Les débats inutiles «ne donnent ni l’eau ni l’électricité ni de quoi manger aux Ivoiriens»

© AFP 2023 SIA KAMBOULe Président ivoirien Alassane Ouattara en train de voter, le 13 octobre 2018.
Le Président ivoirien Alassane Ouattara en train de voter, le 13 octobre 2018. - Sputnik Afrique
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Avec l’élection présidentielle ivoirienne en ligne de mire, les clivages entre le pouvoir et l’opposition n’en sont que plus manifestes. Laurent Gbagbo, carte nationale d’identité, commission électorale... autant de points qui divisent et sur lesquels Joël NGuessan, cadre du RHDP, le parti présidentiel, livre son analyse au micro de Sputnik.

Le 17 février dernier, le Premier ministre ivoirien, Amadou Gon Coulibaly, refermait la seconde phase (la première ayant eu lieu entre les mois de janvier et juin 2019) d’un dialogue politique entamé en janvier et qui a réuni autour d’une même table gouvernement et opposition en vue d’un scrutin présidentiel apaisé.

Abidjan - Sputnik Afrique
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Ces discussions entre acteurs politiques visaient à désamorcer autant que possible les tensions et désaccords, mais surtout à éloigner le spectre de la crise postélectorale de 2010-2011 et ses plus de 3.000 morts.

Si elles n’ont finalement pas abouti, comme prévu, à la signature d’un accord, notamment sur le code électoral, elles ont entériné l'introduction du parrainage et le relèvement de la caution des candidats de 20 à 50 millions de francs CFA (30.290 à 76.224 euros), ainsi que l’avait souhaité le Président Alassane Ouattara pour réduire le nombre de candidats.

Cependant, l’opposition reste sur sa faim et souhaite la poursuite du dialogue. Elle réclame notamment davantage d’indépendance pour la Commission électorale (CEI, la structure chargée d’organiser les élections), la gratuité de la carte nationale d’identité (CNI, document indispensable pour l’inscription sur les listes électorales) ou encore l’abandon par la justice ivoirienne des charges contre l’ancien Président Laurent Gbagbo.

Interrogé par Sputnik, Joël NGuessan livre son avis sur ces divers aspects de la situation sociopolitique en Côte d’Ivoire. Ancien ministre des Droits de l’Homme sous Laurent Gbagbo, il est l’un des cadres les plus en vue du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti du Président Alassane Ouattara.

© Sputnik . Roland KlohiJoël NGuessan, cadre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) ivoirien.
Les débats inutiles «ne donnent ni l’eau ni l’électricité ni de quoi manger aux Ivoiriens»  - Sputnik Afrique
Joël NGuessan, cadre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) ivoirien.

Sputnik: Le récent dialogue politique entre le gouvernement et l'opposition, en dépit de quelques points d'accord, s'est soldé par un échec, selon l'opposition. Quel est votre avis sur la question ?

Joël NGuessan: «Qu’appellent-ils échec? Le fait que tous leurs desiderata n’aient pas été pris en compte? Quand on s’engage dans une discussion, ce n’est pas dans l’optique d’obtenir coûte que coûte ce que l’on veut, sinon, autant ne pas y participer. Ce dialogue n’a pas été un échec.»

Sputnik: N’y a-t-il donc aucune chance que les discussions se poursuivent, comme le souhaite l’opposition?

Joël NGuessan: «On ne va pas passer notre temps à dialoguer. Le peuple a des besoins dont il faut se préoccuper, il n’est plus nécessaire que ce dialogue se poursuive, c'est non productif pour les Ivoiriens. Aller se réunir à la primature, épuiser les membres du gouvernement dans des débats inutiles ne donnent ni de l’eau ni de l’électricité ni de quoi manger aux Ivoiriens. Que l’opposition choisisse ses candidats, que l’on aille aux élections, le peuple va décider.»

Sputnik: Parmi les points de divergence demeure le débat sur la réforme de la CEI, que l’opposition ne juge pas indépendante et impartiale...

Joël NGuessan: «Le débat autour de la CEI est un faux débat. Ce n’est pas la CEI qui vote, mais les Ivoiriens. La Commission ne fait que centraliser les informations qui proviennent de la base. Les partis devraient plutôt se préoccuper que leurs militants aient leur carte nationale d’identité afin d’être inscrits sur les listes électorales et pouvoir voter. Il devraient également s’assurer d’avoir des représentants dans tous les bureaux de vote pour signer les procès-verbaux. La totalité des membres de la CEI pourrait même appartenir au PDCI [Parti démocratique de Côte d’Ivoire, ndlr], ainsi, si la Commission affirme que tel candidat a perdu, eh bien il aura perdu.

Par ailleurs, je ne vous cache pas que nous sommes nombreux à penser que les élections en Côte d’Ivoire doivent être organisées, comme cela se fait dans des pays comme la France ou les États-Unis, par l’administration. Ici, c’est le ministère de l’Intérieur qui organise les élections plutôt qu’un conglomérat de partis politiques. Pour un pays qui se veut démocrate et avancé, c’est paradoxal.»

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Sputnik: Concernant la CNI, une partie de l’opposition continue de réclamer la gratuité de sa délivrance. Est-ce encore possible?

Joël NGuessan: «Il faut arrêter de fantasmer sur la gratuité de la CNI, ce n’est pas possible. Comment vouloir qu’un document qui a un coût de fabrication soit gratuit? À quoi cela répond-il?»

Sputnik: Et que répondez-vous aux accusations selon lesquelles la CNI serait distribuée à des non-nationaux en vue de la présidentielle?

Joël NGuessan: «C’est aussi n’importe quoi! Pour obtenir une carte nationale d’identité, il faut un extrait de naissance et un certificat de nationalité. L’opposition baigne dans des accusations fallacieuses et inutiles.»

Sputnik: L’opposition juge très insuffisants les 118 centres retenus sur l’ensemble du pays pour les opérations d’enrôlement (renouvellement et établissement de la CNI) de 11 millions d’Ivoiriens. Qu’en pensez-vous?

Joël NGuessan: «Quel est le temps d’enrôlement d’une personne? L’ont-ils calculé avant de s’exprimer? S’il est par exemple de trois minutes, imaginez le nombre de personnes qu’on peut enrôler de 8h à 18h. En fin de compte, ce qui me désole, c’est l’incapacité de l’opposition à faire des propositions concrètes aux Ivoiriens. Ils ne font que critiquer: ils prétendent que le nombre de centres est insuffisant et dans le même temps, ils sont derrière leurs militants pour les inciter à se procurer la CNI afin de pouvoir voter, ce n’est pas cohérent.»

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Sputnik: Plusieurs partis politiques, de même que des organisations de la société civile, estiment que la libération définitive de l'ancien Président Laurent Gbagbo et son retour au pays sont un préalable à la réconciliation en Côte d'Ivoire. Au RHDP, qu'est-ce qu'on en pense?

Joël NGuessan: «Réconciliation entre hommes politiques ou entre Ivoiriens? Quand on considère la situation qu’on a vécue avec la crise postélectorale de 2010-20011 où des Ivoiriens se sont entretués et le vivre-ensemble que nous constatons aujourd’hui, peut-on dire que les Ivoiriens ne sont pas reconciliés? La réconciliation est effective en Côte d’Ivoire. Que le Président Gbagbo soit présent ou non n’a rien à voir avec la réconciliation des Ivoiriens. Il ne faudrait pas que certains prennent leurs émotions pour en faire des débats nationaux.»

Sputnik: Qu'en est-il du sort de l’ancien président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro et de ses compagnons députés, actuellement détenus et qui sont perçus comme des prisonniers politiques?

Joël NGuessan: «Comme vous le savez, cette affaire est au niveau de la justice, c’est à elle de trancher. Par contre, cette expression de prisonniers politiques est quelque chose que je n’apprécie pas en Afrique. Quelqu'un est accusé de fomenter un coup d’État contre son propre pays, on le met aux arrêts et comme c’est un homme politique on s’empresse de dire que c’est un prisonnier politique. Ce ne sont pas des prisonniers politiques mais plutôt des personnes sur lesquelles pèsent des soupçons clairs et nets de tentative de déstabilisation de la Côte d’Ivoire. Plutôt que de rester en France et se mettre dans la posture du harcelé, que Guillaume Soro vienne répondre de ses actes. Si la justice détermine qu’il n’est pas coupable, il sera libre.»

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Sputnik: Le RHDP est convaincu de rester au pouvoir à l'issue de la présidentielle d'octobre. Sur quoi repose une telle assurance?

Joël NGuessan: «Personne ne part à une élection sans croire en sa victoire. Le contraire serait insensé. Si nous sommes sereins, c’est parce qu’avec ce que nous avons déjà accompli, les Ivoiriens ne peuvent que nous choisir. Ils savent parfaitement qui leur a donné des hôpitaux, des écoles, des routes, des ponts... bref, tout. Quant à ceux de l’opposition, ils ont un passé si négatif et lugubre qu’ils ont bien de la peine à s’en prévaloir.»

Sputnik: En attendant, on ne sait toujours pas qui sera le candidat du RHDP, les spéculations faisant rage...

Joël NGuessan: «Les spéculations sont une bonne chose, cela nourrit les journaux. Quand notre convention aura lieu, bientôt, vous saurez qui est notre candidat.»

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