, lié à un compte en banque mobile, est quasi inexistante.

«En Afrique, on gratte des tickets sur des morceaux de papiers pour créditer son téléphone contre de l'argent ou on utilise un code USSD [Unstructured Supplementary Service Data ou Données de Services Supplémentaires non Structurées, ndlr] qui va permettre de créditer de son compte mobile […] Il va être très difficile d'acheter par exemple quelque chose sur Pokémon Go […] On va donc pomper son crédit téléphonique pour jouer, c'est vraiment un frein majeur.»

Surmonter les problèmes structurels liés à la formation des développeurs

Malgré des succès comme le jeu Aurion: Legacy of the Kori-Odan, développé par un des principaux studios de développement en Afrique centrale, Kiro'o Games (Cameroun), un des enjeux majeurs est de rattraper son retard lié au savoir-faire technique.

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Olivier Madiba, PDG de Kiro'o Games, déplorait au micro de RFI, le fait qu'«aujourd'hui, vous pouvez donner 300 millions de dollars, par exemple, à Kiro'o, on ne pourra pas refaire GTA V. La prochaine génération de «game designers» du continent ne doit pas émerger du chaos comme on l'a fait l'avons fait. Il faudrait qu'il y ait un circuit de formation, d'intégration, qui transmette de l'expérience et qui renforce la qualité de l'industrie.» Selon Thierry Barbaut, cette «grande révolution est en cours» car «différents opérateurs, dont Xavier Niel est l'un des fondateurs avec l'école 42, Born to code à Paris, ont proposé de former les jeunes et les moins jeunes au code et ensuite ces écoles se sont implantées en Afrique.»

«Elles permettent à des jeunes et aussi dans le monde du jeu vidéo de coder des systèmes, des applications et donc des jeux vidéo adaptés à la culture locale, adaptés aux langues locales, adaptés aux modes de vie locaux.»

Et de poursuivre,

«C'est ça qui va permettre finalement la popularisation des écoles de codeurs, des écoles d'informatique et aux majors du jeu vidéo d'avoir des développeurs qui connaissent les envies et aussi les besoins de divertissements des cultures locales qui vont démocratiser cet effet levier» s'enthousiasme le responsable des stratégies numériques de la Guilde.

Une culture riche et complexe

Il est important, comme l'analyse Thierry Barbaut, de maîtriser ces nuances sous peine d'essuyer un échec. «Si on veut développer un jeu, en étant Ubisoft par exemple, sans connaitre la culture africaine, c'est quasiment impossible, d'autant plus que la culture africaine n'est pas uniforme au continent. Elle va être régionalisée. On ne joue pas de la même façon et avec les mêmes codes en Egypte, en Afrique du Sud ou encore en Centrafrique. Il va falloir développer un savoir-faire local […] pour avoir des vrais jeux qui sont plébiscités par les joueurs.»

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Pourtant, si cette richesse culturelle peut rendre l'industrie vidéo-ludique africaine unique en son genre, ne constituera-t-elle pas un frein lorsqu'il faudra exporter ses créations vers des continents comme l'Asie où les joueurs ne sont pas au fait de cette culture? Pour Thierry Barbaut, «je vois mal un jeu traditionnel qui représenterait des villageois qui découvrent la nature, qui préservent un écosystème tropical fragile, s'adapter à des joueurs en Russie.» Cependant, «je pense que les jeux qui sont made in Africa peuvent s'exporter dans des zones particulières du monde.»

«Ça peut toucher d'énormes communautés, parce qu'il existe ce que l'on appelle la diaspora, les personnes issues d'Afrique qui vivent sur d'autres continent. On a énormément de pays où beaucoup de personnes sont attachées aux traditions de la culture africaine. […] Dans ce cas, ça peut plaire et ça peut être un marché intéressant.»

Et de conclure,

«Au-delà de tout ça, ce qui est intéressant, c'est que ça peut permettre aussi de mieux faire connaitre la culture africaine, qui est assez méconnue à l'international, de sortir de beaucoup de préjugés, et du coup, d'avoir peut-être envie de découvrir des pays, de faire plus de tourisme et ainsi développer d'autres secteurs d'activités» déclare Thierry Barbaut.

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