Les déficients visuels à l’école de l’informatique au Cameroun

© Sputnik . Anicet SimoLes malvoyants de l’Anaumic pendant la séance de formation
Les malvoyants de l’Anaumic pendant la séance de formation - Sputnik Afrique
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Pour mieux tenir compte des opportunités qu’offrent les nouvelles technologies, l’association nationale des aveugles utilisateurs du matériel informatique du Cameroun veut initier davantage de malvoyants dans le pays. Le but est de faciliter leur intégration socioprofessionnelle. Reportage.

Assis autour d’une grande table, dans la salle qui leur sert de cadre de formation, une dizaine de malvoyants, face aux écrans d’ordinateur, tablettes de braille à portée de main, oreilles attentives au son provenant du logiciel de synthèse vocale, écoutent avec ferveur la leçon du jour. Debout, au milieu de l’assistance, Daniel Kengni, expert en braille et en technologie de l’information et de la communication (Tic), est le formateur responsable de la session. De temps à autre, il donne des consignes aux apprenants en difficulté, tout en continuant de nous renseigner sur le contenu de la formation en cours.

«Il s’agit de l’une des innovations de notre association. Ce sont des séances mensuelles qui permettent aux malvoyants de rester à niveau, quant à leur maîtrise de l’outil informatique. Pendant cette activité, les apprenants expriment leurs difficultés dans l’assimilation et l’application de certaines notions. Les réponses à leurs questions sont données par des aînés avec beaucoup de précision. La séance permet aux malvoyants d’être au courant de l’actualité, parce que nous échangeons également sur des sujets d’actualité», explique au micro de Sputnik Daniel Kengni, 43 ans, déficient visuel, par ailleurs président de l’Association Nationale des aveugles utilisateurs du matériel informatique du Cameroun (Anaumic).

Fort de ses multiples expériences et formations acquises au Cameroun et à l’étranger, Daniel Kengni, méthodique et pragmatique, transmet à ses interlocuteurs avec dévouement, quelques astuces nécessaires à la bonne maîtrise de certains logiciels à ses congénères. Il nous en explique la méthode.

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«Là, nous travaillons avec des ordinateurs ordinaires, tout ce qui est sur le marché local. Cependant, dans ces ordinateurs nous installons la synthèse vocale à l’instar de NVDA (None visual Destop Access), JAWS (Job Access with Speech). Ces logiciels de revue d’écran permettent aux non-voyants de travailler en écoutant ce qu’ils font», précise-t-il au micro de Sputnik.

© Sputnik . Anicet SimoDaniel Kengni, président de l’Anaumic et principal formateur
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Daniel Kengni, président de l’Anaumic et principal formateur

Dans ce centre, les formations sont segmentées en trois modules sur une durée moyenne de six mois. On commence avec l’histoire de l’évolution de l’informatique pour passer aux logiciels de base de l’environnement des Tics (Microsoft Office) et la maîtrise des navigateurs Web (Mozilla Firefox, Internet Explorer). Le contenu de la formation est de ce fait très étoffé.

«Dans tous ces modules de formation, nous mettons de l’emphase sur les outils propres aux handicapés visuels. Nous formons par exemple à l’utilisation du logiciel Open Book, qui nous permet d’aller chercher un document. Nous avons aussi DBT Win, un logiciel de transcription braille, qui nous permet de transformer un texte en braille à l’écran avant de pouvoir lancer l’impression sur une embosseuse. Pour la synthèse vocale, nous utilisons essentiellement deux logiciels, dont NVDA et JAWS, sans oublier des logiciels d’aide technique comme DIC, le dictionnaire électronique accessible aux non-voyants», poursuit Daniel Kengni au micro de Sputnik.

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Non loin de Daniel, l’air très assidu aux enseignements, Aymard Lindjeck, 26 ans, n’hésite pas à poser des questions et à apporter des contributions. Cet étudiant en Journalisme à l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication de Yaoundé (Esstic) est malvoyant depuis l’âge de quatre ans. Passionné par les médias, il est cependant très enthousiaste quand il s’agit de parler de l’outil informatique.

«Étant étudiant en journalisme, la maîtrise de l’outil informatique et des Tics me concède une dextérité certaine et un déploiement aisé. Je peux échanger avec le monde entier. Vous savez, un journaliste c’est celui qui se nourrit essentiellement de l’information. Donc cette formation est bénéfique pour moi. J’ai appris à saisir parfaitement des textes. J’utilise aussi fréquemment les réseaux sociaux comme Facebook et Whatsapp. Je suis à même d’effectuer des montages à l’aide des logiciels comme Audacity, GolWave», relate fièrement Aymard au micro de Sputnik.

© Sputnik . Anicet SimoAymard Lindjeck, déficient visuel, étudiant en journalisme
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Aymard Lindjeck, déficient visuel, étudiant en journalisme

Seulement, malgré sa passion pour les technologies de l’information, Aymard ne dispose pas d’un ordinateur personnel pour approfondir ses connaissances. Le jeune étudiant profite des machines mises à disposition par des aînés et d’autres apprenants dans cet espace.

«Je n’ai pas encore pu m’offrir un ordinateur personnel. Issu d’une famille modeste, je n’ai pas les moyens de m’en offrir un. J’aimerais pourtant bien en avoir pour asseoir mes acquis et me perfectionner», nous confie l’étudiant en journalisme. 

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Si le rêve d’Aymard est d’avoir un ordinateur personnel, ce n’est pas le cas pour Claire Gansob, 21 ans, étudiante en lettres modernes à l’université de Yaoundé 1. Malvoyante depuis la naissance, Claire dispose d’un ordinateur, d’une tablette tactile en braille et veut à présent saisir l’opportunité du numérique pour se donner plus de chances sur le marché de l’emploi.

«Je me suis rendu compte que j’étais limitée en ce qui concerne l’utilisation de l’outil informatique. Je me suis laissée convaincre par Daniel Kengni, qui m’expliquait comment il était possible pour un non-voyant de se servir efficacement de l’outil informatique pour ouvrir les portes du monde professionnel», explique-t-elle heureuse d’avoir franchi le pas.

© Sputnik . Anicet SimoClaire Gansob, 21 ans, déficient visuel
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Claire Gansob, 21 ans, déficient visuel

Après quelques mois passés ici, Claire Gansob peut déjà aller sur internet, scanner un document, envoyer et recevoir des messages… malgré la difficile insertion professionnelle des déficients visuels au Cameroun, la jeune femme, chérit le rêve de briser les préjugés grâce à ses compétences.

«Après ma formation, j’aimerais travailler afin d’aider mes autres frères handicapés qui n’ont pas eu la chance de bénéficier de cet encadrement. J’aimerais être interprète [espagnol-français ou anglais-français], je caresse aussi le rêve d’être avocate», confie-t-elle au micro de Sputnik.

Des ambitions et des rêves d’un changement de regard sur la personne handicapée partagée par l’ensemble des membres de cette association. Fondée en août 2008, l’Anaumic vise à mettre à la disposition des déficients visuels, les technologies innovantes et adaptées requises pour l’accès à l’informatique. L’association veut briser les barrières comme nous l’indique son président.

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«Il était question pour nous, au regard des énormes barrières que nous rencontrions sur le chemin du numérique, de nous rassembler ainsi pour faire bloc et poser les problèmes de manière collective. L’idée étant de permettre à nos cadets qui sont encore dans l’ignorance technologique de nous rejoindre. Et nous sommes ravis que le nombre ait beaucoup augmenté à ce jour», nous explique Daniel Kengni, président de l’Anaumic.

Présente dans plusieurs villes du pays, l’association revendique 190 déficients visuels déjà formés. Cette formation a permis à bon nombre de malvoyants de mieux s’intégrer dans le monde professionnel. Des petites victoires qui ont été glanées au prix d’énormes sacrifices:

«Notre difficulté majeure, c’est l’accès au matériel notamment les ordinateurs. Il est impossible pour ceux de nos pensionnaires qui n’ont pas de PC de mettre en pratique les connaissances reçues pendant la formation. L’autre difficulté, c’est d'avoir un siège autonome où nous pourrons disposer nos machines à notre guise. Et aussi, faire changer les mentalités; On se demandent encore ce qu’un malvoyant peut faire devant un ordinateur, tandis que d’autres n’y voient qu’une perte de temps», déplore Daniel Kengni au micro de Sputnik.

Au Cameroun, rares sont les associations qui s’intéressent à la nouvelle alphabétisation des personnes déficientes visuelles à l’aide de technologies innovantes. Pour celles qui ont réussi à percer, l'ambition est de faciliter l’intégration socioprofessionnelle des déficients visuels afin de leur assurer une autonomie leur permettant d'augmenter leur chance de trouver un emploi. 

 

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