Dialogue au Mali: «Iyad ag Ghali va en sortir renforcé sans, forcément, souscrire à la paix»

© Photo ECPADLe 2e REP traque les terroristes au Sahel
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La fin de non-recevoir d’Iyad Ag Ghali à l’offre de dialogue de Bamako montre que, sans une meilleure coordination des efforts sécuritaires, le Mali va dans le mur. Bakary Sambe explique à Sputnik France pourquoi négocier avec les terroristes renforcera Al-Qaïda* et l’EIGS* «au lieu de les couper de leurs couveuses locales».
«Je suis dubitatif, même s’il s’agit d’un dialogue inclusif. Qu’est-ce que l’État malien, qui part en position de faiblesse, va vraiment pouvoir négocier? Comme les préalables à ce dialogue n’ont pas été respectés, ses résultats ne peuvent qu’être qu’incertains. Particulièrement en ce qui concerne d’éventuelles négociations avec des groupes terroristes locaux qui pourraient s’avérer contreproductives», a prévenu le directeur du Timbuktu Institute, Bakary Sambe, au micro de Sputnik France, lors d’un passage à Paris.

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«Il n’y aura pas de paix au Mali sans une négociation préalable avec Iyad Ag Ghali», selon Maurice Freund
Depuis l’offre des autorités de Bamako, début février, de dialoguer avec les djihadistes, les responsables politiques et les chercheurs sont partagés sur la question de savoir s’il faut négocier  avec les groupes terroristes, présents au Mali. Beaucoup de voix, dans le pays et ailleurs, se sont élevées pour dénoncer un pacte avec le diable. Tandis que d’autres y voient le moyen de mettre fin à un conflit qui non seulement perdure à cause, notamment, de la multiplication des acteurs au Nord-Mali, mais s’est étendu au centre du pays. Par ailleurs, les accords de paix et de sécurité issus du processus d’Alger du 15 juin 2015, dont la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) est signataire –mais pas Iyad Ag Ghali– ne sont toujours pas appliqués.

Une fin de non-recevoir

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Dans un communiqué publié le 9 mars dernier, le chef du Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM)*, la coalition terroriste affiliée à al-Qaïda au Maghreb islamique*, a fait connaître sa réponse. Mais pour la plupart des commentateurs, ce message «ressemble davantage à une fin de non-recevoir» puisqu’Iyad Ag Ghali pose comme préalable que «la France et l’ONU retirent leurs troupes du Mali». Ce qui, bien sûr, n’est pas acceptable pour les autorités de Bamako. En revanche, aucune mention n’a été faite, dans ce communiqué, d’un recours à la charia comme mode d’administration de l’État malien, ou bien sur sa forme républicaine, laïque et unitaire.

«Nous sommes prêts à engager des négociations avec le gouvernement malien, dont le Président a annoncé son souhait de négocier avec [le GSIM*] afin de discuter des moyens de mettre fin au conflit sanglant entré dans sa septième année à cause de l’invasion des croisés français», a écrit le groupe djihadiste affilié à Al-Qaïda* qu’il dirige, dans un communiqué publié par sa plate-forme al-Zallaqa et authentifié, le 10 mars, par l’ONG américaine de surveillance des sites djihadistes appelée SITE.

Et de vilipender les forces françaises de Barkhane (5.100 hommes) ainsi que les autres troupes étrangères déployées sur le terrain au Mali, comme par exemple celle de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma, 12.000 hommes). «Il ne saurait être question de négociations à l'ombre de l'occupation avant le départ du Mali de toutes les forces françaises et de ceux qui les suivent», fustige le communiqué en réclamant «la fin de l'occupation raciste et arrogante des croisés français».

Invité Afrique de Sputnik France, le 5 mars dernier, le directeur du Timbuktu Institute, Bakary Sambe, qui a des bureaux à Dakar, Bamako et Niamey, ne cache pas son scepticisme. Même s’il reconnaît qu’il s’agit d’une «option par dépit» de la part du Président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et de son haut représentant dans le Centre du pays, Dioncounda Traoré, il craint que «sans bases claires pour négocier» avec ses chefs rebelles que sont Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa, l’État malien ne se fourvoie dans un nouveau guêpier.

En coupant les chefs djihadistes locaux de leurs bases, «on risque de donner encore plus de poids aux groupes étrangers tels que l’État islamique au grand Sahara (EIGS)* dirigé par Walid al Sahraoui, ou bien Al-Qaïda*», argue-t-il. Car si l’État malien persiste dans ses intentions, il risque d’obtenir l’effet inverse, notamment par rapport à la stratégie française au Sahel telle que redéfinie lors du sommet de Pau le 13 janvier dernier. Celle-ci veut renforcer la lutte contre l’État islamique au Grand Sahara (EIGS)*, la mouvance affiliée à Daech*, dans la zone dite des Trois Frontières (Mali, Niger, Burkina Faso), quitte à s’allier pour cela aux djihadistes locaux!

«Cette situation ferait, non seulement, retourner à un amer statu quo mais provoquerait une inévitable ruée vers les rangs de l’État islamique au Grand Sahara. Alors que le principal gain escompté, en lançant ce processus de dialogue, est justement de couper les réseaux djihadistes transnationaux (comme Al-Qaïda* et l’EIGS*) de leurs couveuses locales», déplore le directeur du Timbuktu Institute.

Privilégier un interlocuteur, Iyad Ag Ghali, au détriment d’un autre, Amadou Koufa, risque de compliquer encore plus la situation sur le terrain. Le chef de la Katiba Macina –qui est déjà contesté au sein de son mouvement– pourrait y «perdre toute légitimité», fait valoir le chercheur sénégalais. Et, du coup, perdre ses hommes au profit de l’EIGS*, qui est déjà en train de recruter au Mali. Sans compter la concurrence que fait peser al-Qaïda* qui dispute à son rival les «dissidents» issus des groupes djihadistes locaux.

L’instrumentalisation du religieux

Lors de son passage à Paris, Bakary Sambe a beaucoup insisté sur l’émergence d’une figure religieuse, celle de l’imam Mahmoud Dicko, l’ancien président du Haut-Conseil islamique du Mali, qui ne cache plus ses ambitions pour les échéances de 2023. Face à l’incurie du pouvoir à Bamako, celui-ci aurait décidé de prendre les choses en mains en se rapprochant d’Iyad Ag Ghali. Issu de la tribu des Ifoghas, ce chef Touareg traditionnel est incontournable pour faire la paix dans la région de Kidal (nord du Mali) où l’armée malienne, absente depuis 2014, vient d’ailleurs de faire son retour.

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Jusqu’à la création d’Ansar Dine, en 2012, l’un des principaux mouvements salafistes responsables de la guerre au Mali, il n’était pas à proprement parler «islamiste». Ce qui ne l’a pas empêché d’avoir recours à des prises d’otages pour financer ses activités de chef de guerre. Mais il a –aussi– joué un rôle décisif dans la libération de trois otages français à Arlitt, en 2010. «Malheureusement, il ne s’est pas estimé payé en retour (par le Président Sarkozy, ndlr), nourrissant une rancœur tenace contre la France», a révélé récemment Maurice Freund dans un entretien exclusif à Sputnik France. «À la suite de quoi, sa radicalisation s’est accentuée», selon le voyagiste français qui était en contact régulier avec l’émir du GSIM* jusqu’en 2015.

Combiné avec le charisme de l’imam, comme il l’a encore démontré le 29 février dernier lors d’un grand meeting à Bamako, cette alliance inquiète Bakary Sambe. «On est en train d’assister à une irruption du religieux qui surfe sur la sphère politique au Mali!», déplore le chercheur. Mahmoud Dicko, qui n’hésite pas à qualifier Iyad Ag Ghali de «frère» dans ses discours, l’a rendu à nouveau «fréquentable» aux yeux des autorités maliennes. Car, rappelle ce spécialiste de la montée des radicalismes religieux en Afrique, c’est avec le soutien de Dicko et ses quelque 200 associations islamiques que le Président IBK a gagné les présidentielles, en 2013, puis a été réélu en 2018 pour un second mandat. «On comprend dans ces conditions qu’IBK ne puisse rien lui refuser», commente-t-il.

«Dès 2009, Mahmoud Dicko a commencé son entreprise de déstructuration de l’État en refusant que s’applique le code de la famille. Alors que tous les partis politiques l’avaient accepté. Face à l’incurie grandissante du pouvoir, à Bamako, il n’a cessé de gagner en influence. Au point que l’on est en train d’assister, aujourd’hui, au Mali, à une emprise du religieux sur le politique. Le plus dangereux, c’est que son discours repose sur deux constantes qui sont acceptées de tous: combattre la corruption et bouter les Français hors du pays. D’où sa popularité grandissante», a déploré le directeur du Timbuktu Institute au micro de Sputnik France.

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Quant à Amadou Koufa, lui aussi qualifié de «frère» par Mahmoud Dicko, il milite pour l’union des Peuls de l’Afrique de l’Ouest au sein d’un «Front uni du Macina». C’est en mars 2017 que ce natif du village de Koufa, au centre du Mali –de son vrai nom Amadou Diallo– apparaît aux côtés d'Iyad Ag Ghali, Djamel Okacha, Abou Hassan al-Ansari et Abou Abderrahman El Senhadji. Son ralliement scelle la création de la coalition du GSIM* puisque «les combattants peuls sont allés se former chez Aqmi, au départ pour lutter contre le vol de leur bétail par les Touaregs», explique Bakary Sambe. La même année, tandis que certains responsables politiques maliens sollicitaient l'ouverture de négociations avec les groupes djihadistes, il envoie deux émissaires rencontrer le professeur Alioune Nouhoum Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale et figure emblématique de la communauté peule au Mali.

Déjà, à l’époque, il posait trois conditions pour arrêter ses attaques dans la région de Mopti (le départ de la force Barkhane, le départ de la Minusma et qu'Alioune Nouhoum Diallo soit son interlocuteur, ndlr). Celles-ci n’ayant pas abouti, il s’est alors mis à antagoniser les Peuls contre les Dogons. Il en est résulté des violences intercommunautaires, jamais vues auparavant au centre du Mali, comme le massacre perpétré dans le village d’Ogossagou, le 23 mars 2019. Celles-ci n’ont pas cessé depuis, faisant «plus de 600 morts et 70.000 déplacés» en un an, selon les chiffres communiqués par OCHA.

La ruée vers l’EIGS*

Pour Bakary Sambe, en privilégiant Iyad Ag Ghali, le pouvoir malien risque aussi de «multiplier les dissidences au sein des groupes armés qui veulent tous accéder au festin», ironise-t-il. Comme en attestent, d’ailleurs, les premières «fissures» au sein de la Katiba Macina. Et sans avoir, pour autant, la garantie que le chef du GSIM*, «qui est déjà positionné comme le principal bénéficiaire de ces tractations, souscrira à la paix», avertit-il.

«Il y a une économie de guerre qui s’est instaurée au Mali. Aussi, plus personne n’a intérêt aujourd’hui à ce que la paix revienne: ni l’État malien qui reçoit des subsides, ni la CEMA, pour les mêmes raisons, ni les groupes armés. Malheureusement, le Mali est dans une impasse et si dialogue il doit y avoir un jour avec les groupes terroristes, il faudrait qu’il soit beaucoup mieux préparé», martèle le chercheur sénégalais.

En plus de ces scissions, d’autres ex-fidèles d’Amadou Koufa ont décidé de créer un nouveau mouvement appelé «Jund al Khilâfa» (les soldats du Khalife) au centre du Mali, ouvertement affilié à l’EIGS*. Selon Bakary Samb, si ces «soldats» se sont ralliés à la mouvance djihadiste rivale, c’est parce qu’ils reprochent au chef de guerre peul «son inféodation au GSIM* d’Iyad Ag Ghaly, la manière dont il répartit les butins de guerre et sa gestion des questions foncières».

«On devrait donc assister, sous peu, à une recrudescence d’attentats, notamment, dans la région des Trois frontières. Quant à la Katiba Macina qui est évincée, non seulement l’État malien perd là un interlocuteur endogène, mais cela veut dire que la rivalité entre Al-Qaïda* et Daech* est en train de se durcir au Mali», estime le directeur du Timbuktu Institute.
Manque de coordination au Sahel

Avec le déploiement par l’Union africaine de 3.000 hommes de troupe additionnels au Sahel, on est en train d’assister à un «embouteillage sécuritaire» dans cette région. Entre Minusma, Eutm, Barkhane, G5 Sahel, armées nationales et maintenant la force de l'UA, il y aura bientôt plus de militaires que de populations dans cette région. Qu’en pense Bakary Sambe?

«Le Mali ressemble à un malade avec beaucoup de médecins à son chevet qui n’arriveraient pas à se mettre d’accord sur le diagnostic. Il n’y a pas moins de 19 stratégies au Sahel rien que dans l’Union européenne. C’est grave parce que le conflit de perception sur le conflit sahélien n’a jamais été aussi profond. Tandis que malgré toute l’armada qui y est déployée, la population ne s’est jamais sentie autant en insécurité », fait-il valoir.

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Jusqu’à présent, l’Union africaine était absente de cette architecture sécuritaire qui donne l’impression de tâtonner en raison de la multiplicité des acteurs. Quant à la Cedeao, «elle a été complètement évincée au profit du G5 Sahel qui est le chouchou des puissances occidentales», estime-t-il.

Bien qu’issu d’une initiative endogène, le G5 Sahel, qui vient de passer sous présidence mauritanienne, ne parvient pas à remplir ses promesses «à cause d’un manque de moyens et d’un manque de capacité», insiste-t-il.

«Il faudrait une meilleure coordination des efforts nationaux et internationaux, car c’est cette impression de tâtonnement qui désespère les populations du Sahel. La faillite de l’État malien et l’incohérence des politiques internationales sont responsables du chaos actuel au Mali», commente Bakary Sambe au micro de Sputnik France

L’est du Burkina Faso l’inquiète particulièrement. Un pays qui est devenu une véritable pétaudière même si, comme il le souligne, les terroristes ne font que le traverser pour aller rejoindre les grands cartels de trafic de drogue et de ventes d’armes.

«À l’instar du Mali, le Burkina Faso est aujourd’hui devenu un problème majeur de sécurité au Sahel à cause de l’économie criminelle», insiste-t-il.

*Organisation terroriste interdire en Russie

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